Ecrit par Youssef CHAAT,
Chercheur en média et géopolitique multilingue.
Depuis le début des années 2000, la Chine a redessiné les contours de sa politique étrangère pour faire de l’Afrique une pierre angulaire de ses ambitions mondiales. Avec des investissements estimés à plus de 300 milliards de dollars depuis 2006, Pékin s’est imposé comme un partenaire incontournable du continent, offrant infrastructures, financements et opportunités de développement.
Un partenariat économique : les infrastructures comme levier d’influence
L’approche chinoise en Afrique repose sur une stratégie bien rodée : échanger des infrastructures modernes contre un accès aux ressources stratégiques. Le continent, avec ses abondantes réserves de cobalt, de lithium et de terres rares, est crucial pour la révolution technologique de la Chine. Ces dernières décennies , créant des corridors économiques sans précédent , Pékin a financé plus de 40 % des projets d’infrastructures africains, des routes , des chemins de fer, des aéroports modernes et des ports en eau profonde,.
Parmi les réalisations majeures figurent :
– Le chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti, qui relie l’Éthiopie à la mer Rouge et réduit considérablement les coûts logistiques pour l’une des économies, à la croissance la plus rapide d’Afrique.
– Le projet hydroélectrique du barrage de Bui au Ghana, qui alimente des millions de foyers en électricité.
Cependant, cette stratégie n’est pas exempte de critiques. De nombreux pays africains, comme Djibouti ou le Kenya, se retrouvent confrontés à un endettement massif, exacerbant leur dépendance financière envers Pékin. Des experts qualifient même ce phénomène de « piège de la dette », bien que Pékin rejette cette accusation, affirmant que ses prêts visent à favoriser un développement durable.
L’essor d’une diplomatie de puissance
Au-delà de l’économie, la Chine utilise l’Afrique comme plateforme pour accroître son influence géopolitique. Face à une concurrence accrue de l’Occident, Pékin propose un partenariat axé sur le « respect mutuel », sans imposer de conditionnalités politiques ou économiques, contrairement aux États-Unis et à l’Union européenne.
Lors du Sommet Chine-Afrique 2024, tenu à Beijing, Xi Jinping a dévoilé de nouvelles initiatives pour renforcer ces relations, notamment :
– Un fonds spécial pour les énergies renouvelables, avec un budget initial de 10 milliards de dollars pour développer des projets solaires et éoliens en Afrique.
– La suppression des dettes pour les pays africains les plus pauvres, illustrant une volonté de dissiper les critiques liées au surendettement.
– Des bourses d’études supplémentaires pour les étudiants africains, afin de former une élite sensibilisée à la culture et à l’économie chinoises.
La déclaration finale du sommet a mis en avant une « communauté d’avenir partagé », consolidant la position de Pékin comme partenaire de long terme.
La technologie : un levier de soft power
En parallèle, la Chine renforce son influence en Afrique par le biais de la technologie. Grâce à des géants comme Huawei et ZTE, elle domine la construction d’infrastructures numériques sur le continent, du déploiement de la 5G à la modernisation des systèmes de communication gouvernementaux. Cette domination technologique ne se limite pas à des objectifs commerciaux : elle confère à la Chine une influence stratégique sur les données et les systèmes d’information africains.
Par ailleurs, le secteur éducatif constitue un autre pilier du soft power chinois. Plus de 60 000 étudiants africains poursuivent actuellement leurs études en Chine, tandis que des instituts Confucius se multiplient sur le continent, promouvant la langue et la culture chinoises. Cette approche cultive une nouvelle génération de leaders africains, familiers avec les modèles économiques et diplomatiques chinois.
Des critiques persistantes : vers un néocolonialisme ?
Malgré son expansion spectaculaire en Afrique, la Chine fait face à des critiques croissantes, notamment l’accusation de « néocolonialisme ». Cette critique repose sur plusieurs points, notamment l’exploitation unilatérale des ressources naturelles africaines, souvent sans transfert significatif de compétences aux populations locales, la dégradation écologique liée à des pratiques minières intensives et à la déforestation, et la faible industrialisation locale, les projets chinois privilégiant souvent l’exportation brute des ressources plutôt que la création de chaînes de valeur en Afrique. En conséquence, des sentiments de mécontentement émergent parmi les citoyens africains, qui voient peu de bénéfices tangibles dans leur vie quotidienne malgré les investissements chinois.
Ce mécontentement s’exprime à travers des manifestations, des grèves et des révoltes contre les entreprises chinoises, particulièrement dans des pays comme la Zambie ou la République Démocratique du Congo. Bien que la Chine ait cherché à améliorer son image en mettant en avant des initiatives de développement durable, des programmes de formation et des projets énergétiques verts lors du sommet Chine-Afrique 2024, l’empire du Milieu , devra réexaminer sa stratégie pour éviter de renforcer l’hostilité croissante et construire des partenariats réellement bénéfiques avec les Etats du continent africain.
Une concurrence internationale accrue
L’Afrique, autrefois perçue comme un terrain d’influence quasi exclusif pour la Chine, devient de plus en plus un espace de compétition géopolitique. Les États-Unis et l’Union européenne intensifient leurs efforts d’investissement, tandis que des acteurs émergents, tels que la Turquie, le Royaume du Maroc et les Émirats Arabes Unis, s’affirment également sur le continent. Un exemple récent de cette intensification de la concurrence est le corridor ferroviaire de Lobito, soutenu par l’Union européenne et les États-Unis, qui rivalise avec les projets chinois.
Cette compétition oblige Pékin à repenser sa stratégie en Afrique, en particulier en se tournant vers des secteurs moins saturés et plus durables, tels que l’énergie verte et l’agriculture durable. En diversifiant ses investissements dans ces domaines, la Chine espère répondre aux nouvelles priorités de développement des pays africains , tout en préservant son influence stratégique sur le continent.
Vers une relation équilibrée ?
En effet, pour maintenir son rôle de partenaire privilégié, Pékin a dû s’adapter à un environnement géopolitique en constante évolution. Cela s’est traduit par une meilleure prise en compte des attentes locales, notamment en matière de création d’emplois et de transfert de technologies. L’empire du Milieu s’est également engagé à renforcer ses initiatives écologiques, en réponse aux préoccupations croissantes sur l’impact environnemental de ses projets, notamment dans des secteurs liés à l’extraction minière. De plus, la Chine a diversifié ses investissements, s’orientant davantage vers des secteurs inclusifs tels que l’éducation, la santé et l’entrepreneuriat, dans un effort pour promouvoir un développement durable et répondre aux besoins variés des pays africains.
En somme, l’Afrique est devenue un théâtre central pour les ambitions globales de la Chine, illustrant une relation complexe où opportunités et tensions coexistent. Si Pékin parvient à répondre aux aspirations des populations africaines tout en préservant ses intérêts stratégiques, cette coopération pourrait devenir un modèle pour un partenariat Sud-Sud véritablement bénéfique. Cependant, le défi sera de dépasser les critiques pour bâtir une relation durable, équilibrée et respectueuse des spécificités locales.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.