Longtemps stabilisé par des régimes militaires, le Soudan qui pouvait fournir à toute l’Afrique la nourriture, grâce au Nil et grandes étendues de terrains fertiles, se trouve lui-même confronté au manque des produits alimentaires. La guerre fratricide a appauvri les familles et fait déplacer les populations vers les frontières voisines. Pouvant aussi bénéficier de ses richesses en pétrole, en or, en d’autres minerais et sa rente stratégique grâce au Port-Soudan, il est devenu un théâtre d’affrontements de puissances régionales et internationales.

 La naissance d’un autre Etat au Darfour a toujours constitué un enjeu majeur et cette implosion en est la cause.  Par ailleurs, on se demande quelles sont lectures géopolitiques possibles, de la fermeture du triangle frontalier ?

En effet, la décision des autorités de l’État fédéral du nord interdisant la libre circulation des personnes de la région d’Al-Khanaq vers le triangle frontalier réunissant   le Soudan, la Libye et l’Égypte[1], a été prise par Abdul Muez Ahmed Amin, directeur de l’unité administrative du martyr Ismail Bilal Ismail. La version des autorités repose sur le fait d’arrêter les déplacements, d’asile en cours vers la Libye et suite à la surpopulation du triangle frontalier par les soudanais déplacés, touchés par la misère, le manque considérable de moyens de survie, la propagation des maladies, et les différents crimes transfrontaliers. D’ailleurs, dans la ville libyenne de Koufra[2], devenues surpeuplées, il n’y a pas de centres pour accueillir autant de familles[3].  

Parallèlement, les autorités de la Libye ont dépêché des dizaines de patrouilles dans le désert et on durcit les procédures d’entrée en confisquant les voitures et en imposant des amendes aux conducteurs dépassant les 1 000 dollars américains. Suite aux combats sans arrêt dans le Darfour du Nord, plus d’un millier de soudanais passent clandestinement vers Koufra.  

Ce qu’il ne faut pas omettre aussi, c’est que les combattants des groupes armés au Tchad, au Soudan et en Libye se déplacent dans la région pour défendre l’une des causes ou exercer en tant que mercenaires. Leur mobilité dans la région pourrait les priver de leurs familles, lors des permissions. Les forces en présence au conflit en Libye compte beaucoup sur les combattants du Tchad et du Soudan.   

Par ailleurs, on véhicule souvent que la base maritime de Tartous, n’est pas seulement construite en terre syrienne à titre compétitif contre l’OTAN en mer Méditerranée. Mais, cette infrastructure pourrait en plus de la pression régionale, constituer une entrée, via le côté libyen, de l’armement lourd au profit des Etats du Sahel qui ont mis fin à leur relation avec la France et certains pays de l’Occident.

Le Soudan qui allait donner l’opportunité à la Russie et peut-être à la Chine pour installer une zone d’influence sur la mer Rouge et l’océan Indien, est devenu en flamme. Par contre, le côté Est de la Libye demeure le territoire le plus proche de Tartous et pourrait constituer un pont favorable pour le transit des matériels majeurs vers les trois Etats du Sahel nouvellement unis (Mali, Niger et Burkina Faso).  

Certes, la possibilité d’infiltrer les combattants ou faire passer des matériels, par délégation au Sahel n’est pas difficile. La Tunisie a été vivement critiquée par les puissances occidentales lorsque des avions russes ont atterri dans ses territoires et on croyait qu’il s’agissait de forces Wagner. Mais, la possibilité de donner l’occasion à l’Iran, en faveur de la Russie, pour transiter vers l’Algérie, est une option réalisable.

 Dans ce sillage, le pouvoir tunisien a hérité d’un pays en faillite économique, qui a des problèmes externes avec les institutions financières internationales, l’Union européenne et avec certains pays amis, africains et arabes. Au niveau interne, sa guerre contre les importantes figures de l’opposition et en particulier avec les islamistes va continuer à nuire à la stabilité du pays. A l’instar de l’Algérie[4], le gouvernement a choisi le camp iranien et aura comme adversaire politique, la majorité des pays arabes et de l’Occident.  

Ce changement de cap, vers un Etat islamique chiite[5], sera surement à l’origine d’un coup d’Etat qui se prépare ou d’une implosion proche de la population tunisienne. Comment chercher à écraser des islamistes sunnites tunisiens et renouer avec des islamistes chiites ?  Les populations ont été longtemps habituées à l’ouverture, malgré les régimes de plombe, des feux présidents BOURGUIBA et BENALI, et sans oublier qu’ils considéraient au départ, leur printemps arabe réussi. Jamais, depuis l’indépendance, la Tunisie n’a vécu cette ère d’incertitude.

L’association à ce transit pourrait arranger l’Algérie qui perd de plus en plus ses repères diplomatiques, face à la dynamique marocaine. La reconnaissance définitive du plan d’autonomie du Sahara marocain est une cause valable du pouvoir algérien afin de faire pression et participer à l’éloignement français du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Mais, c’est une carte déjà brulée. Car, la présence historique marocaine dans cette région d’Afrique va surement aider les pays amis à chercher la stabilité et développer leur capacité d’adaptation face aux changements géopolitiques internationales.  

Ainsi, La décision des autorités soudanaises, interdisant la libre circulation des personnes de la région d’Al-Khanaq vers le triangle frontalier, est un signal fort en matière de géopolitique des frontières. Cette décision pourrait anticiper des déplacements qui peuvent agir sur les rapports de force au Sahel.  

Néanmoins, si les frappes aériennes résolvent beaucoup de problèmes, l’armée soudanaise, qui possède une force aérienne n’a pas à son tour réussi à faire face à la guerre asymétrique. Au contraire elle subit à son tour la technologie apportée par les drones.    

Les opérations par air mis en action

Les opérations aériennes dites chirurgicales confirment le poids du renseignement qu’il soit humain ou technologique dans les derniers conflits auxquels le Soudan n’a pas échappé.      

Par le passé, au cours de la sortie d’une promotion de l’académie militaire, des drones de groupes armés, considérés terroristes, ont cartonné leur tir. L’attaque a fait « 112 morts dont 21 civils et au moins 120 blessés ». [6] 

Cette fois-ci le même scénario s’est produit, alors que Le lieutenant-général Abdel Fattah Al-Burhan, confirmait que tant que les rebelles seront présents dans le territoire, la guerre continuera et ne s’arrêtera pas. Les drones ont visé l’assassinat d’Al-Burhan alors qu’il participait à la remise des diplômes aux officiers de la région militaire de Jabit[7].

Dans le même sillage, Le chef du mouvement islamiste palestinien Hamas, Ismail Haniyah, a été tué dans une attaque israélienne dans la capitale iranienne et aussi le commandant Fouad Shukr l’une des importantes figures du groupe chiite libanais du Hezbollah.

En fait, le combat généralement motorisé au Soudan pourrait être renforcé par des drones fournis par ceux qui ont intérêt à financer cette guerre intestine. Les industries militaires du monde entier ont plus que reconnu la valeur de cette technologie.  

Dans cette nouvelle guerre entre puissances, l’élargissement des zones d’influence et des espaces stratégiques russes dispersent les fronts de l’OTAN qui est concentrée beaucoup plus sur la guerre en Ukraine. L’instabilité au Moyen et au Proche Orient diminuent aussi les capacités des objectifs stratégiques occidentaux qui vont finir par trouver, obligatoirement, une sortie au conflit ukrainien.

Infinie,  diplomatiquement, il y a une petite lueur  d’espoir suite à l’invitation américaine au sommet de paix entre frères antagonistes en Suisse[8], annoncée par le ministre soudanais des affaires étrangères et aussi grâce à la deuxième réunion consultative, de Djibouti[9] sur le renforcement de la coordination des initiatives et des efforts de paix au Soudan.  

Ce sommet a mis en garde contre les conséquences de la situation humanitaire et sécuritaire complexe dans ce pays, appelant à un cessez-le-feu des deux côtés, au renforcement d’un dialogue politique soudanais global et au rétablissement de la paix et de la stabilité. Mais, l’attaque au drone du président pourrait aussi constituer une entrave grave à ces appels de paix étrangers.   


[1] Situé à environ quatre cents kilomètres de Dongola, la capitale de l’État du nord.

[2] Ville libyenne proche du triangle frontalier.

[3]  Pour plus de précisions lire le site électronique AL-BALAD NEWS du 2 Août 2024. Le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Libye a annoncé en juin dernier l’enregistrement de 40 000 réfugiés soudanais.

[4] Il se pourrait que la Tunisie ait été influencée par l’Algérie afin de renforcer les relations avec la république islamique iranienne. On parle de dons et d’empreintes pour sauver le pays du désastre. Aussi, le nouveau maitre du Palais de Carthage a carrément changé la politique tunisienne connue auparavant par son professionnalisme et sa neutralité dans les dossiers virulents.

[5] Le pouvoir tunisien veut s’appuyer sur l’Iran pour sortir de sa crise économique. Il a signé des accords commerciaux et a été parmi les rares Etats à se faire représenter par un président, lors des funérailles du premier ministre iranien mort accidentellement par hélicoptère. 

[6] Voir pour plus de  détails https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231006-la-syrie-enterre-les-militaires-tu%C3%A9s-dans-l-attaque-de-drones-%C3%A0-homs

[7] https://alzaawia.net/82459 du 03 Août 2024. Cinq parmi les présents à la cérémonie militaire, ont été tués.

[8] Journal ASSOUDANI du 03 Août 2024.

[9] Idem.