Le Liban, pays du Proche-Orient abordant la mer Méditerranée, s’appelait la Phénicie. Ses habitants marins ont construit des ports[1] et installé des comptoirs dans les côtes voisines, allant jusqu’au Maghreb. Ses populations étaient généralement des commerçants bien introduits dans la région.
Longtemps considéré la « Suisse du Proche-Orient » par son choix basé sur le libéralisme économique et le système du parlementarisme à l’instar des modèles occidentaux, le Liban fait partie du peloton des pays les plus endettés au monde. Malgré les réformes financières du gouvernement, depuis plusieurs décennies, la majorité des dépenses publiques sont affectés aux salaires et à la dette. Le Liban qui continue dans la faillite multisectorielle, a été une proie facile des interventions étrangères, qui financent selon l’intérêt géopolitique, l’une des communautés ethniques et religieuse. Par ailleurs, en respect de la liberté du culte, au sein des communautés libanaises on trouve plusieurs confessions et de communautés constituées principalement de plusieurs courants du christianisme et de l’Islam avec ses différents rites et sectes.
Certes pendant plusieurs siècles le Liban a été victime de la difficile coéxistence de sa diversité multiculturelle. Néanmoins comment le facteur anthropologique et les crises continuent de saper son Etat-nation ?
En effet, le Liban appelé aussi le pays des Cèdres, est connu par sa variété sociétale, qui est la principle source des conflits sectaires avant son indépendance et plus tard.Cette situation a souvent influencé sur sa constitution et sa politique interne. Les migrations de ses populations à travers les quatre continents ont très tôt débuté et la dépendance du pays , de l’influence étrangère selon les cultes et les croyances des populations n’a pas cessé d’augmenter. Pourtant, en évitant les malentendus sociaux entre les groupes humains, le Liban avait tous les facteurs pour devenir l’un des Etats les plus développés de sa région.
Pour analyser cette spécificité multiculturelle du pays des Cèdres et sa cohésion sociale, sera fait appel à certains volets de l’anthropologie, avec une revue succincte des conflits qui ont influencé sur l’histoire du pays.
Une anthropologie libanaise toujours source de ses fissures internes
Le théâtre multiethnique et religieux du Liban, montre bien que sa société a la particularité d’être « Sui generis ».[2] Chaque fois, la coexistence est fragilisée à cause de la diversité des cimmunautés[3], leurs choix et les ingérences extérieures.
La reconstruction de l’Etat libanais n’est pas ancienne dans l’histoire. Car longtemps le pays faisait partie des provinces des empires musulmans, qui se sont succédés au pouvoir et a été le théâtre aussi des croisades, ayant été à l’origine d’une coexistence fragile entre la communauté chrétienne et musulmane, au Liban, en Syrie, en Irak, en Egypte et en Palestine.
L’histoire succincte du Liban commence avec la conquête effectuée par Mohammed-Ali en 1831, reconnu comme le premier fondateur de la nation libanaise. En 1920, l’Etat du Grand Liban est déclaré officiellement pour devenir en 1926, la République libanaise. Etant objet des accords de partage du Proche et Moyen-Orient par les empires coloniaux français et anglais dites Sykes-Picot de1916, le protectorat a duré jusqu’en 1943, date de l’indépendance du Liban qui ne sera pas accépté par la Syrie, devenue ainsi le premier Etat à s’ingérer dans les affaires internes du pays.
A l’instar de la Syrie voisine, considérée aussi phénicienne et faisant partie du Sham, le peuple libanais est constitué d’une communauté écrasante arabe, suivi par les Druzes[4], les Arméniens, les Alawites[5] , les Chaldéens, les Araméens, les Assyriens et les Juifs[6]. Ce mélange communautaire, n’a pas épargné le pays de conflits fratricides. Les palestiniens réfugiés depuis 1948 ont aussi leur mot à dire sur un territoire carrefour, comprenant des populations asiatique, européenne et africaine. Les réfugiés qui ont fui la Palestine ont à leur tour crée avec le temps un fonctionnement social au niveau des camps, différent de celui des libanais et voulaient une autonomie à l’intérieur du pays d’accueil caractérisé par un facteur de matrice politique et identitaire.
Connus par leurs imprimeries qui publiaient une grande partie de la pensée arabe, les libanais donnent aussi beaucoup d’importance à leur image extérieure. Au Liban, Les femmes des différentes communautés sont souvent très bien entretenues. D’ailleurs, le pays est très connu par la chirurgie esthétique particulièrement par la modification de la forme du nez selon l’appartenance culturelle et ethnique. Même les lèvres font l’objet d’esthétique.
Ces fragmentations sociales et politiques dues au sectarisme et à la diversité confessionnelle, ont été à l’origine du déséquilibre empêchant l’émergence de l’Etat-nation et la capitale Beyrouth demeure un exemple d’agglomération multiethnique et multiculturelle, contrairement aux localités situées dans les montagnes et qui gardent un aspect communautaire[7] et aux autres pays arabes du Golfe, ayant gardé les facteurs de la bédouinité et la vie rurale.
La diaspora libanaise établie en Amérique du Nord et Latine, puis en Europe, particulièrement en France, détient majoritairement une double nationalité. Elle est en général chrétienne et s’est exilée dans ces continents depuis la fin du XIIème siècle. Adaptés aux pays d’accueils, certains occupent des fonctions publiques importantes et ont un niveau intellectuel important[8].
Par contre, depuis la guerre civile du milieu des années soixante-dix, des milliers de libanais shiites, venus du Sud du Liban, n’ayant pas de formations universitaires, se sont installés en Afrique Subsaharienne, Occidentale , Australe et du Sud, où ils font le commerce. Cette communauté libanaise en Afrique est très active et riche. Elle a pu exporter son modèle de culte et de culture culinaire, en construisant des mosquées et des restaurants.Dans leur appel à la prière,étant shiites duodécimains, ils citent Ali le cousin et gendre du prophète Mohamed que le salut et la prière soient sur lui. Les chiites libanais, ont la particularité de désosser la viande et comme les juifs ne pas manger les fruits de mer et les Crustacés (Langoustes, crabes, crevettes…). En Afrique plusieurs hommes et femmes du Liban, fument la Chicha et vivent aisément par rapport aux citoyens africains ou les expatriés .Ils font souvent partie de l’élite des pays où ils sont établis.
Dans certains pays africains, les libanais interviennent indirectement sur la politique interne pour assurer leurs intérêts économiques basée principalement sur le commerce , la construction et les services. Selon des personnes questionnées sur leur relation avec les juifs, les shiites du Hezbollah installés en Afrique ont le droit de travailler avec les israéliens à condition de donner 10% de leur gain au parti shiite.Soudés, ils vivent en communauté et s’entraident entre eux, en trouvant du travail aux nouveaux arrivants
Dans tous les cas face à la crise économique et politique les jeunes libanais ont toujours choisi l’exil ou l’immigration pour fuir les combats fratricides et les guerres avec Israël. Les chrétiens et les sunnites ne veulent pas de ce conflit. Car jusqu’à présent une grande partie des infrastructures détruites en 2006 par l’Eta hébreu n’ont pas été reconstruites et ne sont pas convaincus des actions du Hezbollah qu’ils considèrent juste un pion de l’Iran au Liban. Face aux partis shiites : Amal et le Hezbollah, le reste des communautés ne veut plus entendre parler du partage du pouvoir, hérité de la guerre civile, entre les seigneurs de la guerre, qui détiennent les richesses du pays. Elles veulent pratiquer une gouvernance transparente , mettre fin à la corruption des élites et désarmer le Hezbollah pour n’avoir qu’une seule armée nationale.
Le Liban théâtre de conflits de pré indépendance
Tout d’abord, il y a lieu de se référer à laguerre pré indépendanceconsidérée commela première guerre civile qui a éclaté le 29 mai 1860 entre les Druzes et les Maronites et a provoqué la même année une campagne effectuée par l’armée française afin de secourir les sujets de l’église Maronite. Le sud-Liban habité par une majorité druzes dominante, possédant les fermes et des voisins moins influents composés d’ouvriers chrétiens.[9]
Cette intervention française, s’inscrit dans un moment où l’empire Ottoman commençait à s’affaiblir. Car déjà les français ont annexé les territoires algériens à leurs départements et plusieurs nations en Europe se sont révoltés contre la Porte sublime afin d’avoir leur indépendance.
La montée des guerres post indépendance
Ensuite, le théâtre libanais a été marqué par les conflits post indépendance. Déjà, à cause du conflit israélo-arabe, déclenché en 1948, suite à la création de l’Etat d’Israël, plus d’une centaine de milliers de réfugiés palestiniens ont choisi de s’installer au Liban ce qui a renforcé la présence en nombre de musulmans arabes. Le pays est devenu une base de départ de la résistance palestiniennes dans les frontières et ce malgré l’opposition des Maronites qui ne voulaient pas entrer dans ce conflit encouragé par la Ligue Arabe.
Lors de la campagne franco-anglaise et israélienne, en fin octobre 1956, suite à la nationalisation du Canal de Suez par le pouvoir égyptien, le président à l’époque Camille Chamoun, qui est chrétien Maronite a gardé ses relations avec la France et le Royaume Uni, en ignorant la majorité arabe qui a condamné l’agression devant l’ONU. Cette décision a été à l’origine des descentes dans les rues et des confrontations graves entre communautés musulmanes défendant la Palestine et chrétiens soutenant leur président. Ce n’est que grâce à l’intervention des troupes américaines que l’ordre est rétabli.
Cette vague de réfugiés palestiniens avec les libanais musulmans, voulait en 1958, se fusionner avec la République arabe unie créée en toute pièce par Gamal Abdel-Nasser. Ce choix, a créé une crise grave, sociopolitique entre musulmans et chrétiens. C’était le début du cauchemar libanais qui a choisi en parti, son camp au sein de la Ligue Arabe[10] contre l’Etat hébreu.
Plus tard, suite à la division des pouvoirs politiques entre les musulmans devenus majoritaires face à la minorité chrétienne, on assista sur le théâtre libanais à partir de 1975 à une guerre civile sanglante et meurtrière, opposant des groupes armés chrétiens nationalistes et musulmans propalestiniens [11],financés par l’extérieur. Les deux antagonistes aspiraient au contrôle du pays. Néanmoins, ce conflit a permis avec le temps, la projection d’armées étrangères, comme celle de la Syrie en 1976[12] et d’Israël en 1982, qui ne s’est retiré qu’à partir de 1983[13].
La guerre civile cessa en 1990 avec l’accord de Taëf ratifié par le Parlement libanais le 5 novembre1989. Cependant, l’influence syrienne sur le pays est restée permanente face à la vigilance de l’Etat hébreu qui a déduit que si les milices ont été désarmés, le Hezbollah a gardé ses matériels majeurs et devenu plus puissant grâce à l’entrée de l’Iran sur la scène politico-militaire. Cette montée en puissance militaire du Hezbollah au Liban lui a donné la main pour organiser des embuscades, des tirs à l’artillerie dans la profondeur des frontières réclamées et israéliennes.
2024 un autre retour à la case des conflits de 2006 et 1982
De nouveau un nouveau conflit avec Israël éclata en 2006. Si pendant cette période, l’armée israélienne a attaqué le Sud-Liban pour détruire le potentiel militaire du Hezbollah qui a emprisonné deux militaires, en 2024. On est en train de répéter les mêmes modalités de combat entre les antagonistes et les acteurs n’ont pas changé[14]. Car suite au soutien du Hamas à Gaza, les combattants du Hezbollah ont harcelé intensivement le nord d’Israël par des roquettes et des tirs de drones. La réaction du Tsahal a débuté par des frappes aériennes, visant les symboles du Hezbollah, les infrastructures du pays et toutes les villes suspectes d’abriter personnel et matériel de guerre du Hezbollah.
Quelques sept villages frontaliers ont été rasés en entier. Il parait que l’Etat hébreu à travers cette action aérienne et l’envoie des troupes terrestres veut créer un cordon sécuritaire qui pourrait épargner le nord des roquettes des combattants shiites. Comme en 2006 cette année est marquée par plusieurs morts du côté libanais et israélien. Même la capitale Beyrouth et La Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) [15] n’ont pas été épargnées des opérations chirurgicales aériennes. L’Iran[16] et la Syrie n’ont pas manqué de soutenir le Hezbollah pour neutraliser et attaquer en profondeur l’Etat d’Israël. Par contre l’Etat hébreu a défendu sa cause auprès des Etats occidentaux qui lui ont presque tous prêté main forte.
Somme toute, l’analyse anthropologique libanaise liées aux conflits vécus, continue de peser lourdement sur la stabilité politico-économique du Liban. Le pays est toujours débordé par le déplacement de1,5 millions de réfugiés syriens suite au printemps arabe de 2011, puis environ le même chiffre en 2024, de déplacés du Sud-Liban habité majoritairement par les shiites, fuyant les bombardements israéliens. Cette situation critique vient s’ajouter à la souffrance de quelques 4,5 millions d’habitants en quête d’une vie meilleure, stable et sans crise. Les populations ont quitté leurs logements vers Beyrouth ou ont choisi, d’accompagner la vague de syriens qui sont de retour à leurs pays. Les mesures d’austérité imposés par le FMI depuis 2018 vont encore influencer sur le tissu social déjà fragile et alarmant. Cette nouvelle guerre pourrait donner l’occasion à une invasion israélienne comme celle de 1982, car tant que le Hezbollah n’est pas désarmé, l’Etat hébreu ne vivra plus en paix et l’incertitude continuera de se propager au sein des deux sociétés adverses .
[1] Les Phéniciens ont construit plusieurs comptoirs, dans la rive méditerranéenne devenus des villes comme Lexus (devenue Larache) au Maroc. En Espagne Gadès (de nos jours Cadix) et Carthage (en Tunisie). D’autres comptoirs ont vu le jour en Corse, à Malte, en Sicile et au Portugal. L’un des plus grands ports de l’époque a été construit à Tyr.
[2]. Ce terme latin signifie littéralement « de son espèce ». On utilise ce terme aussi en droit, pour dire « de son propre genre ». Ibn-Khaldoun est le premier penseur à avoir qualifié dans son recueil « Les Prolégomènes » la société d’objet d’une science sui generis. Plus tard, Émile Durkheim utilisa plusieurs fois ce terme, afin de caractériser la nature des faits sociaux.
[3] Au Liban il existe plusieurs communautés religieuses. Il s’agit d’abord de sujets musulmans sunnites et shiites avec différentes sectes. Puis, chrétiens arabes : maronites, grecs-orthodoxes, grecs-catholiques, arméniens apostoliques, arméniens catholiques, syriens-orthodoxe, syriens-catholiques, assyriens, chaldéens, coptes orthodoxes, latins et protestants.
[4] Secte distincte du shiisme ismaélien, connue pour son unitarisme, ses adeptes habitant les montagnes du Liban et de la Syrie, une partie de ses adeptes a choisie de se réfugier en Israël pour se protéger des conflits internes du pays des Cèdres.
[5] Il ne faut pas conduire cette secte proche du Shiisme avec la dynastie des Alaouites du Maroc qui est sunnite Malikite.
[6] La communauté juive avoisine les 4000 sujets.
[7] Les communautés Druzes et chiites constituent des communautés distingues qui habitent les monts sud du Liban. Par contre la majorité des chrétiens habitent les grandes villes du pays qui ont été bâti à l’image des constructions modernes. Même dans les villes les quartiers sont souvent divisés selon les ethnies et les croyances.
[8] Il faut prendre en considération que dans le pays il existe des universités depuis 1875(l’Université Saint-Joseph) et 1866 (l’Université américaine de Beyrouth).
[9]« Les massacres de chrétiens durant les trois harakât (agitations, mouvements) de 1841, 1845 et 1860, sont favorisés par la passivité complaisante des autorités ottomanes locales. Ceux de 1860 coûtent la vie à plus de 12 000 chrétiens (grecs-catholiques, orthodoxes et maronites) dans le sud du Mont-Liban et de la Bekaa, et plusieurs milliers à Damas ». Lire https://journals.openedition.org/remmm/8454 consulté le 8novembre 2024.
[10] La Ligue arabe a pu calmer temporairement le conflit, avec l’entrée en 1976 sur le théâtre de l’armée syrienne
[11] On retient particulièrement au début du conflit la date du le 13 avril 1975 jour pendant lequel une église maronite a été attaqué par un groupe de combattants palestiniens et la réaction d’un groupe armé chrétien dit : « Kataeb » qui a attaqué un bus transportant des résistants palestiniens.
[12] La projection des forces syriennes a été caractérisé au début, par le soutien des factions maronites opposant l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et les groupes armés gauchistes socialistes. Par la suite, la Syrie a également créé un autre mouvement politico-militaire appelé l’Armée de libération de la Palestine (APL), qui n’était pas en entente avec l’OLP.
[13] Suite à l’attentat du 3 juin 1982, contre l’ambassadeur israélien à Londres, Israël bombarde les camps palestiniens de l’OLP qui ripostent par des tirs de roquettes. Le 6 juin, Israël exécute l’opération Paix en Galilée et encercle Beyrouth. L’OLP a été contrainte de quitter la ville et Israël confie le contrôle du sud du pays à l’Armée du Liban Sud.
[14] La résolution 1701 au Liban adoptée à l’unanimité en 2006, appelait les à cesser les hostilités entre le Hezbollah et Israël, le Conseil appelant à un cessez-le-feu permanent fondé sur la création d’une zone tampon. Consulter ONJU info du 03 octobre 2006 sur https://news.un.org/fr/story/2024/10/1149391.
[15] La FINUL a été créée en 1978 après la conquête du Liban par Israël. Installée au Sud-Liban afin d’observer le retrait des troupes israéliennes maintenir la paix sur la « Ligne bleue » qui sépare le Liban d’Israël et du plateau du Golan.
[16] L’Iran devenue puissance régionale sert ses intérêts au nom de la cause palestinienne et libanaise. L’Iran a aussi n trouvé le théâtre favorable à l’expérimentation de son industrie militaire et finir par vendre ses drones à la Russie.
Zakaria HANAFI
Related posts
Catégories
- Economie (36)
- Editorial (22)
- Géopolitique (41)
- Histoire (23)
- interview (14)
- Non classé (4)
- Relations internationales (34)
- Strategie (36)
Rencontrer l'éditeur
HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.