Cette intervention a pour objet de tracer l’état de lieu de la stratégie africaine du Maroc avant de procéder à une évaluation des composantes de cette stratégie à travers un état de lieu accompagné de certaines propositions et recommandations.
Si l’attachement du Maroc à son environnement africain est une réalité historique, le tropisme africain du Royaume a pris un élan stratégique sans précédent depuis l’an 2000 et à partir du début de règne de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI. Il s’est transformé en un pilier stratégique de la politique étrangère et économique du Royaume.
1- Fondement théorique
Brièvement, la politique volontariste du Maroc en Afrique n’est pas un ensemble décousu de déclarations de bonne volonté et d’actions isolées. Elle obéit à des fondements théoriques construits, résultats à la fois d’une volonté politique et d’une réflexion stratégique.
Ainsi, cette politique a un caractère réaliste dans la mesure où elle se base sur une lecture rationnelle et pragmatique des intérêts nationaux. Dans ce cadre, on relève que le processus décisionnel de cette politique est chapeauté au niveau stratégique par le chef de l’Etat qui met à contribution son charisme et son rang afin de faciliter cette dynamique.
On pourrait puiser également dans la théorie constructiviste pour affirmer que Cette politique est basée sur un certain socle identitaire du Maroc avec une image de marque bien définie et des vocations bien choisies. Ces vocations concernent principalement la position du Maroc et son ambition d’être un pont entre différents espaces stratégiques. Cette vocation se prolonge aussi dans le domaine culturel et religieux dans la mesure où le Royaume dispose de certains atouts lui conférant une certaine légitimité historique et culturelle dans son environnement africain
2- Les leviers de la stratégie africaine du Maroc
2.1- Une vision volontariste pour une Afrique émergente
Sa Majesté Le Roi dans différents discours n’a cessé de réitérer sa foi en la capacité des Africains à tracer leur propre voie de l’émergence à condition pour ces pays de croire en leurs potentiels et se débarrasser des inhibitions du passé. La doctrine africaine qu’on pourrait déceler des discours et actions de Sa Majesté Le Roi met l’homme au cœur de toutes ces stratégies. Cette doctrine a pris son réel départ avec le retour du Maroc dans sa famille communautaire africaine. Il s’est traduit par un leadership (non pas au sens de l’hégémonie mais dans un sens plus horizontal.
Il ne s’agit nullement d’une philosophie d’expansion géopolitique et d’influence classique mais d’une implication active dans le but de stimuler une dynamique collective. Cette implication prend comme point d’ancrage deux thématiques majeures à savoir le phénomène migratoire et le développement durable. Le leadership marocain vise à contribuer à créer une dynamique vertueuse tournée vers l’avenir.
L’Afrique ne pourrait émerger en tant qu’espace de prospérité et de développement sans se débarrasser de certains écueils du passé qui minent son unité. Le conflit du Sahara marocain a constitué pendant une longue période un de ses écueils en approfondissant la division au sein des instances africaines. Ainsi, La stratégie indirecte poursuivie par le Maroc a consisté en une diplomatie offensive visant à éviter l’affrontement diplomatique avec les adversaires tout en adoptant une attitude constructive. Le Maroc a ainsi rompu avec la doctrine Hallstein en opérant une ouverture sur tous les Etats africains y compris ceux qui affichent certaines positions à l’opposé des intérêts marocains sur ce dossier. Rares sont ceux qui croyaient vraiment que le Maroc puisse un jour revenir à l’Union Africaine sans que cette organisation chasse le pseudo-Etat autoproclamé. Le Maroc l’a fait avec brio sans bousculer le fonctionnement de cette organisation et sans créer une tension à l’intérieur de l’union. On se rappelle que la question de l’admission du pseudo-Etat avait failli ébranler l’OUA entre la fin des années 70 et le début des années 80
L’Afrique ne pourrait prendre la voie donc de l’émergence sans se débarrasser de certains facteurs d’instabilité dont notamment la pauvreté, les catastrophes naturelles et surtout le terrorisme et les velléités sécessionnistes. Sur ces deux dossiers, le Maroc a eu une contribution décisive notamment dans la région du Sahel et la Libye.
La prééminence royale sur la politique étrangère a joué un rôle central dans ce processus. En effet, la pérennité des accords de coopération reposait sur la caution symbolique apportée par Sa Majesté Le Roi à l’entretien de liens personnels avec les chefs d’État africains. En l’espace de 15 ans, entre 2001, date de sa première visite en Mauritanie, et 2016, date de la demande de réadmission à l’UA, le Souverain a effectué une quarantaine de visites d’État sur le continent, instaurant de nouveaux cadres de coopération multisectoriels,
2.2- Solidarité
La solidarité du Maroc avec les Etats africains ne date pas d’hier certes, mais elle a également pris un souffle sans précédent depuis quelques années. Il ne s’agit plus d’actes isolés destinés seulement à certains pays avec qui des affinités politiques et personnelles existent mais il s’agit d’une démarche stratégique et institutionnalisé. Plusieurs initiatives, dans ce sens, ont été mises en place parmi lesquelles : l’annulation de la dette des pays africains les moins avancés, l’accès au Maroc des produits de certains pays d’Afrique sans droits de douane, l’octroi de bourses d’étude et la mise en place d’une politique migratoire favorable qui a permis de régulariser la situation d’environ 50 000 ressortissants africains depuis 2014. Une priorité a également été accordée au développement des stratégies régionales dans le domaine de l’environnement avec pour objectif d’améliorer la résilience africaine face au changement climatique (financement bleu du bassin du Congo, ceinture bleue, initiative triple A, etc.).
A l’occasion de la crise sanitaire, et sur hautes instructions Royales le Maroc a apporté une aide conséquente à une quinzaine de pays d’Afrique subsaharienne : 8 millions de masques, 30 000 litres de gel hydroalcoolique, 75 000 boîtes de chloroquine, 900 000 visières, 600 000 charlottes et 60 000 blouses destinées au personnel hospitalier, ainsi que 15 000 boîtes d’un antibiotique associé à la chloroquine.
2.3 Développement
Le troisième pilier est le développement ou plutôt le co-développement. Tout comme pour le reste des leviers, les visites Royales ont constitué un véritable catalyseur afin de jeter les bases des cadres de coopération pérennes. Aussi bien le secteur public que le secteur privé ont été mis à contribution dans ce cadre. La coopération pour le développement n’est plus conçue dans un cadre purement bilatéral mais embrassent la dynamique de la coopération sud-sud dont le Maroc est un des acteurs clés. Le Maroc est un partisan sans faille de l’approche transversale du développement à travers notamment le partage des bonnes pratiques et des expériences réussies. Le développement des investissements a été également un levier décisif. Les entreprises marocaines ont trouvé un cadre idoine pour pouvoir accompagner et traduire les aspirations de l’Etat et de ses partenaires africains ;
Le développement durable constitue un axe majeur de cette politique de développement. Ce rôle est joué par plusieurs institutions notamment la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement qui multiplie les actions et initiatives dans les territoires africains afin de rallier le développement humain avec le souci de la protection de l’environnement à travers des projets porteurs au service des populations locales.
3- Quel état des lieux
En raison de la crise sanitaire et de ses impacts économiques diplomatiques et géopolitiques, on se demande s’il n y’aurait pas une pause dans cet élan. On relève tout d’abord une baisse dans le rythme des visites réciproques en raison de la pandémie.
Or, Aujourd’hui et dans ce contexte spécial, l’Afrique devient le terrain des ambitions et d’affrontement des intérêts des plusieurs puissances mondiales et régionale. Il est de ce fait urgent de renouveler et redynamiser la stratégie africaine du Maroc. Certes, l’élan est toujours là, le volontarisme marocain est toujours traduit en actions ; néanmoins, le basculement stratégique et géopolitique causé par la crise sanitaire nécessite un renouvellement des outils, une relecture des enjeux et de la cartographie des opportunités et des risques.
A titre d’exemple, il est nécessaire de donner un nouvel élan à la politique marocaine à l’égard des PMA africains. Les initiatives louables qu’on a soulignées devraient être renforcées davantage afin de garder le même esprit solidaire
Il serait également judicieux de redoubler d’efforts afin d’aider le secteur privé marocain à maintenir le cap et renforcer ses investissements malgré les difficultés économiques générées par la pandémie. Le secteur privé ne devrait plus être subordonné et dépendants complétements des paramètres politiques et diplomatiques. Il devrait suivre sa propre logique en toute liberté
Il faudrait également prévoir des mécanismes d’Evaluation régulière des accords de coopération existants. Certains cadres de coopération deviennent caduques et nécessitent de nouvelles visions.
Rénover la politique africaine du Maroc en insufflant une nouvelle dynamique au processus de l’intégration du Royaume dans les tissus économiques africains. Certes on a vu que ce n’est pas une chose facile en raison des préoccupations que cela suscitent au sein de certains pays du continent et au-delà, mais on n’a pas le choix, il faudrait persévérer dans cette voie en rassurant ceux qui ont des inquiétudes en convaincant ceux qui ont des réserves
Il est également nécessaire de sortir des sentiers battus et se tourner vers le futur en Ciblant certains domaines porteurs comme les TIC, l’économie digitale et la santé.
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.