Article écrit par Nicaise Kibel’Bel Oka
La doctrine militaire de la Rwanda Defence Force’s(RDF) sur la République démocratique du Congo repose sur un constat d’échec de la politique du Front patriotique rwandais (FPR) à conquérir définitivement les deux territoires de Masisi et Rutshuru.
Partant du principe selon lequel toute guerre signifie avant tout la conquête d’un espace, elle est bâtie sur deux piliers, l’hégémonie expansionniste et le pillage des ressources minières de l’est du Congo. Depuis 1996, le FPR a fait une guerre lente pour économiser les hommes (notamment la minorité Tutsi). Car, la doctrine militaire rwandaise depuis 1994 découle sur un fondement démographique de la préservation d’une minorité contre une majorité à écraser, faute de la neutraliser.
L’on peut comprendre que la priorité du régime FPR n’est pas de s’emparer d’un maximum de territoires congolais. Il ne sait quoi en faire. Il n’a pas assez d’hommes pour les occuper et les gérer en les soumettant sans tension.
Ce qui intéresse le régime Kagame, c’est la partie habitée par les locuteurs kinyarwanda. C’est l’une des raisons pour lesquelles le régime FPR crée des rébellions à la tête desquelles, il place des Congolais essentiellement de l’’est du Congo[1].
Cette politique est dans la continuité de recruter des Congolais notamment des territoires adjacents aux deux territoires. C’est ce qui justifie la présence actuellement de Corneille Nangaa après tant d’autres passés avant lui. Elle consiste dans les calculs du FPR à responsabiliser des Congolais qu’on croit capables de drainer des populations congolaises habitant au-delà de ces deux territoires de Masisi et Rutshuru.
Traduite dans les faits, cette doctrine militaire voudrait que la Rwanda Defence Force’s (RDF) opte pour la stratégie d’abandon volontaire des territoires de Masisi et Rutshuru une fois occupés pour se positionner à la limite naturelle (Kanyabayonga) entre les populations d’expression kinyarwanda et les autres (Nande)[2]. Face aux groupes armés, la RDF est habituée à jouer le jeu du chat et de la souris, en les instrumentalisant et les opposant les uns contre les autres[3].
Ceci, afin d’éviter l’avancée des FARDC dans une éventuelle contre-offensive. On ne fait pas la guerre devant sa porte. Pour le pouvoir FPR, une fois les parties convoitées conquises militairement, la guerre ne devient plus une urgence. Elle doit être gagnée autrement, non plus en sacrifiant inutilement les hommes. C’est ce qui explique le respect du cessez-le-feu, malgré quelques escarmouches, une fois la doctrine militaire a été bien appliquée.
Économiser des vies humaines rwandaises
Pour mieux comprendre l’économie des vies d’une population minoritaire à préserver, il faut partir du soutien de l’Ouganda au pouvoir à Kigali dans la prise de Bunagana et de la Rwindi.
On aura beau accuser l’armée ougandaise (UPDF) de se battre aux côtés de l’armée rwandaise. La réalité paraît tout autre. Il faut comprendre comment sont organisées les forces militaires et paramilitaires en Ouganda.
En effet, en Ouganda, les sociétés militaires privées qui foisonnent sont (presque) toutes contrôlées par la famille Museveni, hier par son frère le général Salim Saley et aujourd’hui par son fils unique, le général Muhoozi, commandant en chef de l’armée ougandaise.
Les sociétés de gardiennage en Ouganda sont des supplétifs de l’armée ougandaise surtout que, dans la plupart de cas, elles sont recrutées dans l’ethnie du président Kaguta Museveni.
Elles opèrent aux côtés de l’Uganda People Defence Force’s (UPDF) dans les missions à l’extérieur et parfois sont appelées à la rescousse pour mater les manifestations à l’intérieur du pays.
Selon des sources concordantes, le contingent ougandais qui appuie les rebelles du M23 aux côtés de la RDF serait composé par des éléments des SMP (sociétés de gardiennage) recrutés, entraînés, équipés et encadrés par l’UPDF. Ils échappent souvent au regard des forces régulières puisqu’ils répondent de la famille du Chef de l’État ougandais.
Une guerre économique avec un palier militaire
La guerre contre la RDC est une guerre économique au travers de laquelle le pouvoir FPR trouve toute sa force et sa survie. Il instrumentalise les groupes armés en échange des minerais[4]. Une guerre conventionnelle se joue entre deux acteurs devant un monde extérieur transformé en un immense public. Or, la guerre qu’impose le Rwanda à la RDC, tout en niant la participation de son armée, ne peut être conventionnelle dans un monde où les multinationales profitent des ressources naturelles de la RDC. Elle devient hybride.
Tous les affrontements guerriers ont une dimension économique, mais les causes économiques ne sont jamais suffisantes pour expliquer à elles seules ces conflits violents comme le souligne Pierre Bezbakh de l’Université Paris Dauphine[5].
La doctrine militaire du Rwanda calquée sur celle d’Israël contre les Palestiniens l’autorise cyniquement à frapper des camps des déplacés autour de Goma sans émouvoir la communauté internationale qui reste sur de timides condamnations du genre « Dont acte » et ceux qui en tirent bénéfice[6].
Aussitôt que la guerre a été lancée, l’on a commis l’erreur de croire que la guerre économique était moins violente que la guerre tout court. Aujourd’hui, l’on se rend à l’évidence qu’elle est aussi meurtrière que la guerre par les armes. Elle affame Goma. Pour preuve, la ville de Goma est asphyxiée. A la rareté des denrées de première nécessité s’ajoute la hausse des prix. Entre les déplacés, la famine et l’insécurité, Goma rayonne dans l’immobilier jusqu’à paraître la ville la plus propre du Congo.
Faire entrer la partie est du Congo dans l’hégémonie rwandaise
La guerre d’agression telle que vécue aujourd’hui n’aurait pas eu lieu si la RDC avait opté et accepté de demeurer dans l’hégémonie rwandaise de soumission, d’aveuglement et d’admiration comme ce fut durant le règne de Joseph Kabila. Les opérations de brassage et de mixage des troupes et les opérations militaires conjointes RDF-FARDC de traque des Forces Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR), ont été une offrande de Joseph Kabila à Paul Kagame. Pour ceux qui peuvent en douter, je donne l’exemple de la CHAN (Championnat d’Afrique des nations à laquelle ne participent que des joueurs locaux) gagnée par la RDC à Kigali dont la coupe est passée par Goma sans être célébrée de peur d’énerver le parrain.
Tout refus d’entrer dans le giron hégémonique du Rwanda, d’être à sa merci contre les Hutu rwandais conduit automatiquement à une guerre d’agression du Congo depuis Laurent-Désiré Kabila.
Félix-Antoine Tshisekedi l’a compris en retard et paie de sa détermination à vivre en congolais. Parce que préserver la souveraineté de son pays est pour un chef comme pour tout peuple une exigence morale.
Kagame n’a pas l’éternité devant lui
Pour Paul Kagame, le M23 rénové, c’est l’agression de la dernière chance. Il faut obtenir le plus vite possible une victoire définitive qui règle les problèmes que son régime a aggravés pour ne pas être rattrapé par l’histoire. C’est ce qui explique qu’il doit gagner du temps. Par des négociations. Par des dialogues. Par des trêves ou pire, par de gel de ce conflit.
C’est tout ce que Museveni et lui ont imposé à Joseph Kabila durant 18 ans à la tête de la RDC.
Même alors que le M23 était soutenu par Kigali et Kampala, les pourparlers pour une paix en RDC devaient se passer à Munyonyo (Ouganda) sous la présidence du ministre de la défense de l’Ouganda avec la prise en charge financière des rebelles par le gouvernement congolais.
L’on peut comprendre les tergiversations des voisins de la RDC dont le président du Kenya William Ruto à aider à la fin de sa déstabilisation.
L’on doit aussi ne pas perdre de vue l’attitude des Occidentaux soufflant le chaud et le froid notamment les États-Unis qui ont une préférence pour la violence et pèsent souvent à travers l’aggravation des conflits comme au Proche-Orient. Parce que pour fonctionner le monde, les États-Unis ont besoin de la violence[7], ils ont rendu la MONUSCO inefficace comme l’a reconnu le Secrétaire général de l’ONU[8].
Paul Kagame rêve d’un pays imaginaire, un Rwanda qui doit contrôler le Kivu ou qui doit avaler le Kivu et l’Ituri[9].
Voilà pourquoi le Rapport de la Commission du Parlement rwandais du 3 juin 2024 déclare pince sans rire que l’armée rwandaise est au Congo pour défendre les Tutsi, les Banyamulenge et les Hema. Or, les exclus Hutu sont des Rwandais de souche et font partie du Rwanda.
Le paradoxe dans son absurdité réside en ce que le Rwanda qui a agressé la RDC et qui occupe des territoires de la RDC apparaît aux yeux de l’ONU comme une force de paix.
Il est le 4ème pays contributeur en troupes de mission de maintien de paix à travers le monde. Dans ces conditions, comment faire comprendre à l’ONU le désastre humain en cours en RDC depuis 30 années déjà ?
Pour Paul Kagame, cette agression-ci est la dernière. On la perdra ou on la gagnera sinon, le temps du repli est arrivé. On n’arrête pas l’histoire. Sa roue tourne étonnement aussi vite qu’on peut l’imaginer.
Conclusion
Le président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi a parlé lors de la 79ème assemblée générale des Nations-unies évoquant la situation dramatique due à l’agression que connaît le Congo. Curieusement, la plupart des Chefs d’État n’ont pas considéré le conflit en RDC comme un problème urgent auquel il faut des solutions hic et nunc. Cette ineptie inacceptable considérée comme deux poids, deux mesures, observée au dernier sommet de la Francophonie à Paris l’a poussé le président Félix Tshisekedi à boycotter le déjeuner de clôture du sommet et le huis clos voulu par le président Macron[10].
Cela signifie au simple que la RDC doit rendre ses forces de défense et de sécurité plus professionnelles et plus adaptées aux menaces actuelles et futures. Et donc, la RDC ne doit d’abord que compter sur elle-même si elle veut survivre. Je m’en voudrais de ne pas faire référence au discours d’adieu à la nation du Président américain David Eisenhower le 17 janvier 1961 mentionnant deux menaces nouvelles de par leur nature ou leur degré : « Un élément essentiel pour conserver la paix est notre système militaire. Nos bras doivent être puissants, prêts pour une action instantanée, de sorte qu’aucun agresseur potentiel ne puisse être tenté de risquer sa propre destruction ». Cela vaut pour la RDC, au cœur des convoitises.
Nicaise Kibel’Bel Oka
[1] Après avoir essayé avec des Congolais venant du centre-ouest comme Wamba dia Wamba, Jean-Pierre Ondekane dont la préoccupation était d’arriver vite à Kinshasa, le Rwanda a opté uniquement pour ceux qui peuvent mobiliser dans leurs communautés ethniques géographiquement proche de ses intérêts.
[2] La grande agglomération de Kanyabayonga avec ses escarpements donnant sur la Rwindi dessine une limite naturelle entre le sud considéré à tort ou à raison sous influence rwandaise et le nord de la province du Nord-Kivu sous influence ougandaise.
[3] Lire utilement Nicaise Kibel’Bel Oka, « Les rébellions rwandaises au Kivu. Une stratégie de la balkanisation du Congo », Éditions Scribe, Bruxelles, 2024.
[4] Toute guerre a un soubassement économique.
[5] Pierre Bezbakh précise : « De même, les facteurs économiques et politiques sont étroitement liés dans les affrontements, Les causes économiques ne sont jamais les uniques facteurs de déclenchement d’un conflit. Les guerres mondiales du XXe siècle proviennent elles aussi de facteurs économiques, politiques et idéologiques. Ainsi, aux causes économiques du déclenchement d’un affrontement armé s’ajoutent des facteurs d’une autre nature sans lesquels il n’aurait pas lieu ».
[6] Les États-Unis ont fermement condamné l’attaque du camp des déplacés de guerre lancée par la RDF/M23 ce mercredi 3 mai 2024. Après les États-Unis, l’ambassadeur de l’Union européenne à Kinshasa a, dans un communiqué, déclaré sa préoccupation sur la reprise des affrontements et condamné les bombardements du camp des déplacés. L’attaque à la bombe a fait plusieurs morts.
[7] Emmanuel Todd, La défaite de l’occident, p.
[8] Les rebelles du M23 qui combattent l’armée loyaliste ont des équipements plus puissants que ceux des casques bleus.
[9] Le rapport de la commission du Parlement rwandais du 3 juin 2024 sur la RDC est clair à ce sujet.
[10] Samedi 5 octobre 2024, le président de la République démocratique du Congo a refusé de prendre part au huis clos voulu par le président Macron avec Paul Kagame parce que, lors du discours d’ouverture du sommet, le président français a totalement ignoré le conflit en RDC et les tensions entre Kigali et Kinshasa privilégiant celui en la Russie et l’Ukraine.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.