Par Mahfoud Bahbouhi
(ancien diplomate)
Les politiciens, diplomates, universitaires, experts et journalistes du monde entier ont pu constater que le paysage géopolitique mondial a subi une profonde transformation au cours des dernières décennies. Nous avons assisté et continuons d’observer la montée du populisme et du nationalisme extrêmes, ainsi que les changements survenus dans l’ordre international tel qu’il s’est établi depuis l’après-Seconde Guerre mondiale et surtout après la fin de la Guerre froide.
De nos jours, il existe une tendance à s’accorder sur le fait que les présidences de Vladimir Poutine en Russie et de Donald Trump aux États-Unis ont joué un rôle central dans ce changement, chacune portant une croyance idéologique profonde et difficile en la suprématie et l’hégémonie, remettant ainsi en cause la domination unipolaire des États-Unis et inaugurant un possible monde multipolaire.
Le monde est témoin d’une résurgence de la Russie, de la portée de la doctrine protectionniste de ‘’l’Amérique d’abord’’, de la montée de puissance de la Chine, de la guerre commerciale et la fragmentation de la gouvernance mondiale qui en résulte. L’analyse des défis et des opportunités stratégiques pour ces puissances incite à voir de près leur interaction et les répercussions sur d’autres régions du monde. Dans le cadre du nouveau paradigme géopolitique et l’ordre international en général, les gouvernements et les principaux acteurs étatiques et non-étatiques tentent de mettre en œuvre des stratégies adaptatives pour relever les défis et profiter des opportunités de l’ère contemporaine.
Si les nouvelles tendances jettent le doute sur la pérennité de la puissance de l’occident et même renforcent un certain débat sur le déclin de l’Occident (États Unis et Europe), on ne peut qu’observer l’apparition du nouveau phénomène sur le plan des relations internationales que représente la montée en puissance d’hommes milliardaires à la tête de méga-entreprises concurrentes et plus fortes que tant de gouvernements et d’États indépendants.
L’ordre mondial en question
Si nous regardons en arrière sur les 50 dernières années, nous pouvons facilement détecter des différences majeures entre l’ordre géopolitique de l’après-Seconde Guerre mondiale et l’ère contemporaine, et les retombées parfois néfastes en particulier sur les régions de l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Europe.
Les politiques libérales menées par les États-Unis et leur engagement international, après la Seconde Guerre mondiale et la rivalité bipolaire Est-Ouest durant la Guerre froide, ont grandement contribué à la chute du mur de Berlin et de l’Union Soviétique. Ce grand bouleversement a mené à un monde fragmenté et unipolaire, alors que celui bipolaire était parfois vu, de la perspective des pays du Sud, comme salutaire contre le spectre d’un monde dominé par une seule superpuissance, en l’occurrence les États Unis d’Amérique.
Par ailleurs, l’hégémonie américaine s’est bien installée particulièrement depuis la première guerre des sables au Moyen Orient et l’opération américaine ‘’Desert Storm’’ pour la libération du Koweït en 1991, durant la présidence de George H.W. Bush (père). Elle s’est renforcée depuis les attaques du 11 septembre 2001 et les diverses guerres avec la participation et le soutien de pays d’Europe mais aussi d’autres régions du monde : contre le terrorisme d’Al Qaida en Afghanistan, contre Saddam Hussein en Irak, contre Kaddafi en Libye, en Somalie, …etc.
En même temps, et en tant qu’héritière de l’ex-URSS, la Russie se battait pour dépasser ses handicapes sociaux et économiques et reconstruire son système politique sur de nouvelles bases, plus ou moins sur le modèle démocratique, tout en s’engageant dans de nouvelles relations avec l’Ouest, particulièrement sur le plan économique.
La résurgence des puissances hégémoniques
L’ascension de Vladimir Poutine à la tête de la Russie personnifie la nostalgie envers le passé glorifié et la grandeur de l’empire russe. Dans cette position, il ne diffère pas du Président américain, Donald Trump, qui souhaite ‘’restaurer’’ la grandeur de l’Amérique en réinstaurant la doctrine du Président Monroe par son appel pour ‘’America First’’. Les deux dirigeants adoptent des politiques nationalistes, renforcent leurs capacités nationales, remettent en cause l’ordre mondial établi et méprisent le droit international. En effet, ces deux puissances, membres permanents du Conseil de Sécurité, contribuent à accélérer ce changement au niveau de l’ordre mondial, tel qu’il a été bâti sur la base du droit international et le multilatéralisme depuis la deuxième guerre mondiale.
Cette transformation comprend la montée du populisme, le déclin du multilatéralisme et l’émergence de nouveaux centres de pouvoir opposés aux États-Unis, à savoir la Chine et la Russie, leaders de ce que l’on a appelé « le Sud global », en opposition à l’Occident sous la domination américaine. La Chine, qui n’a jamais dérogé à sa doctrine nationaliste et à ses aspirations pour le renouveau de la grandeur de l’Empire du Milieu, a su durant les trente dernières années se hisser surtout comme une puissance de premier plan dans différents domaines, tels le commerce, les diverses industries, les nouvelles technologies, l’espace, et surtout le domaine militaire. Elle n’est pas loin de dépasser les États Unis sur les plans économique, technologique, spatial, …etc. Elle est également membre permanent du Conseil de Sécurité, d’où évidemment son influence géopolitique.
De nos jours, les observateurs ont tendance à s’accorder sur le fait que les présidents de Vladimir Poutine en Russie et de Donald Trump aux États-Unis jouent un rôle central dans ce changement, chacun portant une croyance idéologique profonde et provocatrice en la suprématie et l’hégémonie de son pays, dans une sorte de course effrénée. Cette remise en cause de la domination unipolaire des États-Unis augure un possible monde multipolaire, où la Chine s’est également imposée avec force.
Si durant la guerre froide les États Unis et l’URSS menaient les deux blocs viscéralement opposés à tous les niveaux (idéologique, géostratégique, économique, …etc.), ces deux puissances se rencontrent actuellement, sous Trump et Poutine, dans leurs approches et leurs stratégies surtout dans la gestion des affaires internationales et la défense de leurs intérêts malgré leur divergence et leur concurrence.
Il suffit de voir l’élan pris par l’équipe du Président Trump, durant sa campagne électorale et après son investiture pour son deuxième mandat, avec l’hégémonie et le poids de l’influence de personnalités comme Elon Musk dans la nouvelle administration américaine. A côté des bouleversements entamés et prévus au niveau interne aux États Unis, ce qui attire l’attention et fait trembler l’Europe, en particulier, est l’énorme soutien actif des deux dirigeants au profit des partis et mouvements d’extrême droite sur le vieux continent.
La Russie de Poutine, puissance renaissante
Le monde entier est convaincu que Vladimir Poutine s’est donné pour mission de restaurer le statut de la Russie en tant que puissance, non seulement européenne comme du temps des tsars mais au niveau mondial comme celle de l’URSS. Sa stratégie a été marquée par des agressions militaires, comme l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine, ainsi que par une intervention directe et en puissance en Syrie pour soutenir le régime Assad.
Cette stratégie a culminé dans sa guerre contre l’Ukraine. Poutine est tout le temps pointé du doigt pour avoir également employé des tactiques de guerre hybride, notamment des cyberattaques, des campagnes de désinformation, et l’intervention dans des campagnes électorales aux USA et en Europe, et ce pour affaiblir les institutions occidentales et semer la discorde dans leurs sociétés. Il explique cette stratégie par le besoin de se défendre contre la présence de l’OTAN dans son voisinage immédiat en Europe de l’Est et dans la région balte, qu’il considère comme son espace vital.
Il faut reconnaître que l’adhésion des pays de l’Europe du Centre et de l’Est à l’Alliance Atlantique n’a été possible qu’en raison de la faiblesse de la Russie depuis la chute de Mur de Berlin. C’est ainsi que la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie ont rejoint l’OTAN en 1999 et sept autres pays dont les trois pays baltes partageant des frontières avec la Russie (Lettonie, Lituanie, Estonie) l’ont fait en 2004, dans la foulée de leurs adhésions à l’Union Européenne. Dans une déclaration du 7 février 2007, Vladimir Poutine a réitéré sa position considérant que l’extension de l’OTAN est une « sérieuse provocation » pour son pays.
Sa politique énergétique est un autre outil clé de l’arsenal russe. En exploitant ses vastes réserves de gaz naturel et de pétrole, la Russie a exercé une influence significative sur l’Europe, qui a été fortement et longtemps dépendante de l’énergie russe. Dans le même temps, Poutine a cherché à défier l’OTAN et l’Union Européenne, en promouvant l’intégration eurasienne comme une alternative aux alliances occidentales. Et de toute évidence, il a réussi à imposer sa vision de son espace stratégique vital en arrêtant de fait, par sa guerre en Ukraine, la poussée des frontières de l’OTAN vers le territoire russe. Il a du même coup fait oublier toutes les critiques contre son annexion de la Crimée.
Dans sa vision de la victoire dans cette guerre, il est évident que Poutine parie sur l’arrêt des fournitures en armes de l’Occident aux ukrainiens. Il poursuit ses efforts pour contraindre le Président américain à participer à des négociations bilatérales qui excluent l’Ukraine, pour imposer le cadre de négociations qu’il souhaite et, partant, pour contraindre Trump à approuver les opérations d’information russes en cours sur l’illégitimité du gouvernement ukrainien actuel.
Par ailleurs, si l’ancienne URSS était déjà présente, particulièrement, au Moyen Orient et en Afrique par le biais de régime militaire ou d’obédience socialiste, l’engagement de la Russie dans cette région du monde, depuis la fin du XXème siècle, se fait essentiellement dans le cadre de la course pour s’assurer une part des ressources naturelles et pour conquérir de nouveaux espaces comme en Libye, en Afrique centrale et au Sahel. Cette nouvelle présence a été assurée jusqu’à récemment par le biais des forces dites privées ou indépendantes de Wagner. Elle n’a pas pris la forme d’investissements et de partenariats économiques ou commerciaux comme pour la présence chinoise.
L’intervention russe en Syrie est un cas à part car l’objectif principal était de soutenir le régime de Bachar Assad, un ancien allié, en partenariat avec le régime de Mollahs iranien, un autre allié, contre les forces d’opposition syriennes, contre les groupes dits islamistes terroristes et surtout contre la présence des forces américaines. Ceci ne doit pas faire oublier l’objectif stratégique d’assurer la présence de l’armée russe dans cette région et surtout en Méditerranée orientale par le biais des ports russes en Syrie. Cette aventure a trouvé sa fin lorsque la Russie a décidé de lâcher le régime d’Assad et permettre sa chute, le 24 Décembre 2024.
BRICS, un facteur de changement
Un des grands succès de la nouvelle Russie réside dans le rôle clé qu’elle a eu dans la création et le développement du groupe des BRICS, le 16 juin 2009, en Russie, qui rassemblait le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, joint plus tard par l’Afrique du Sud, et d’autres pays. Le groupement a été conçu pour la formation d’une nouvelle réalité géopolitique qui contrebalance l’hégémonie occidentale, surtout américaine, et représenter un bloc d’économies émergentes considérées comme des acteurs importants de la croissance et du développement mondiaux. Et ce n’est pas une mince affaire pour la Russie que de réussir à attirer les puissances comme la Chine et l’Inde de son côté, même si personne ne peut parier, à ce jour, sur la solidité ou la pérennité de cette ‘’alliance’’.
Par sa vision stratégique, la Russie souhaitait ainsi créer un contrepoids et promouvoir un nouvel ordre mondial, plus multipolaire, dans lequel les économies de ces pays dits émergents pourraient exercer une plus grande influence sur les questions politiques et économiques mondiales.
Au début des années 2000, sous la présidence de Vladimir Poutine, la Russie a cherché à approfondir ses liens économiques avec des économies à croissance rapide comme le Brésil, l’Inde et la Chine. Ces pays étaient considérés comme des marchés émergents dotés d’un potentiel de croissance considérable ; et la Russie souhaitait s’aligner sur eux pour favoriser le commerce, l’investissement et le développement régional en dehors du système financier dominé par l’Occident.
Vu de l’impact des sanctions financières et commerciales occidentales contre la Russie en raison de la guerre en Ukraine, le projet ambitieux de création d’une nouvelle monnaie pour les échanges commerciaux en remplacement du dollar américain est de toute évidence un objectif stratégique qui pourrait, en cas de sa mise en œuvre, détruire la puissance financière et économique des États Unis et de tout l’Occident.
La Russie, qui se remettait de l’effondrement économique des années 1990, a souhaité diversifier son économie au-delà des exportations de pétrole et de gaz. Elle a vu dans la coopération avec les BRICS des opportunités pour favoriser le commerce dans des domaines comme la technologie, l’agriculture et l’énergie. Cette plateforme lui a fourni une structure formelle pour discuter de ces questions et créer des avantages économiques mutuels.
Par ailleurs, la création des BRICS ne concernaient pas seulement l’économie, mais aussi la coopération politique et sécuritaire. La Russie considère le groupement comme un moyen pour renforcer son influence géopolitique, en particulier face à l’intervention croissante de l’Occident dans les affaires mondiales. En construisant une coalition avec des puissances non occidentales, la Russie a pu affirmer son leadership politique et s’assurer que ses soucis sont partagés et ses intérêts sont mieux représentés dans la gouvernance mondiale. Elle a aussi contribué à la création de nouvelles institutions multilatérales au sein des BRICS, telle que la Nouvelle banque de développement (NDB). Ces institutions ont été conçues pour offrir des alternatives aux institutions dominées par l’Occident comme la Banque mondiale et le FMI.
Ainsi, le rôle de la Russie dans la création des BRICS a été motivé par une combinaison d’intérêts géopolitiques, économiques et stratégiques visant à modifier l’équilibre mondial des pouvoirs au détriment de l’Occident et à créer de nouvelles voies de coopération et d’influence économiques. Le leadership de ce groupement a contribué à faire des BRICS une plateforme importante de collaboration entre les principales économies émergentes, ce qui a pu y attirer de nouveaux membres. Un premier élargissement en 2023 a concerné cinq nouveaux membres : l’Éthiopie, l’Égypte, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.
Mais cette nouvelle alliance devra toujours trouver des compromis et des équilibres, surtout face aux nombreux défis économiques et les différends politiques qui opposent ses pays membres. De plus, depuis le 1er janvier 2025, les BRICS disposent d’une nouvelle catégorie « d’États partenaires », qui comporte pour le moment neuf pays (Belarus, Bolivie, Indonésie, Kazakhstan, Cuba, Malaisie, Thaïlande, Ouganda et Ouzbékistan), mais qui pourrait être amenée à s’agrandir davantage au cours des années à venir. Force est de constater que, suite au premier élargissement du groupe décidé du 1er janvier 2024, les BRICS représentent désormais 40,4 % de la richesse produite mondiale (en parité de pouvoir d’achat) et 51 % de la population dans le monde.
Les principaux pays de ce groupement n’ont pas manqué de susciter l’ire et les avertissements de la part de Donald Trump en ce début de 2025. Il a déclaré que les principaux pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) seraient punis par des « droits de douane de 100 % » s’ils remplaçaient le dollar américain dans leurs échanges internationaux. Sur le réseau social Truth Social, le président a aussi écrit que ces ‘’pays ne pourraient plus espérer vendre des marchandises aux États-Unis.’’
La doctrine « America First » de Trump
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, première puissance économique et militaire du monde, sont la force stable sur laquelle le monde extérieur et les démocraties occidentales peuvent compter. Cependant, cet état a commencé à changer en ce début de 2025.
Cependant, le 47ème président Donald Trump se comporte de manière résolument irrespectueuse d’abord envers les alliés traditionnels de son pays, surtout le Canada et en Europe occidental, et défie un certain nombre de règles et normes internationales communes. La perception des États-Unis comme le « Big Brother » fiable vient d’être ébranlée dans ses fondements pour une grande partie des dirigeants et de l’opinion publique en Europe.
Le slogan de « l’Amérique d’abord », en pratique, signifie que la nouvelle administration à Washington DC réserve principalement ses priorités aux affaires intérieures et, au niveau international, à la défense et la promotion des intérêts américains. Elle donne la primauté aux projets nationaux plutôt qu’à l’aide à l’étranger, par exemple.
Donald Trump a choisi ainsi commencé par la fermeture l’USAID, l’agence américaine d’aide au développement en annulant toutes les aides aux pays étrangers à l’exception de l’Égypte et Israël, qui en bénéficient depuis les Accords de Camp David du 17 Septembre 1978, ainsi qu’à la Jordanie.
L’USAID, le plus grand donateur mondial, a déboursé en 2023 un total de 72 milliards de dollars. En attendant de nouveaux développements, cette agence est désormais donc intégrée au Département d’État américain. Cette démarche est présentée comme faisant partie de nouvelle politique de gouvernance menée par l’homme d’affaires tout puissant Elon Musk, très proche soutien de Trump, pour réduire le poids, l’influence et les finances des organes et agences américaines. L’aide d’urgence américaine a de fait sauvé des millions de vies dans le monde jusqu’à présent ; et cette forme de puissance « douce » a conféré aux États-Unis un statut unique.
Mais le pays est en train de tout bouleverser. Et la Chine est sur le point de prendre – à long terme – le rôle des États-Unis, par le biais de ses dons et ses investissements dans le monde entier, sans s’ingérer dans les affaires intérieures des pays bénéficiaires, comme sur les questions des droits de l’homme ou l’écologie, mises en avant par les occidentaux.
Les États-Unis risquent donc de perdre l’énorme capital de bonne volonté qu’ils ont accumulé au cours des 70 dernières années dans de nombreux pays. S’il est encore trop tôt pour conclure que la communauté internationale en a assez des États-Unis avec Trump comme président, il n’y a cependant aucun doute sur la façon dont le monde des affaires et la communauté politique perçoivent le gouvernement américain. La situation actuelle n’est pas considérée comme tenable à long terme.
Il faudrait se rappeler que Donald Trump avait commencé son premier mandat, en janvier 2017, en marquant une volonté d’annuler les mesures prises sous l’ère de son prédécesseur Barak Obama. Il avait mis, le 23 janvier, fin à la participation des États Unis au traité de libre-échange Trans-pacifique (TPP). Ce partenariat, négocié par l’administration Obama, censé contrebalancer l’influence de la Chine, a été signé en 2015 par douze pays d’Asie-Pacifique, représentant 40 % de l’économie mondiale.
Le 1er juin 2017, il a annoncé le retrait de l’accord de Paris, conclu par 195 pays en 2015, qu’il avait qualifié de « très injuste« pour son pays puisqu’il permettrait, selon lui, aux autres nations de prendre un avantage sur l’industrie américaine. Le retrait effectif n’est intervenu qu’en novembre 2020. De même, il a décidé le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (dont l’acronyme anglais est JCPoA), signé en juillet 2015 entre l’Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne). Cette décision a été soutenue par les pays du Moyen-Orient alliés des États-Unis mais critiquée par les pays signataires de l’accord.
Avec Donald Trump à nouveau à la tête de l’américain pour son deuxième mandat, un changement fondamental s’est produit dans la politique américaine et dans les affaires internationales. Il veut remporter des victoires rapides et symboliques à court terme, qui peuvent être communiquées comme un succès à ses fans et ses adversaires. Il semble que, de son propre point de vue, le président parvienne à changer de cap et, contrairement à ses prédécesseurs, à obtenir de résultats escomptés pour son pays.
En réalité, Donald Trump est resté en 2025 fidèle à sa doctrine et ses promesses de campagne ; et il est revenu avec davantage de force et de détermination pour démolir le multilatéralisme et à défier le droit international et l’ordre mondial.
Sa présidence marque un tournant radical par rapport à la politique étrangère américaine traditionnelle. Sa doctrine « America First » entend donner la priorité à la souveraineté et aux intérêts économiques des États-Unis sur la coopération mondiale. Il n’a pas trouvé mieux, et de manière fracassante, que de signer dès son premier jour à la Maison Blanche, un ordre présidentiel, parmi tant d’autres, pour retirer son pays de l’accord de Paris et de l’Organisation Mondiale de la Santé.
De même, les États-Unis se sont déjà retirés de plusieurs organisations internationales de premier plan ou arrêter la contribution financière à d’autres. L’ONU, à ses yeux, ne sert à rien et coûte cher ; et le multilatéralisme et l’aide au développement en sont à chaque fois ébranlés. Le président américain a également signé un décret interdisant le financement par des fonds fédéraux d’ONG internationales qui soutiennent l’avortement, comme le planning familial. Depuis sa signature en janvier 2025, de nombreuses organisations ont perdu une partie de leurs financements.
Dédain pour le droit international
Si les actions de Trump étaient attendues car elles représentent un prolongement de sa politique durant son premier mandat, sa volonté d’expansionnisme territorial est plus étonnante depuis sa lancée électorale. Il a continué à menacer de reprendre le contrôle du canal de Panama. Il a réitéré son souhait de voir le Canada comme le 51e État américain, tout en rappelant ses prétentions et sa détermination pour réaliser l’acquisition de l’île danoise du Groenland. L’exemple de l’invasion russe en Ukraine n’est pas loin de ces projets expansionnistes américains.
Les dirigeants et les populations du Canada et du Danemark n’en reviennent pas du choc et tremblent de peur de voir cette stratégie poussée à sa fin et non seulement comme une stratégie de négociation de la part des américains. L’Europe entière semblent frémir de l’impact des déclarations de Trump et se cherchent dans des rencontres incessantes entre ses dirigeants pour trouver un minimum de consensus qui assureraient la souveraineté de ses états et de leur sécurité.
De ce fait, il a réussi à bien marquer les esprits dans le monde entier par son dédain pour le multilatéralisme et a jeté le doute sur la confiance, la solidarité et la solidité des relations transatlantiques au sein de l’OTAN, la plus importante alliance militaire du monde. En outre, son approche des alliances, comme la remise en question de la valeur de l’OTAN, a rendu les alliés européens incertains quant aux engagements des États-Unis. Cela pourrait les conduire à rechercher plus d’autonomie, ce qui pourrait être à la fois un défi et une opportunité.
Mais Trump reste toujours critique envers des organisations comme l’ONU et l’OTAN. Son retrait de plusieurs accords internationaux et sa politique « America First » ont en revanche mis l’accent sur les accords bilatéraux. Cependant, la confiance dans les États-Unis en tant que partenaire fiable a été ébranlée, ce qui a certainement des effets à long terme. Il apparait clairement que, d’une manière globale, Trump tente d’intimider le monde entier, dont des alliés proches comme le Canada, le Mexique et le Danemark, ainsi que des ennemis ou des concurrents comme la Chine. Mais cela suscite à la fois l’indignation et la méfiance envers les États-Unis et ne manquerait pas de leur attirer des représailles.
Le sabre des tarifs douaniers
Depuis son investiture, le président américain a menacé d’imposer des tarifs douaniers à des pays du monde entier. Il a commencé par signer un décret présidentiel qui impose un taux de 25 % sur les marchandises en provenance du Mexique et du Canada, ainsi qu’un taux de 10 % sur les marchandises en provenance de Chine. Cependant, peu de temps avant l’entrée en vigueur, les États-Unis ont convenu, le 3 février 2025, d’entrer dans une pause d’un mois sur les nouveaux tarifs avec le Mexique et le Canada, les deux pays devant en contreparties doubler d’efforts pour sécuriser davantage les frontières et ainsi renforcer la politique de Trump dans sa lutte contre l’immigration.
Donald Trump a ainsi mis toutes les voiles pour la guerre tarifaire contre les principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Néanmoins, des tarifs punitifs sur les marchandises chinoises sont entrés en vigueur, incitant la Chine à imposer des tarifs de rétorsion. Cela montre comment il travaille et jusqu’où il est prêt à aller.
Par ailleurs, l’annonce et la politique de Trump a fait sensation, notamment au Canada, où de nombreuses catégories de la population se distancient clairement du président américain. Des Canadiens ont manifesté leur grand mécontentement face aux tarifs douaniers sur les produits du pays. L’hymne national américain a même commencé à être accueilli par des huées fortes et soutenues de la part du public canadien lors d’évènements sportifs.
Il reste à souligner que, dans cette guerre des tarifs, les répercussions de l’imposition des droits de douane prévus de 25 % sur les marchandises en provenance du Canada et du Mexique et de 10 % sur les marchandises chinoises, risquent à terme de toucher les consommateurs américains eux-mêmes. C’est ce que montre une analyse du groupe de réflexion Tax Foundation, basé à Washington (taxfoundation.org, Trump Tariffs: Tracking the Economic Impact of the Trump Trade War).
Cette analyse montre que la pénalité tarifaire proposée pour les trois pays réduirait la valeur des ventes de biens et de services des États-Unis de 0,4 % et augmenterait les impôts de 1 200 milliards de dollars entre 2025 et 2034. Pour un ménage américain moyen, cela correspond à une augmentation d’impôt de 830 dollars en 2025.
La réponse de la Chine aux tarifs de Trump
Une minute seulement après l’entrée en vigueur, le mardi 4 février 2025, des tarifs de 10 % imposés par les États-Unis sur les produits chinois, la Chine a réagi par des mesures, qui à ce jour tout de même relatives, contre les produits importés des États-Unis :
• 15 % de droits de douane sur le charbon et le gaz naturel
• 10 % de droits de douane sur le pétrole, les machines agricoles, les camionnettes et les voitures à gros moteurs
• Des contrôles à l’exportation vers les États Unis sur 25 métaux rares pour « protéger les intérêts de sécurité nationale ».
• ‘’PVH Corp’’, qui est la société holding des marques de mode Calvin Klein et Tommy Hilfiger, entre autres, et la société de biotechnologie ‘’Illumina’’ ont été ajoutées à la liste chinoise des « entités non fiables ».
Les tarifs contre les États-Unis entrent en vigueur le 10 février 2025, et la Chine dépose une plainte officielle auprès de l’OMC concernant les tarifs punitifs américains. Le Ministère chinois du Commerce a déclaré dans un communiqué que les actions américaines étaient de nature « malveillante ». Dans le prolongement de leur réaction, les autorités chinoises ont annoncé qu’elles enquêteraient sur Google pour violation des règles de concurrence. Le géant technologique pourrait avoir violé la législation chinoise destinée à restreindre les entreprises en situation de monopole.
Selon l’ambassade de Chine à Washington DC, « la position de la Chine est ferme et cohérente. Les guerres commerciales et douanières n’ont pas de vainqueur. Les hausses unilatérales des tarifs douaniers par les États-Unis violent gravement les règles de l’OMC. Cette décision ne peut pas résoudre les problèmes intérieurs des États-Unis et, plus important encore, ne profite à aucune des deux parties, et encore moins au monde. » (http://us.china-embassy.gov.cn/eng/zmgx/zxxx/202502/t20250202_11548198.htm, 01/02/2025)
Il y a lieu de rappeler qu’au cours de la précédente présidence de Trump, les États-Unis et la Chine ont alternativement augmenté les droits de douane sur un large éventail de produits dans le cadre d’un conflit commercial. Cependant, sur le plan stratégique, il apparait que la Chine pourrait être le grand bénéficiaire de l’élan protectionniste et nationaliste du président américain et de l’invasion russe en Ukraine, en renforçant ses positions et capacités à tous les niveaux et pourrait se hasarder un jour à conquérir l’île de Taiwan, suivant l’exemple de l’annexion russe de la Crimée ou la guerre en Ukraine ou même le projet de conquête de Trump des territoires du Canada et du Groenland.
Le dilemme de l’Europe
L’Europe se trouve au centre de ce nouveau paysage géopolitique. L’agression russe, en particulier l’annexion de la Crimée, la guerre en Ukraine et la guerre hybride en cours, ont érodé la stabilité européenne, qui se trouvent face à une situation économique problématique depuis la succession de crises financières et la crise sanitaire. Dans le même temps, le scepticisme de Trump à l’égard de l’OTAN et ses demandes d’augmentation des dépenses de défense ont mis à rude épreuve les liens transatlantiques, suscitant des appels à une plus grande autonomie stratégique européenne.
La montée des mouvements nationalistes et populistes dans des pays comme la Hongrie, la Pologne et l’Italie, encouragée par l’élection de Trump, a encore compliqué la situation, sapant la cohésion de l’UE et remettant en cause ses valeurs fondamentales. Parallèlement, l’Europe doit gérer ses relations économiques avec la Chine, en équilibrant les avantages du commerce avec les préoccupations liées à l’influence géopolitique croissante de Pékin et à son bilan en matière de droits de l’homme.
Au même moment, la Commission Européenne se prépare depuis des mois aux éventuelles taxes punitives de Trump contre l’UE. Et tout comme la Chine a pu réagir rapidement et imposer des taxes sur certains produits américains, l’UE utiliserait exactement la même stratégie si les négociations avec les Américains échouent. Les observateurs se demandent si Donald Trump comprend vraiment les enjeux, tant pour les Américains que pour les Européens, dont les économies sont étroitement liées. Est-ce un bluff ? Une ruse de négociation, un moyen de chantage ? Et si oui, quel est son objectif ? La vérité est que personne ne peut encore le dire avec certitude.
Le président américain Donald Trump a déclaré qu’il prévoyait de faire quelque chose de ‘’significatif’’ en matière de droits de douane sur les marchandises en provenance de l’Union Européenne, affirmant que l’UE « n’a pas bien traité les États-Unis ».
Et l’UE serait alors dans l’obligation riposter. Elle suivrait toutes les procédures, à savoir imposer des taxes punitives sur les produits américains conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’était le cas également en 2018, lorsque Trump avait imposé des taxes sur l’acier et l’aluminium européens. À l’époque, l’UE avait réagi en imposant des taxes sur des produits américains soigneusement sélectionnés tels que le bourbon, les jeans et les motos Harley Davidson – des produits fabriqués dans des États où les dirigeants politiques soutenaient Donald Trump.
Cette fois, la réponse de l’UE tenterait très probablement de sanctionner des produits provenant de zones géographiques soigneusement sélectionnées aux États-Unis, ce qui frapperait la base électorale de Trump. Il est donc prévisible qu’une guerre commerciale serait profondément préjudiciable pour toutes les parties.
Afrique du Nord et nouvel ordre
La situation stratégique de l’Afrique du Nord en a fait un point focal de la compétition entre grandes puissances. La Russie a étendu sa présence militaire et économique dans la région, notamment en Libye et en Égypte, en plus de son allié traditionnel algérien, y remettant en cause la domination occidentale. En même temps, la réduction de l’engagement américain dans cette région, comme dans le Sahel, a créé un vide qui a permis à la Russie et à la Chine d’accroître leur influence.
Pour sa part, la présence traditionnelle française s’est réduite ces dernières années dans toute la région et en Afrique comme une peau de chagrin. Dans les pays du Sahel et en Afrique centrale, les forces françaises et américaines ont été simplement remplacées par les forces russes de Wagner. L’empreinte de l’Union Européenne, un regroupement en crise identitaire et économique mais sans poids géopolitique, est presque invisible dans la gestion des conflits et affaires internationales.
Le conflit inter-libyen, la situation sécuritaire au Sahel, la position de la région comme point de transit et de départ des migrants vers l’Europe, la crise économique et financière en Tunisie, l’isolement du régime militaire en Algérie, l’absence de résolution du conflit au sujet du Sahara marocain, la faiblesse du régime en Mauritanie, et tant d’autres problèmes, ne manquent pas d’exacerber les tensions. Dans ce temps, l’initiative chinoise ‘’Belt and Road’’ apporte des investissements importants en Afrique du Nord, notamment au Maroc, suscitant des inquiétudes quant à la dépendance économique de ces pays et à l’influence géopolitique grandissante de la Chine dans la région et ailleurs en Afrique.
La diplomatie d’équilibre du Maroc
Le Maroc, situé au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient, est confronté à la fois à des opportunités et à des défis dans cette nouvelle ère. La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara par les États Unis en 2020 et par de nombreux États européens dont dernièrement la France en 2024, a renforcé davantage les liens traditionnels et multiformes entre le Maroc et tous ces pays. Ceci a consolidé sa position et son aura en tant que partenaire de confiance et stratégique, sachant que le Royaume bénéficie de relations de partenariat stratégique également avec la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil. D’où la réussite reconnue de la diplomatie marocaine capable de maintenir cet équilibre et une grande position de neutralité au sujet des grandes questions internationales et des conflits actuels.
Les relations économique et commerciales du Maroc avec l’UE, premier partenaire commercial, et tous ces pays sont vitales pour sa croissance économique, mais nécessitent une gestion prudente et une vigilance accrue en continue pour maintenir ces relations au niveau politique et économique escompté. Il faut noter également que Maroc est le seul pays africain qui a conclu un accord de libre-échange avec les États Unis, depuis 2006, et dispose d’accords similaires avec la Turquie, et d’autres pays.
Le pays a toujours joué un rôle prépondérant concernant la question libyenne, le conflit israélo-palestinien et sur les questions du monde arabo-musulmans en général. Il se place comme un leader dans le domaine de la coopération pour le développement et des échanges en Afrique. Le Maroc est en fait le premier investisseur africain dans le zone de l’Afrique de l’Ouest et le deuxième sur tout le continent.
Il joue aussi un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme, notamment pour la stabilisation de la région du Sahel, même si la situation est aggravée par les défis posés par les conflits en Libye et au Mali. Parallèlement, le leadership du Maroc illustré par ses réussites économiques, particulièrement dans sa transition industrielle, dans le domaine des énergies renouvelables, le positionne comme un pôle régional de développement durable. Cette situation le rend de plus en plus attractif pour les investissements directs étrangers de différents pays, et particulièrement européens et chinois ces derniers temps, ce qui confirme la confiance placée en lui au niveau international.
Un monde multipolaire : défis et opportunités
Il faut se rendre à l’évidence que la deuxième présidence Trump accélère la crise du multilatéralisme en promouvant l’unilatéralisme et le protectionnisme, tout en sapant les alliances et la coopération internationale. Cependant, elle doit également révéler la résilience même partielle des institutions internationales et inciter d’autres acteurs à combler le vide laissé par les États-Unis. L’impact à long terme dépendra de la capacité la puissance américaine et de ses partenaires à reconstruire la confiance et à moderniser les cadres de coopération aux niveaux tant bilatéral que multilatéral.
Cependant, l’ère de la domination américaine est en voie d’être révolue, par le fait des politiques de ses dirigeants, et pourrait être remplacée par un monde multipolaire où le pouvoir serait réparti entre plusieurs acteurs majeurs, tels la Chine, la Russie et des puissances régionales comme l’Inde. Le positionnement et les stratégies de la Chine, dans sa quête de puissance mondiale et de compétition, méritent une attention toute particulière.
Cet environnement ne manquerait pas de conduire à une instabilité et une concurrence accrue, alors que le nationalisme et le populisme remplacent le consensus de l’après-Seconde Guerre mondiale sur la gouvernance mondiale.
Le changement de paradigme géopolitique et géostratégique, dans les temps actuels, a remodelé l’ordre mondial, passant d’un système unipolaire dominé par les États-Unis à un monde fragmenté et multipolaire. C’est un bouleversement qui présente des défis importants, alors que les États doivent faire face à la montée du nationalisme, au protectionnisme commercial, à la concurrence entre les grandes puissances et à l’évolution de la dynamique sécuritaire caractérisée par la non résolution de plusieurs conflits.
Les leçons du passé et du présent sont claires : l’adaptabilité et la clairvoyance stratégique seront essentielles à la survie et au succès de certains pays dans un ordre mondial en mutation, dans un monde d’alliances changeantes et de puissances concurrentes, où les gouvernements et les principaux acteurs tentent de mettre en œuvre des stratégies adaptatives afin de relever les défis et profiter des opportunités de l’ère contemporaine.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.