L’histoire libyenne des deux dernières décennies est marquée par la chute d’un régime autocrate, considéré casse-tête de l’Occident et ses affiliés, par sa participation à la déstabilisation d’un grand nombre des pays africains et sa géopolitique des frontières menacée dans son voisinage. Malgré son potentiel financier, le pays n’a pas réussi ses paris afin de sortir de la récession et la voie d’une réconciliation nationale sans ingérence internationale pourrait se réaliser à BOUZNIKA.
INDICATEURS D’INSTABILITE ET DE RIVALITE
Longtemps stable par une autocratie bouillante, la Lybie n’a pas choisi ses voisins, particulièrement ceux qui ont des frontières poreuses ou exportatrices de risques. Le pays a été contraint de recruter des groupes armés de différentes idéologies.
Une géopolitique des frontières troublante
Avec une superficie de 1.759.540 Km2, presque entièrement désertique, la Lybie[1] partage 4348 Km de frontières terrestres avec son voisinage et assure sa souveraineté sur 1770 Km des côtes méditerranéennes. La façade maritime libyenne lui confère une grande richesse halieutique, mais mal exploitée. Par contre, elle constitue une importante richesse pétrolière et gazière dans le Golfe de Syrte.
Ayant acquis son indépendance le 10 février 1947[2],à l’instar de la grande majorité des pays arabes et islamiques, la Lybie était une province Ottomane et avant cela, elle dépendait des empires islamiques qui se sont succédés à savoir Omeyade et Abbasside.
Le pays partage ses frontières avec la Tunisie, l’Algérie, le Niger, le Tchad, le Soudan et l’Egypte. Constitué d’un amalgame de tribus[3] arabes[4], Touaregs[5], berbères[6] et Toubou[7]. Néanmoins, les arabes restent majoritaires et une grande partie de la population a choisi d’être tout près de la mer et dans des localités. Par contre, comme au Sud du Soudan avant sa division, en deux Etats distincts, il est constaté que les tribus dites « africaines » comme les Toubou et les Touaregs défendent de leurs droits et particulièrement la reconnaissance de leur identité. Ainsi, la stabilité du pays qui a perdurée avec l’ancien régime autocrate, s’est transformée en guerre intestine et en attentats terroristes.
Dans le même sillage, les pays qui ont des frontières[8] communes avec la Lybie ont aussi des difficultés en matière de surveillance de leurs territoires et continueront à lui exporter leurs crises. Il s’agit en l’occurrence de :
– La Tunisie a fait l’objet d’attaques terroristes et vie une crise économique sans précédent. Longtemps neutre dans le conflit du Sahara marocain, elle a commis l’erreur diplomatique impardonnable, en recevant avec les honneurs le séparatiste de la pseudo république sahraoui. En crise et entourée de deux frontières sensibles, la contrebande et les crimes transfrontaliers trouvent en Tunisie un terrain fertile à leur évolution. Pour se protéger des imprévus sécuritaire, la Tunisie a été contrainte de mettre en place un système d’obstacles sur 459 kilomètres de la frontière terrestre.
-L’Algérie malgré les moyens militaires dont elle dispose, elle se trouve chaque fois menacée, en plus des terroristes et des criminels, par l’Armée du Général libyen HAFTAR. Pour se protéger des groupes séparatistes l’Algérie a anticipé par des arrestations des membres indépendantistes du Mouvement pour la Libération de Tamanrasset et Adrar, considéré groupe terroriste par le gouvernement algérien.
Ce pays, qui a vécu la période appelée « décennie noire » marquée par le décès de quelque 200 000 personnes, a plusieurs zones poreuses particulièrement avec le Mali. Pourtant, en soutenant le POLISARIO considéré groupe terroriste, qui ne va pas tarder à être condamné par la communauté internationale, l’Algérie a misé son effet majeur dans l’installation de la majorité de ses forces, en défensif face au Maroc.
L’Algérie a constitué un comité d’état-major opérationnel, basé dans son Sahara à Tamanrasset et composé des forces armées du Mali, la Mauritanie et le Niger. Néanmoins, le séparatisme au nord particulièrement le Mouvement d’Autodétermination de la Kabylie (MAK) [9] , et au sud le Mouvement pour la Libération de Tamanrasset et Adrar sont devenus actuellement les premières menaces du pays. D’autres communautés qui se sentent humiliées, pourraient suivre les Azaouad et les Kabyles.
-Le Niger a aussi de grandes frontières qui ne sont pas contrôlées par manque de moyens en ressources humaines, équipements et matériels. Les frontières du pays Est et Sud avec le Tchad et le Nigeria sont particulièrement difficiles à sécuriser. Le pays est concerné par les attaques terroristes et constitue aussi des bases de frappes pour plusieurs groupes séparatistes et terroristes. Ainsi, le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) qui est un groupe armé touareg qui ne cesse de prendre en otage des civils. De même, en plus des affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation Etat islamique, qui opèrent dans la région des trois frontières[10], le Niger est concerné par les attaques du groupe djihadiste Boko Haram qui attaque aussi le Nigéria, le Cameroun et le Tchad.
-Le Tchad est un pays qui n’a pas connu longtemps la stabilité, depuis 1973 suite aux rebellions continues. Ce pays fait face actuellement vers le nord au Front pour l’alternance et la concorde du Tchad (FACT)[11], qui est à l’origine de la mort du feu Maréchal Idriss Deby ITNO et dirigé par Mahamat Mahdi Ali. Certains éléments de ce groupe ont donné leur soutien aux combats aux frères antagonistes libyens des deux côtés[12]. Au sud du pays, il y a un autre groupe armé appelé le Mouvement pour la Paix, la Reconstruction et le Développement (MPDR) sous les ordres du colonel Djedeboum Sadoum[13].
-Le Soudan[14] est touché par une guerre civile qui est à l’origine de la division du pays. Ce pays a aussi plusieurs frontières avec d’autres pays instables et dans ses territoires, il existe plusieurs zones grises. Donc, il est en train de vivre la même situation que la Lybie.
-L’Egypte[15] qui constituait, pour Feu Mouammar KADHAFI [16], l’exemple vivant du panarabisme, traverse des moments difficiles de son histoire. Malgré qu’elle dispose d’un grand potentiel militaire, les jihadistes menacent sa stabilité au Sinaï et sans prendre en considération le dernier incident avec l’Etat hébreu, concernant l’assassinat de trois gardes-frontières israéliens, l’instabilité au Soudan pourrait menacer le Sud égyptien.
Ensuite, le nombre limité de la population libyenne par rapport à la grandeur de son territoire et le manque de moyens humains et matériels feront de ses frontières un terrain facile pour les prédateurs, les criminels bien organisés et pour la libre circulation des biens prohibés. La migration clandestine effectuée dans les côtes libyennes, est la moins contrôlée en Méditerranée. La marine libyenne est dépassée par rapport au flux migratoire.
On pourrait aussi ne pas minimiser un désaccord dormant sur la limite des frontières de la Lybie vis-à-vis de ses voisins. S’il y avait auparavant un conflit ouvert avec le Tchad, les libyens ne vont pas oublier que le colonisateur français a pris par la force une partie de leur territoire, riche en minerais et en hydrocarbures pour l’annexer à l’Algérie. C’est ce qui s’est passé aussi, avec la Tunisie, le Maroc et le Mali. C’est l’histoire coloniale et celle dont témoignent les peuples qui ont été témoins de cette vérité.
En fait, la chute du régime, l’absence d’une armée professionnelle et l’existence de plusieurs frontières poreuses, qui ont besoin de sécurisation[17] a encouragé la prolifération de la traite d’êtres humains, la libre circulation des terroristes et des matériels militaires. Les armes sont sorties du pays vers le Sahel, le Grand Sahara et en direction de l’Ouest de l’Afrique. Même les groupes armés de l’Est africain ont profité de l’armement libyen[18].
Dans tous les cas, on assiste à une présence importante de miliciens tchadiens et soudanais[19] en Lybie. Les forces de défense du Tchad renforcent de temps à autres leur frontière pour couper le chemin aux hommes armés venant du Soudan ou de la Lybie. Cela prouve que les déplacements d’individus armés est habituel dans la région. Car les miliciens partent rendre visite à leurs familles dans les différentes frontières. Sinon, ils font mouvement pour changer de théâtre et d’alliance en vue d’un nouvel enrôlement.
[1] Le nom dérive de LIBOU, un peuple berbère qui a existé depuis l’antiquité.
[2] Après avoir été conquis par le Royaume d’Italie avec comme statut province entre 1911 et 1934 puis entre cette dernière date et 1943 elle est devenue colonie. La Libyea aussi été sous administration des Alliés entre 1934 et 1943.
[3] Bédouins constitués d’environ 61 tribus.
[4] Arabes installés en Libyelors de la prolifération de l’Islam au Nord de l’Afrique.
[5] La tribu Touareg est constituée de plusieurs populations réparties entre l’Algérie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Lybie. Avant le protectorat, à l’intérieur de la frontière marocaine aussi, il existait des Touaregs. D’ailleurs, dans toutes les villes impériales du Royaume vous trouvez des quartiers Touareg, qui avoisinent les palais royaux et qui ont été très fidèles au Roi Moulay Ismail et par la suite à la dynastie Alaouite.
[6] C’est aussi les Amazighs qui ont habité l’Egypte, la Lybie, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, les Iles Canaries et plusieurs régions du Sahel. La majorité des berbères se trouvent à l’Ouest de l’Afrique du Nord, car c’est dû probablement à leur fuite de la conquête arabe qui les ont massacrés au départ. Avant de céder leurs territoires aux arabes, ils ont combattu farouchement. Jusqu’à nos jours les berbères qui jouissent le plus des droits sont les marocains. D’ailleurs, en plus de la reconnaissance de leur langue dans la constitution, pour la première fois dans l’histoire en 2023, grâce à la sagesse de SM le Roi Que Dieu l’Assistes, le jour de l’an amazigh est considéré férié au Maroc.
[7] On les appelle aussi les Gouranes. Ils sont des nomades du Sahara central répartis entre le Sud de la Lybie, le Nord-Est du Niger et au Nord du Tchad. La Libyea déjà eu un conflit avec le Tchad, entre 1978 et 1987, à cause du contrôle de la Bande d’Aozou et a perdu la bataille. Le Tchad continue de contrôler cette Bande.
[8] Le régime de KADHAFI qui savait que la société libyenne est basée sur les alliances tribales, a chargé les milices de surveiller et contrôler les frontières du pays avec le Tchad et le Niger.
[9] Ce mouvement politique exilé en France et considéré terroriste par le pouvoir, commence à avoir des soutiens occidentaux et certains pourraient se rallier à sa cause.
[10] Les trois frontières sont constituées du Niger et de l’Ouest avec le Burkina Faso et le Mali.
[11] Ce mouvement politico-militaire, généralement constitué des populations du nord tchadien a été créé en 2016 suite à la scission de l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD) de Mahamat NOURI, qui à son tour était un opposant du feu président tchadien Idriss DEBY. Sa base arrière est en Libye. Pour plus de détails sur les activités de ce groupe armé séparatiste visiter https://www.facebook.com/LeFACT/
[12] Il parait 3000 combattants qui ont participé avec les deux protagonistes libyens. Lire Arica intelligence, le quotidien du continent, page 1 /3, du 03 /05 /2023.
[13] Lire https://www.refworld.org/docid/57f7a2644.html
[14] Pour plus de visibilité, visiter geopolitique.ma et lire article intitulé « Soudan en agonie ».
[15] Pour plus de précision, visiter geopolitique.ma et lire article intitulé « Diagnostic d’une Egypte souffrante ».
[16] Le Colonel Mouammar ELKADHAFI considéré ‘’guide de la révolution’’ de la Jamahiriya arabe libyenne a dirigé le pays de 1969 au 2011.
[17] Il y a lieu de rappeler que La résolution 2509 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 11 février 2020, maintient les sanctions imposées à la Libye depuis 2011, l’embargo sur les armes et le gel des avoirs liés à l’exportation illicite de pétrole.
[18] Les groupes armés et les terroristes ont eu accès aux armes légères, les explosifs, les lance-roquettes, les batteries anti-aériennes et il parait même les missiles sol-air.
[19] Certains de ces rebelles soudanais qui combattaient le régime de Omar El BECHIR ont choisi de revenir au pays, à partir du début de l’été 2022, pour intégrer l’armée régulière. D’autres ont choisi le maquis ou le mercenariat.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.