13 ème Congrès de l’AFRICA ROMANA, Djerba, Tunis, pp. 1169-1174.
Notre démarche -ici- est de mettre, avec toute modestie, en évidence les particularités de l’étude de l’histoire romaine d’Afrique romaine, ceci en comparaison avec celle des autres provinces romaines de la partie occidentale de la Méditerranée.
Certes, l’étude de l’histoire romaine en Occident n’est pas chose nouvelle. Mais, à la différence des provinces espagnoles et gauloises, l’analyse des rapports romano-africaines n’est pas neutre. Sur le plan chronologique, la fin de la seconde guerre punique marque un tournant dans l’attitude des peuples de la partie occidentale de la Méditerranée vis – à – vis des deux puissances de l’époque.
La compagne d’Hannibal a déterminé plus tard le choix tactique des Romains dans la conquête d’Afrique du Nord. Le passage par l’Espagne était obligatoire pour chercher des alliances soit sur la rive sud de la Méditerranée.
Rome et Carthage étaient conscient de l’impossibilité de vaincre son adversaire en attaquant directement le noyau, autrement-dit (les deux capitales). Ils en ont fait l’expérience lors de la première guerre punique. Donc en arrivant par la périphérie, Hannibal a compris l’éventualité et l’intérêt de contourner son ennemi, ce qui ferra à la péninsule ibérique une plaque tournante dans les rapports de Rome -jusqu’au début de l’époque impériale- avec les provinces d’Afrique du Nord et, du moins lors des crises politiques, notamment les guerres civiles dont les sources littéraires en ont fait l’écho, ainsi :
– Les Scipions 218-203 et leurs tentatives d’alliances avec les royaumes numides (arrivée de Scipion chez Syphax) ([1]).
– Les passages de Massinissa en Espagne pour soutenir des alliés: les
Carthaginois et plus tard les Romains ([2]) .
– Les périples de reconnaissances des côtes sud de la Maurétanie
occidentale devaient faire escale à Gadès, une fois le passage du détroit de Gibraltar, le cas d’Eudoxe de Cizyque et ses prédécesseurs est le plus net ([3]), car il est très difficile de l’affirmer en ce qui concerne le périple de Polybe ([4]).
Les visiteurs venus en occident de la Méditerranée (Phéniciens, Perses, Grecs et plus tard les Romains) ont choisi à l’époque classique (à partir du VIIIème av. – C.) de concentrer leur présence sur le triangle suivant : Carthage, marssilia et Gadès. La première cité était le berceau de l’Empire Carthaginois, concurrent des Romains, qui organisa ses relations extérieures avec les royaumes d’Afrique du Nord. Quant-à la partie nord de la Méditerranée occidentale, elle était disputé entre nos deux protagonistes.
On peut conclure que le destin historique de l’ouest de la péninsule ibérique et de la future Proconsulaire fut déterminer par la victoire de Rome sur Carthage. Cette performance sur les anciens propriétaires d’Afrique du Nord est venue à partir des terres espagnoles et, en particulier de Carthagène, véritable plaque tournante et base arrière des opérations militaires menées par :
– Hannibal contre Rome ([5]).
– Scipions à partir de 218 av. afin d’obtenir l’amitié des royaumes limitrophes des Carthaginois ([6]).
– Dans sa fuite, Sertorius le marianiste a pu dans un premier temps trouver refuge en Espagne avant de s’exiler vers la Maurétanie occidentale ([7]).
– Lors du second triumvirat, l’Ibérie était -de nouveau- le premier terrain de bataille avant l’Afrique du Nord ([8]).Mais, une fois que César triompha sur l’une des deux contrées, la seconde devint le lieu de refuge.
– lors de la conjurations de Catilina, Sittius a fait, dans sa fuite, un escale en Espagne avant de s’installer définitivement en Maurétanie ([9]).
Nous retiendrons donc que la mer séparant l’Afrique du Nord des autres provinces d’Occident a permis une sortie de secours ou un lieu de refuge pour les « ennemis de la Republique ».
Déjà les mythographes grecques avaient tenu à ce que leurs héros Ulysse et Hercule débarquent en premier en Ibérie avant l’Afrique du Nord. Le premier arriva chez Circée, localisée par R. Dion ([10]) dans la région de Malaga, avant de naviguer vers l’île de Calypso, située par V. Bérard ([11]) prés de Céuta.
Le second héros (Hercule) débarqua en premier lieu dans la région de Gadès afin de ramener à l’Olympe le troupeau de Géryon,. Dans une seconde étape, il se dirigea vers les Jardins des Hespérides en Afrique du Nord pour les Pommes d’Or ([12]).
Il est fort probable que les créateurs de mythes s’inspirent de la réalité historique afin de tisser leurs fables, ceci nous conduit à penser qu’avant l’époque de Homère les marins grecques et orientaux ont exploré en premier la péninsule ibérique avant l’Afrique du Nord. Le facteur géographique était déterminant dans ce choix. Pendant la phase exploratoire, les îles de Sardaigne, Sicile et les Baléares ont constitué des points de relais rapprochées les uns des autres pour rassurer les explorateurs dans leurs aventures vers l’Ouest.
Si l’on excepte les arabo-musulmans, la plus part des « visiteurs » d’Afrique du Nord sont venus par voie maritime. Il est logique que la plupart des contacts des « anciens visiteurs », avec la grande partie de ce contrée, se fasse à partir de la péninsule ibérique.
Ce qui consolide cette hypothèse, c’est l’arrivée des arabo-musulmans en Afrique du Nord par voie terrestre a influencé à jamais le mode de vie des peuplades de cette partie de la Méditerranée. Par ailleurs, malgré la présence de ces derniers en Ibérie pendant longtemps (VIII siècles), leurs traces sont restés en tant que ruines comme c’était le cas des Romains en Afrique du Nord.
Cette réalité pourrait s’expliquer par la transfert de centre de commande de du nord de la Méditerranée vers le sud, c’est – à- dire de Rome vers Damas (capitale de l’empire Ommayade). Ajoutons à cela que le passage du détroit de Gibraltar a constitué un obstacle soit pour les Romains et pour les Ommayades afin de laisser à jamais leurs empruntes en Afrique du Nord concernant les premiers et en Ibérie pour les seconds ?
En comparaison avec les autres provinces occidentale ( les Gaules et les Espagnes), l’étude de l’histoire de l’Afrique romaine a eu la particularité d’être orienter sur une double voie. La première est celle des visiteurs Phéniciens, Carthaginois, Romains et Vandales. La seconde est concentrée sur l’analyse de la réaction des tribus d’Afrique du Nord vis-à-vis du comportement des autorités romaines.
En l’absence des sources témoignant de l’histoire des « autochtones », les adeptes de l’histoire de la résistance des africains à la romanisation se base sur le résultat: départ des visiteurs en tant que constat d’échec de la romanisation . Par conséquent, le silence des tribus ([13]) est interprété comme une forme de résistance.
Cependant, cette attitude vis-à-vis des visiteurs n’est pas une particularité propre aux africains. De chez Tite Live ([14]), nous avons relevé un précieux texte témoignant de la conscience « nationale » de l’une des tribus espagnoles, entre-autres les Volcani, localisées au nord de Sagonte. Il s’agit d’un discours, adressé par l’un des membres de cette tribu, juste après la prise de Sagonte ([15]) par les carthaginois en 218 av., aux généraux romains, venant cherché une alliance :
« Avez – vous quelque pudeur. Romains, vous qui nous demandez de préférer votre amitié à celle des carthaginois, quand ceux qui l’on fait, vous, leurs alliés, les avez trahis avec plus de cruauté que n’en a eu le punique, leur ennemi, qui a causé leur perte ? Mon avis est que vous cherchiez des alliés là où le désastre de Sagonte n’est pas connu : pour les peuples d’Espagne, les ruines de Sagonte serviront d’avertissement non seulement funeste mais exemplaire, pour empêcher quiconque de se fier à la bonne foi ou à l’alliance romaine… ».
Nous possédons d’autres formes de résistances en Occident, voir l’épisode de Viriathe en Espagne, celui de Vercingétorix en Gaule. Dans le troisième livre de sa Géographie, consacré à la géographie historique de l’Ibérie, Strabon ([16]) n’est pas du même avis :
« Touchant les voyages aventureux des Grecs chez les peuplades barbares, on serait tenté de croire qu’ils ont eu pour cause le fractionnement de leurs nations en états minuscules et le refus orgueilleux de se soumettre aux obligations mutuelles qui sont les conditions nécessaires de la puissance, car ils étaient de ce fait, sans force devant les envahisseurs étrangers… ».
D’après ces deux témoignages, il est intéressant de constater l’existence, vers la fin du Ier av. J.-C. et le début Ier ap. J.-C., de deux avis différents, le premier défend l’attitude instinctive des « locaux. ». Le second, lui, nous présente le point de vue de la ligne officielle.
Mais, à la différence des autres provinces romaines occidentales, pourquoi les spécialistes moderne et contemporains de l’histoire de l’Afrique du Nord ont perpétué cette tradition de résistance, alors que l’ensemble des peuplades de l’extrême-occident ont eu presque la même réaction instinctive de rejet vis -à- vis des Romains ? Le témoignage suivant de Strabon ([17]) concernant la Germanie en est en est un parfait exemple :
« Ces peuplades germains ne nous sont connus que depuis qu’ils sont devenus les ennemis des Romains, ennemis acharnés… ».
Il est fort probable que l’amalgame fait entre l’histoire ancienne et contemporaine de cette région a rendu l’étude de la période romaine en Afrique du Nord sensible. L’analyse de cette situation pose nécessairement la question de l’origine de cette orientation conflictuelle de l’étude l’époque romaine en Afrique du Nord.
A l’origine, la relance de l’étude de l’histoire romaine en Afrique du Nord a été -en gros- entreprise par les « visiteurs » de la fin du XIX ème et du début XXème. Par conséquent, nous avons -dans un premier temps- le courant colonialiste de droite et, plus tard les anti-colonialiste de gauche. Les premiers explorateurs de l’histoire romaine de cette partie de l’Afrique du Nord ont considéré l’exercice de ce métier comme étant une introduction de la politique. Ainsi, l’histoire romaine de ce contrée a été forcément politisé.
Ajoutons à cela qu’à à la différence des autres provinces de la partie occidentale de la Méditerranée, la particularité de l’Afrique du Nord est d’avoir été la seule région à être imprégner par la civilisation du Proche Orient du VIIème ap.
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Le choc entre le mode de vie tribale et de cité n’est pas une spécificité propre à l’Afrique du Nord. Cette « confrontation » de deux modes de vie est une réalité qui a touché l’ensemble des peuples de la Méditerranée qui se sont frottés aux aspirations « expansionnistes » romaines. Mais, l’étude de l’histoire romaine de l’Afrique du Nord a d’une part insisté sur cette différence. L’historiographie coloniale nous rapporte que l’étude de l’histoire romaine de l’Afrique du Nord a crée et perpétuer cet esprit de dualité entre les Romains et les tribus locales.
A ce propos, nous nous contenterons d’un seul exemple, c’est celui de Ch. Saumagne ([18]). Il considère que la présence, sur un même territoire, du berbère ou de l’Arabe avec le Roùmï ([19]) ressemble à un phénomène chimique. C’est que dans un même flacon, on note une juxtaposition de l’huile et l’eau mais jamais de mélange.
De nos jours, le fait de traité ce sujet met le chercheur dans l’embarras, parfois une certaine gêne s’installe. On n’est pas – par manichéisme – à la recherche du coupable et de la victime. Il est simplement question – ici – de signaler que l’étude de l’histoire romaine de l’Afrique du Nord a pris un mauvais départ, car elle avait peut-être le tord, à partir du VIIIème siècle, de connaître un destin historique différent des anciennes provinces romaines de la partie occidentale de la Méditerranée qui a imprégné à jamais sa culture. Le plus curieux, c’est que sur le plan politique, l’Afrique du Nord à tenus à réaliser – à partir de 122 de l’Hégire / 740 ap. son indépendance politique du centre (Damas ou plus tard Bagdad). S’agit -il ici d’un pure hasard ou d’une particularité chez les habitants de cette région ?
Pour conclure, on peut dire que l’intérêt actuel pour l’étude de l’histoire romaine de l’Afrique romaine repose sur une perception nouvelle, ou peut-être, de façon plus radicale, sur totale remise en cause de la dualité stérile entre la conquête et la résistance. Ce mouvement, déjà amorcé, fut en quelques sorte dépassé par l’intérêt récent pour l’étude de deux modes vies différents, celui des tribu en Occident, et celui de la cité romaine.
Et enfin, nous avons tenté -ici- de mettre en valeur l’un des thèmes les plus complexe de l’histoire romaine qui sera certainement mieux illuminer à travers vos illustres contributions.
Dr. Rahmoune El Houcine.
Université Hassan II Mohammedia
Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines, Maroc.
[1] – Tite Live, Histoire romaine, XVII, 5 – 9.
[2] – Idem, XVI, 5, 10 – 12.
[3] – Strabon, Géographie, II, 3, 4 – 5.
[4] – Pline l’Ancin, Histoire naturelle, V, 9.
[5] – Tite Live, XXI, 21 – 30.
[6] – Idem,XXIV, 48 – 49.
[7] – Plutarque, Vies (Sertorius), VIII, 7, 1 -4.
[8] – Guerre civile, II, 7, 2.
[9] – Cicéron, Discours (Pro Sylla), XX, 56 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XLIII, 3 ; Appien, Histoire
romaine, IV (Guerre civile), 54.
[10] – R. Dion, Aspects politiques de la géographie antique, Paris, Les Belles Lettre, 1977, pp. 145 – 147.
[11] – V. Bérard, Les Phéniciens et l’Odyssée, t. I, Paris, A. Colin, 1902, pp. 240 – 246.
[12] – J. Carcopino, Le Maroc antique, pp. 44, 60 – 7.
[13] – Il est question -ici- d’absence de africaines à propos de la présence romaine en Afrique du
Nord.témoignages littéraires et archéologiques concernant l’avis des tribus africaines à propos de la
présence romaine en Afrique du Nord.
[14] – Tite Live, XXI, 18, éd. de P. Jal.
[15] – Cette cité avait un traité d’alliance avec Rome. En cas d’agression extérieure, les Romains devaient venir
au secours de cette cité espagnole.
[16] – Strabon, IV, 5 ; éd. de .F. Lassére
[17] – Idem, VII, 4.
[18] – Ch. Saumagne, La romanisation de l’Afrique du Nord, 1913.
[19] – Tout in individu appartenant à la civilisation gréco-romaine et judéo-chrétienne.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.