Héritage valorisé et vision intemporelle
Par Mahfoud Bahbouhi
(Ancien diplomate)
L’espace diplomatique demeure, depuis de longs siècles, un champ d’action essentiel pour le Royaume du Maroc, qui s’impose comme un État doté d’une influence régionale stratégique et de grandes ambitions internationales. Il lui offre des opportunités de promouvoir son image de pays avec une identité unique et multiforme, tout à la fois amazigh, africain, arabe et musulman, méditerranéen et atlantique. Un pays fier de sa longue histoire, de son système de monarchie ininterrompue, de son riche patrimoine et de sa culture diversifiée.
Au fil de cette histoire riche et millénaire, la diplomatie marocaine s’est longtemps distinguée par sa maîtrise des techniques et son respect des traditions de la bonne entente et du compromis, entre la défense des valeurs, la personnalité distinguée et le pragmatisme. Tout celà dans le respect du réalisme nécessaire dans un monde régi par les rapports de force entre les principaux acteurs de chaque époque des relations internationales.
Cette tradition remonte à l’antiquité, et plus tard à l’époque médiévale, lorsque le Maroc était une cible des conquêtes phénicienne et romaine, une plaque tournante des routes caravanières sahariennes, et une plateforme d’échanges culturels et d’interactions entre les peuples d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient.
A seulement 14 km de l’Europe, gardien du flanc sud du détroit de Gibraltar, sa situation stratégique à l’extrême nord-ouest du continent africain, et à l’extrême point occidental du monde arabe, lui a conféré le privilège d’être un lieu naturel de rencontres pour les marchands, les voyageurs et les diplomates. Depuis lors, les Sultans marocains ont habilement géré les relations amicales avec les pays voisins et amis, ainsi que les conflits, par la diplomatie, afin de préserver l’indépendance et défendre les intérêts stratégiques du pays.
Instrument formel de la politique étrangère du Royaume, la diplomatie marocaine a toujours représenté la culture multiforme et la riche identité du pays, en tant que creuset où le peuple amazigh, vivant à l’extrême nord-ouest du continent africain, avec sa composante hébraïque, a adopté la religion islamique et la langue arabe avec tout son héritage et poids culturel. Forte de longs siècles de présence et d’expériences, elle a su jouer un rôle de pont historique entre l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe et les Amériques (depuis la découverte du nouveau monde), sans oublier l’interaction auparavant avec les conquérants phéniciens et romains et leur présence au Maroc.
Cependant, cette situation géostratégique particulière du pays n’a pas toujours été une bénédiction pour le Royaume.
Tout au long de son histoire, il a été la cible de la convoitise et des conquêtes de puissances étrangères, chaque fois que certaines de ses dynasties régnantes et le pouvoir central de l’État s’affaiblissaient, ne parvenaient pas ou s’abstenaient de défendre ses frontières et ses intérêts vis-à-vis de l’étranger.
Cependant, il ne faut pas oublier que l’Empire chérifien marocain a longtemps été l’une des principales puissances mondiales, notamment sous les dynasties almoravide (1050-1147) et saadienne (1510-1659). Il a aussi été une puissance maritime respectée durant les 18ème et 19ème siècles. Les routes commerciales des caravanes transsahariennes, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, jusqu’aux contrées appelées jadis le Soudan, ont également été d’importants atouts, dans le renforcement des relations d’allégeance liant les tribus des contrées du Sahara et du Sahel aux Sultans du Maroc. De telles relations ont survécu aux aléas de l’histoire jusqu’à la période coloniale et le tracé des frontières par les puissances européennes.
Cet héritage a rendu vital pour le Royaume d’entretenir des relations bilatérales et de coopération avec de nombreux pays de notre région et au-delà, comme en témoignent les archives diplomatiques et les récits historiques concernant les relations avec des pays tels que la France, la Grande-Bretagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède, etc.
Par ailleurs, le Royaume ne pouvait pas se passer d’entretenir des relations, parfois amicales et parfois conflictuelles, avec l’empire ottoman qui régnait sur toute la région de l’actuel Moyen Orient, une partie de l’Europe méditerranéenne et orientale, et toute l’Afrique du Nord, sauf le Maroc.
Il suffit de relire les détails des récits concernant les missions diplomatiques et des voyages d’Ambassadeurs dépêchés par de nombreux Sultans auprès de leurs pairs européens pour constater la grandeur du Maroc et le respect dont il jouissait durant des siècles. Les échanges de lettres officielles envoyées aux monarques européens et aux sultans ottomans par les Sultans marocains sont également des preuves de cette activité diplomatique de l’époque. Particulièrement, durant le long règne d’Ahmad al-Mansour, de 1578 à sa mort en 1603, le Maroc s’est imposé comme un empire ambitieux, s’étendant jusqu’en Afrique de l’Ouest et entretenant des relations avec l’Europe, dont notamment une alliance avec l’Angleterre contre l’Espagne.
De plus, le célèbre Sultan Moulay Ismaïl, qui régna de 1672 à 1727, entretenait d’importantes relations diplomatiques avec les puissances de l’époque, à savoir les royaumes de France, de Grande-Bretagne et d’Espagne, en particulier avec le roi Louis XIV.
L’un des meilleurs exemples de ce rayonnement diplomatique est le fait que le Maroc fut le premier pays à reconnaître l’indépendance les États-Unis d’Amérique en 1977, et à signer en 1786 le traité de paix et d’amitié avec ce pays alors nouvellement indépendant. Ce document demeure en fait, à ce jour, le plus long accord diplomatique ininterrompu de l’histoire des États-Unis. Force est de rappeler que presque tous les présidents, secrétaires d’État et membres du Congrès américains (tels que John Kennedy, Bill ou Hillary Clinton, Barack Obama et Joe Biden), ont affiché une certaine fierté dans leurs discours officiels sur les relations maroco-américaines, en réitérant ces faits historiques à chaque occasion (comme le montrent les vidéos disponibles sur Internet).
Cette notoriété et présence distinguée sur la scène diplomatique internationale est également actée par les nombreux accords commerciaux, accords d’amitié et accords de protection de flottes commerçantes conclus entre le Maroc et de nombreux pays, notamment européens, au cours des 18ème et 19ème siècles, tels que la Suède, le Danemark, la Norvège, le Portugal et d’autres pays.
Il est bien connu que, depuis des siècles, le Royaume du Maroc a su naviguer dans un environnement géopolitique complexe et les méandres des relations internationales grâce à une forte personnalité et une diplomatie qui a su et sait s’adapter à tous les temps et circonstances. Ceci lui a valu la réputation d’être, et de continuer à être de nos jours, un pont entre l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud, un partenaire crédible, un allié fiable et un acteur pour la modération et la stabilité.
Ce statut et cette présence parmi les autres nations de l’époque n’auraient pu être atteints sans une interaction formelle et informelle active avec le monde extérieur. Ainsi, la diplomatie marocaine a appris à maîtriser l’art et les techniques de navigation dans les relations internationales de l’époque, et continue de le faire de nos jours dans la pratique sur le terrain, dans le respect des traditions, principes et valeurs historiques.
De nos jours, les marocains sont fiers de vérifier chaque jour la véracité et la justesse de la vision éclairée de Feu le Roi Hassan II (règne de 1961 à 1999), le Monarque qui a guidé la construction du Maroc moderne et le renouvellement de sa diplomatie traditionnelle. Dans son livre « Le Défi », Sa Majesté a écrit, en 1976, la métaphore mémorable suivante pour décrire notre pays et son environnement immédiat :
« Le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents d’Europe.

Dossier : La Diplomatie marocaine entre tradition et modernité
Related posts
Catégories
- Economie (39)
- Editorial (22)
- Géopolitique (51)
- Histoire (23)
- interview (14)
- Non classé (4)
- Relations internationales (47)
- Strategie (42)
Rencontrer l'éditeur
HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.