Dans cette longue étude, qui fait suite à un dossier sur la Russie, concernant les numéros précédents, pour analyser la suite des événements liés au pays de l’ours, il a été fait appel à quelques indicateurs de la crise qui oppose l’Ukraine à ses voisins russes. Ici l’étude ne prends pas en considération les bilans des opérations militaires.
Habitués à plusieurs outils et modes, les Etats cherchent, par n’importe quel moyen, à défendre leurs intérêts. Les puissances économiques et militaires sont là pour justifier la place de chaque pays dans l’échiquier international. La diplomatie est aussi l’arme par excellence des soldats de l’ombre, constitués d’intellectuels, qui, ont à leur tour, le flair d’identifier les situations critiques afin de conseiller leur hiérarchie supérieure vers une anticipation adéquate, dans un cadre espace- temps déterminé.
Leur participation dans la résolution des conflits est la plus souhaitée afin d’épargner à l’humanité d’autres guerres ou un troisième conflit mondial. La diplomatie préventive avec des pourparlers objectifs pourraient nous offrir un constat gagnant-gagnant à l’instar du commerce, sans avoir un perdant et un gagnant. L’observation des conflits contemporains et leur résonance au sein de nos sociétés tendent à démontrer que les paramètres de la guerre évoluent et plus précisément les critères de la victoire. Par ce fait, le monde moderne et ses déséquilibres apportent quotidiennement la preuve que la pensée clausewitzienne de la victoire, dont « l’unique prix est celui du sang » est devenue bien trop réductrice et partielle.
En effet, dans le cas de la Russie tout d’abord à travers les explications fournies et cherchées dans son histoire et les modes d’actions militaires dans le passé des Tsars et de l’URSS, il y a lieu de rappeler que la Russie, avec Poutine ou pas, a toujours eu comme objectif stratégique de protéger son glacial et particulièrement ses frontières face aux empires centraux, coloniaux et plus tard contre les alliances, qui se sont constituées. Comme, il a été signalé dans mes analyses précédentes, la Russie était en conflit perpétuel avec la Suède. La Finlande et les pays baltes ont souvent dépendu de la Scandinavie ou de la Russie, l’Est européen a aussi été soit sous la coupole russe, soit Austro-Hongrois ou même sous souveraineté Prusse. Le cas de la Pologne souvent partagée entre plusieurs empires est un exemple vivant des anciennes confrontations des puissances de chaque tranche de l’histoire. D’ailleurs dans la frontière Ouest de l’Ukraine, on continue de parler polonais. Qu’on le veuille ou non l’ancienne Russie a été toujours multinationale et multiculturelle comme les empires Ottoman et Austro-Hongrois.
Par ailleurs, la Russie, comme la majorité des pays du monde, a toujours ignoré les standards démocratiques des pays voisins et continuera à le faire pour se protéger. L’Église orthodoxe, écrasée par les communistes, suivra le pouvoir actuel à l’instar des Tsars. Cette fois-ci, même les musulmans tchétchènes, qui ont souffert avec les Tsars, Staline et avec Boris Eltsine, ont choisi le camp de Poutine. Car celui-ci les a reconnus et défendus plus que n’importe quel chef d’Etat russe auparavant. D’ailleurs une armée de quelques 10000 combattants participe à la campagne d’Ukraine.
Encore une fois, le tribunal pénal international ne sera pas reconnu en tant qu’outil de sanctions de crime de guerre contre l’oligarchie russe au pouvoir. Car, le chef du Kremlin a déjà rappelé la communauté internationale, sur ce qu’il a qualifié de violations du droit international par les coalitions occidentales, dans les différentes régions du monde. Il faut que les responsables russes soient arrêtés ou leur pays soit en état d’armistice pour appliquer les lois de la Cour Pénale Internationale.
Le discours politique russe est, pour certains, convaincant et arrange leurs intérêts. La Chine s’est longtemps sentie humiliée et n’oubliera guerre la campagne sur ses territoires de 1901 à 1903. Elle veut tôt ou tard récupérer l’île de Formose et rectifier le tracé frontalier. Le discours officiel russe se victimise et se défend en référant à ce qu’il qualifie de violations du droit international par les différentes coalitions internationales face à la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et la Libye. Les allocutions utilisées par le pouvoir russe, montrent que l’OTAN est une alliance de conquête beaucoup plus qu’une alliance de défense.
De même, il est signalé partout dans les médias, qu’il a été promis aux russes à ce que l’OTAN n’approche plus leurs frontières et que les anciens pays satellites ne soient pas membres de cette alliance. Mais pour les russes, la promesse a été trahie. Si le rideau de fer a disparu, l’OTAN n’a pas lieu d’être en Europe. Car, cette alliance a été construite face au communisme qui a, à son tour, disparu. L’OTAN doit signer un traité dans lequel il est paraphé la démilitarisation de l’Ukraine et pourquoi pas toute la rive Est de l’Europe. Sinon, la Russie ne renonce jamais à son ingérence dans la région. C’est un espace vital depuis l’Empire des Tsars et c’est une question de vie ou de mort.
Peut-être que la façon russe de contre-encercler est plus militaire que diplomatique. Mais ça été toujours ainsi, même lors du recours aux services spéciaux : l’espionnage, le contre- espionnage et l’action, les russes agissaient avec une clandestinité facilement découverte. Le KGB[1], plus renforcé en personnel, agissait sur le terrain avec plus de violence et d’indiscrétion par rapport à la CIA[2]. L’exemple des explosions des infrastructures logistiques dédiées aux munitions dans différents Etats voisins pourraient être un indice de sabotage à l’ancienne méthode et prouvait aussi que nous étions face à une préparation future d’un conflit régional. Les tentatives d’empoisonnement des personnes vulnérables pendant l’ère de l’ex- URSS et actuellement montrent que la composante action du renseignement n’est pas discrète.
La Russie a choisi dans sa campagne d’Ukraine d’éviter au maximum les dégâts collatéraux pour avoir les populations dans son camp et les convaincre que le gouvernement en place est nazi ou encore marionnette dépendant des forces occidentales jugées impérialistes. La thèse de complot est très défendue dans la mesure où la Russie et ses alliés pensent que l’Ukraine est poussée par l’Occident dans cette guerre juste pour arrêter la montée en puissance russe dans la région.
Aussi, même si la Russie arrive à reconnaître à elle seule les deux républiques séparatistes de la région du Donbass (Louhansk et Donetsk), son gain sur le terrain n’est que significatif. Car, il s’agit de quelques millions de russes établis dans une partie du territoire ukrainien, alors que la Russie espère rallier à sa cause toute l’Ukraine face à l’OTAN et s’il le faut démilitariser tous les Etats du Nord et de l’Est du vieux continent. L’Allemagne et le Japon longtemps objets de sanctions du deuxième conflit mondial commencent à devenir des puissances militaires non négligeables. Seule la dissuasion nucléaire leur manque. Le Japon est conscient de la menace chinoise et l’Allemagne qui a toujours évité les litiges avec la Russie vient de changer de vision et a voté un budget militaire colossal (quelques 100 milliard d’Euros).
L’ours BLANC RUSSE est convaincu, qu’il est plus que nécessaire d’imposer en Ukraine un gouvernement, qui lui sera allié et en même temps démilitarisé. Pour le faire, les forces russes ne vont pas surement s’éterniser en Ukraine, qui possède un vaste territoire. L’exemple de la résistance des moudjahidines en fin des années soixante-dix face à l’armée rouge et le départ précipité des forces de l’OTAN de Afghanistan, en été dernier, sont des exemples à retenir. Le scénario pourrait se répéter avec le soutien occidental de la résistance et de l’armée régulière ukrainienne en armement massif déposé dans les frontières des Etats de l’Est européen. La Russie doit vite arriver à ses objectifs stratégiques et se désengager.
Les conflits actuels mettent souvent en jeux une panoplie d’outils d’ordre, identitaire, ethnique, religieux, idéologique et économique. Dans le cas du conflit ukrainien, les russes encouragent la prolifération du panslavisme et leur langue qui est utilisée par presque tout le voisinage euroasiatique. C’est un point positif du moment que le message passe rapidement entre communautés qui ont partagé une histoire commune. Par contre, afin de gérer les conflits d’une manière efficace et durable, la victoire stratégique espérée par l’Occident dépend actuellement de tous les facteurs de puissance et d’influence : politique, diplomatique, économique, militaire, médiatique, et autres.
Le besoin d’associer un ensemble d’éléments, d’une manière coordonnée, adaptable à toute crise, est devenu pressant en Ukraine. Néanmoins, en se référant aux sanctions économiques les calculs n’ont pas été bien faits car la Russie pourrait continuer à dédollariser son économie avec ses alliés et compter sur le nouvel axe avec principalement la Chine, accessoirement l’Iran et d’autres Etats qui n’approuvent pas les approches occidentales.
En effet, face à la Russie fédérale appliquant des stratagèmes et des procédures plus que tactique que stratégique, les EUA, renseignés presque à la minute près sur les mouvements russes, ont choisi avec leurs alliés de développer une action combinée et coordonnée entre leurs alliés en vue de sanctionner la Russie dans différents domaines et l’isoler du reste du monde. Il s’agit aussi, inévitablement d’assurer une meilleure cohérence et une plus grande efficience dans le règlement des conflits, sachant qu’il n’y a pas de solution militaire pure, mais que nulle solution n’existe sans un fort soutien militaire. Ce soutien ne fera que retarder un conflit global, s’il n’y a pas d’alternative diplomatique. La Russie est gagnante sur le terrain et la composante aérienne des alliés est exclue en Ukraine.
En plus, la stratégie politique américaine a été mise à découvert avant que le chef du Kremlin puisse donner les ordres à ses troupes d’entrer en Ukraine. Le président américain a bradé ses sanctions économiques et parallèlement la décision que son armée n’allait pas intervenir quoique mise en alerte aux côtés des forces de l’OTAN, avec des montées en puissance non loin des points d’entrées au théâtre d’opérations. Des soutiens en armements et munitions sont assurés à tous les niveaux par un soutien indirecte à l’effort de guerre. Mais jusqu’à quand ! L’exemple des opérations en Afghanistan, en Irak et autres n’est pas loin. Est-ce que le soutien de l’OTAN a apporté des solutions aux crises ?
Ayant connu à l’avance une partie des sanctions et que les EUA allaient juste renforcer les positions alliées en Europe : du Nord, Occidentale et de l’Est, le Kremlin a été encouragé de gagner plus de délais, pour s’engager avant que le soutien logistique n’arrive sur les frontières communes avec l’Ukraine. Le commandement russe a compris que la dissuasion nucléaire était en sa faveur pour empêcher un affrontement direct avec les EUA et pour l’utiliser à des desseins dissuasifs contre l’Occident
De sa part, l’Occident est conscient plus que jamais, que la solution militaire ne peut se faire par l’envoi d’une coalition composée de plusieurs contingents nationaux, à l’instar de l’Irak et d’autres théâtres d’opérations. Car désormais, la Russie est tout d’abord une puissance militaire et nucléaire à respecter. Si les sanctions précédentes n’ont pas eu de grandes répercussions sur le bien -être de la Russie, celles dernièrement ciblées par les EUA le 22/02/2022 par le président étasunien sont difficiles à supporter par la Russie qui a pris comme garant économique la Chine. Dans mes analyses précédentes, j’ai suggéré dans mes présuppositions stratégiques que l’Occident devait avoir dans sa coupole la Russie à travers des discussions diplomatiques. Maintenant, on revient à la case de départ de la période pré-guerre mondiale. On va parler de l’axe sino-russe. Les incidents de l’histoire humaine se répète.
Si on veut faire appel à certains indicateurs nous découvrirons que dans le cas ukrainien, pour gérer la crise, il a fallu avantager l’identification du problème en se référant à l’histoire des conflits régionaux, intensifier la prévention jusqu’à la normalisation. A ce stade, la prévention qui constitue un moyen clé de surveillance de l’Ukraine, suivre son évolution, éviter les inattendus d’ordre stratégiques et choisir les mesures à prendre, avec une évaluation d’une probable crise.
Faute d’une Appréciation Stratégique de Situation (ASS) adéquate, la prévention de la crise ukrainienne a manqué d’attention particulière, d’appréciation et d’éléments identificateurs, pour la majorité des analystes. Occupés par le déclin économique et plus tard par le Covid19, certains Etats occidentaux ont raté leurs analyses de la situation, qui a complètement dégénéré par la campagne russe. D’autres s’attendaient à une opération limitée. Les informations politique, militaire, économique et d’autres renseignements recueillis par les Etats de l’OTAN n’ont pas été exploités à temps, à cause de leurs courses aux intérêts subjectifs. Les services spéciaux américains sont à la hauteur de leurs tâches et ont alerté l’opinion international à temps. Mais le reste des alliés ont souvent regardé la menace avec l’œil de l’intérêt géopolitique de chacun. L’Allemagne a privilégié le gaz dont elle dépend de 60% de la Russie. L’Europe aussi est dépendante du gaz russe à 40%.
Les discussions avec la Russie se faisaient individuellement sans évaluer les fonds de la crise. Les alliés n’ont jamais parlé d’une voix diplomatique unie jusqu’à l’entrée des forces russes en Ukraine. Bien sûr, le chef du Kremlin a profité de cette situation d’Etats désunis, pour entendre l’avis de chacun et déduire la faiblesse avant de se lancer en assaut vers les républiques séparatistes puis vers l’Ukraine. Au lieu de relire l’histoire, en se penchant sur les crises récentes de la Géorgie et de la Crimée puis écouter les discours attentivement du chef de l’Etat russe, les alliés se vantaient des sanctions qu’ils croyaient ciblées.
L’OTAN, n’a pas su contenir l’instabilité et n’a pas constitué de coalitions ou de forces multinationales à l’instar des autres conflits. Il a fallu éviter à ce qu’un litige se transforme en conflit militaire ouvert. Si c’est trop tard d’ imposer la paix entre les antagonistes! Chose que les occidentaux n’ont pas pu appliquer en Ukraine. Au contraire on a encouragé ce pays à résister face à la Russie sans lui accorder ni l’adhésion à l’UE, ni à l’OTAN. Les dénonciations des gouvernements alliés ne sont pas suffisantes pour contrarier la Russie. Aussi, la logistique et les armes parvenues arrivent tardivement, et feront peut-être partie du butin de l’armée russe.
Par la suite, les occidentaux ont été menacés par le chef du Kremlin et ne peuvent organiser une intervention multinationale selon un cadre légal. Les pays scandinaves, la Finlande, les pays baltes, la Roumanie, la Pologne, la Moldavie et le Bulgarie sentent beaucoup plus le feu que le reste des pays européens. Ils sont tous à la portée directe des composantes militaires russes. Ils savent tous pertinemment, qu’encore une fois ils dépendent des EUA, comme ils l’ont fait depuis la première guerre mondiale. La guerre est à leur porte.
A cause du conflit ukrainien, les Etats du monde ont même oublié la pandémie qui les a longtemps ruinés. Ils ne veulent que la stabilité dans leurs frontières longtemps stables et sécurisées. Ils doivent payer cher de l’argent du contribuable, qui ne veut plus participer à une guerre. Le citoyen européen veut la paix par n’importe quel moyen et à tout prix dans son foyer. Certains partis politiques occidentaux donnent raison à Poutine et l’opinion public international est partagée sur la question, selon l’influence des médiats. Dans tous les cas, le chef du Kremlin est assez sage, pour désengager ses forces au moment opportun. Il profite de la lenteur des décisions et des hésitations occidentales pour gagner les délais, lui permettant d’atteindre ses objectifs stratégiques et rediscuter la paix sur une table où il sera le plus fort.
Dans cette géopolitique des frontières menaçante pour l’Europe, l’allié turque n’est pas épargné. Car sa réaction en ce qui concerne l’ouverture du détroit stratégique des Dardanelles et du Bosphore est capitale. Les russes ne peuvent déplacer leurs forces ou leurs navires commerciaux entre les mers Noire et méditerranéenne, si la Turquie les prive.
– Face à la crise ukrainienne, la majorité des géopolitologues et géopoliticiens ont raté leur prophétie. Le canal diplomatique et la prévention ont été mis de côté. Cette prévention longtemps recherchée et mal utilisée, n’a pas abouti aux objectifs stratégiques. L’intervention militaire occidentale en Ukraine n’est plus à l’ordre du jour. Il a peut-être fallu s’occuper de la Russie d’une façon holistique avant d’arriver à ce stade ! Pourquoi ne pas opter d’urgence, dans cette crise, pour le statuquo ? En attendant, il faut prévenir en trouvant des accords, dont l’objectif est gagnant-gagnant.
[1] Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti : Comité pour la sécurité de l’Etat le plus redoutable service de renseignements de l’ex-URSS entre 1954 et 1991
[2] Central Intelligence Agency : Créée en 1947, parmi les agences de renseignements américaines, les plus connus dans le monde.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.
Excellente analyse témoignant d’une profonde connaissance des origines et des péripéties du conflit Russo ukrainien. Bravo Docteur et cher ami.