Mohssin DATSSI, Membre du think thank NejMaroc, Centre Marocain de Recherche sur la Globalisation spécialisé dans les Relations Internationales
Le Maroc dispose d’un littoral de 3500 km, ce qui en fait le plus long du continent africain.
Si le Royaume a su tirer profit rapidement de sa façade atlantique, cela n’a été le cas que récemment pour son littoral méditerranéen.
30 ans de politiques économiques et sociales ont été nécessaires pour reprendre progressivement le contrôle de cette façade sur tous plans.
États des lieux et premières mesures
Le littoral méditerranéen et le Nord du Maroc en général disposent de nombreux atouts stratégiques.
Paradoxalement et ceux jusqu’au milieu des années 90 , l’activité économique de cette région se limitait à l’agriculture, quelques unités manufacturières et le flux estival des Marocains Résidents à l’Étranger.
Sur le plan des infrastructures, la région accusait jusque là un retard criant par rapport au reste du pays, favorisant un enclavement des populations, à l’essor de la contrebande et la criminalité.
C’est dans ce contexte que l’Agence pour la promotion et le développement économique et social du nord voit le jour en 1995, la première du nom au Maroc.
Cet organisme public se donne pour mission d’animer les programmes socio-économiques visant à promouvoir le Nord et améliorer les conditions de vie de ses habitants.
Nouvelle impulsion dans un contexte de tension croissante avec l’Espagne
Sa Majesté le Roi Mohammed VI accède au trône en 1999.
Comme un symbole de nouvelle impulsion, il réalise sa première tournée royale dans le Nord pour veiller au suivi des projets en cours et au lancement de nouveaux, notamment autoroutiers, dans le but de procéder au désenclavement progressif de la région et lui assurer une meilleure connexion au reste du Royaume.
Le souverain, en période estivale en particulier, séjourne au Nord aussi bien pour s’assurer que ses instructions soient respectées qu’au bon déroulement de l’opération Transit que l’on appelera plus tard “Marhaba”.
Parallèlement, les relations bilatérales avec l’Espagne, jusque là cordiales avec Felipe Gonzalez du parti socialiste ouvrier espagnol, se détériorent progressivement avec José Maria Aznar, issu du parti populaire, et réputé conservateur ,observant une défiance naturelle vis à vis du Maroc.
La crispation atteint son summum à l’été 2002 ,quand l’armée espagnole séquestre illégalement une brigade marocaine patrouillant sur l’îlot Leïla, situé à quelques dizaines de mètres seulement du littoral national.
La réaction disproportionnée de Madrid est condamnée voire, moquée à l’international , Feu Mohammed Benaissa, alors Ministre des Affaires Étrangères du Maroc, avait qualifié cet acte hostile de “déclaration de guerre”.
Il aura fallu une médiation américaine, dirigée par Colin Powell, pour apaiser la situation entre Rabat et Madrid.
Cet épisode grave aura eu au moins un mérite: celui de faire prendre conscience au Maroc de la nécessité de contrôler pleinement sa partie du Détroit de Gibraltar.
Tanger Med et le rééquilibrage des rapports de force dans le Détroit
Initialement prévu sur l’Atlantique, le Grand Port de Tanger sera finalement construit sur la façade méditerranéenne du Détroit de Gibraltar.
Sa Majesté le Roi Mohammed VI lance en juillet 2003 ce qui va être l’un des chantiers phares de son règne. 4 ans après, en 2007, le souverain inaugure le port.
En 2009, en plus du complexe portuaire d’envergure internationale, des zones franches voient progressivement le jour telles que Tanger Free Zone, Tanger Automotive City, Renault Tanger Med suite à l’implantation du constructeur français de l’automobile, Tetouan Park ou encore Tetouan Shore.
Près de 900 entreprises, nationales et internationales y opèrent.
Le Deuxième Terminal de Tanger, dont les travaux ont débuté en 2015, est opérationnel depuis 2021.
De l’autre côté du Détroit de Gibraltar, dans le port d’Algéciras situé juste en face, on assiste, incrédule et inquiet à la montée en puissance du complexe portuaire marocain.
Malgré de nombreuses mesures prises par les autorités espagnoles afin de redonner un second souffle à Algéciras, Tanger Med, plus compétitif et mieux organisé,attire de plus en plus d’opérateurs étrangers (industries, services, logistique)et draine de plus en plus d’investissements.
Sur le plan national, cet écosystème hors norme a permis à cette partie du Maroc de sortir de son enclavement et à en faire une locomotive de développement économique de premier plan.
Jusque-là quasi monopolisé par l’Espagne, l’essor de Tanger Med a permis à un rééquilibrage des rapports de force dans le Détroit de Gibraltar.
La croissance du complexe portuaire marocain est telle que Tanger Med a occupé en 2024 la 17 ème place mondiale des ports à conteneurs, faisant de lui le leader incontesté dans le bassin méditerranéen.
Nador West Med , vers le contrôle total du littoral méditerranéen
L’écosystème créé autour de Tanger Med et sa dynamique en ont un fait un modèle mondial de réussite en matière de développement.
Le Royaume désormais s’attaque à la remise à niveau de la partie orientale de sa façade méditerranéenne.
La ville de Nador en sera le symbole.
La métropole dispose en effet d’un grand potentiel, entre son tissu industriel et agricole prometteur.
Dans le cadre de la stratégie nationale portuaire à l’horizon 2030,le Maroc décide de lui appliquer ce qui a fait la réussite de Tanger Med.
Les travaux de Nador West Med,futur complexe portuaire industriel et pétrolier,débutent en 2016.
Tout comme la capitale du Détroit, Nador disposera à court de son port d’envergure internationale, le complexe actuel de Beni Ensar aura la même vocation que celui de Tanger-Ville à savoir, continuer de servir de porte d’entrée au Maroc pour les MRE et d’escale pour les croisières et plaisanciers.
Le futur port sera en mesure d’accueillir son premier navire à la fin du semestre 2026.
Ce chantier s’accompagne également d’un programme d’amélioration des structures routières, autoroutières et ferroviaires.
La mise en service récente de lignes aériennes nationales renforcent davantage l’inclusion de cette région au reste du pays, il est désormais possible de se rendre à Nador ou Oujda en avion depuis Rabat.
Un développement économique finalement bénéfique pour l’Espagne
L’essor économique de la façade méditerranéenne du Maroc a longtemps été perçu, à tort, comme une menace pour les intérêts économiques du Sud de l’Espagne.
Un argument sans fondement pour les raisons suivantes:
Dans le cadre des accords de pêche liant l’Union Européenne au Maroc, l’Espagne, de part sa proximité géographique avec le royaume et le nombre de ses navires operants, en a toujours été la
principale bénéficiaire.
La remise à niveau du littoral méditerranéen a contribué à lutter efficacement contre la contrebande, la criminalité et la pauvreté.
Cette politique a eu pour conséquence directe de diminuer considérablement le nombre de candidats à l’immigration clandestine et atténuer la pression migratoire sur Madrid.
La coopération bilatérale dans ce domaine ne fait que compléter ce processus.
L’attractivité du Nord du Royaume constitue également une opportunité pour les investisseurs espagnols et cela pour des raisons simplement historiques:
En dehors du statut international dont bénéficiait Tanger jusqu’à l’indépendance de 1956, il ne faut pas oublier qu’une grande partie du Nord du Maroc était sous administration espagnole et qu’une partie de la population continue de parler cette langue.
Le Nord du Royaume reste lié culturellement à la péninsule ibérique.
Enfin l’Espagne est tout simplement le premier partenaire commercial du Maroc et s’il y a bien un état qui pourrait tirer profit de cet essor économique, qui d’autre que Madrid serait mieux placée dans ce contexte.
Le Royaume, à travers ses nombreux projets socio-économiques, a réussi non seulement à se réapproprier sa façade méditerranéenne dans tous les domaines, mais en a fait un modèle de développement à part entière.
Longtemps perçu comme une menace par l’Espagne, Madrid a tout à gagner au contraire de cet essor, d’autant plus que les excellentes relations bilatérales actuelles peuvent y contribuer et que la prochaine organisation de la Coupe du Monde de Football renforcera davantage les liens existants entre les deux rives de la Méditerranée.
Bonne Lecture !
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.