Tentative d’introduction à la diplomatie

par monsieur Bahbouhi Mahfoud

Ancien diplomate


Au prélude de cette série d’articles d’opinion, formant un dossier visant à donner un aperçu de la longue histoire et de la pratique de la diplomatie du Royaume du Maroc, en relation avec mon domaine d’intérêt et mon expérience dans le domaine diplomatique, que j’ai menée pendant 33 ans et demi jusqu’à l’âge de la retraite, je considère nécessaire de proposer aux lecteurs de commencer par définir ce que l’on appelle « diplomatie » au sens large. C’est là un des domaines ou mécanismes peu connus du grand public, souvent sujet de fantasme et de fausse idée. Cependant, c’est là un domaine d’activité que tout pays du monde contemporain doit posséder et développer, pour mener ses relations extérieures et défendre ses intérêts ainsi que ceux de ses citoyens dans d’autres pays. 

En effet, tous les pays doivent exploiter leurs capacités à cet effet. Parmi ces capacités ou mécanismes, officiels et incontournables, on trouve le Ministère des Affaires Étrangères et ses missions diplomatiques et postes consulaires. Ce ministère est considéré dans la plupart des pays comme l’un des départements qui assurent les fonctions régaliennes de l’État, tels que l’intérieur, la défense, les finances, etc. Il est généralement placé en haut sur la liste des gouvernements. Mais il existe des cas de gouvernements qui le placent plus bas, pour des raisons d’équilibre entre des partis politiques au sein d’une alliance gouvernementale.

D’autre part, et outre la diplomatie officielle, que l’on peut appeler le mécanisme traditionnel, il existe ce que l’on appelle, techniquement et par exagération, de nouveaux types d’activités menées au-delà des frontières du pays d’origine pour défendre ses intérêts, comme la diplomatie parlementaire, partisane, culturelle, militaire, populaire, de de la société civile, qui sont autant d’appellations pour les actions de forces, de groupes et d’individus sans cadre institutionnel ou permanent. Il n’en demeure pas moins que, dans la plupart des cas, de telles actions sont occasionnelles et se caractérisent par l’improvisation, voire par les convictions, les calculs politiques ou les intérêts personnels. 

En réalité, aucun pays ne ménage ses efforts pour tenter de convaincre ou d’influencer d’autres pays et peuples, d’imposer l’image qu’il véhicule de lui-même ou de sa souveraineté. C’est là un objectif qui ne peut être atteint sans un dispositif diplomatique actif, fort, compétent, voire militant, que ce soit au niveau des structures officielles, à savoir l’administration centrale (le Ministère des Affaires Étrangères) et les missions diplomatiques et postes consulaires à l’étranger, ou au niveau des ressources humaines chargées de mettre en œuvre la politique étrangère de l’État dans tous les domaines (politique, économique, culturel, consulaire, social, etc.).

Ainsi, pour approfondir la définition de la diplomatie, et sans entrer dans de longues explications académiques et références à l’origine linguistique du mot, ou aux manifestations les plus anciennes de son usage et de son évolution au fil des âges, comme ce fut le cas chez les Grecs ou les Romains, ni même au niveau de son application par le biais de négociations et d’envoi de missions par les Sultans du Maroc auprès des dirigeants de différents pays, que ce soit en temps de guerre ou de paix, nous présentons ici quelques éléments de ce que certaines sources modernes de notre époque fournissent sur cette définition.

Ainsi, à l’ère d’Internet et du développement technologique rapide, la mode et l’esprit du temps nous obligent à ne pas ignorer les dernières tendances dans le domaine des moyens recherche de l’information. Pour cela, j’ai donc posé la question, à titre expérimental, à l’une des applications d’intelligence artificielle. La réponse indique que « la diplomatie est la pratique consistant à mener des relations et des négociations internationales entre États ou autres entités, généralement par le dialogue et des moyens pacifiques. Elle implique le recours au tact, à la négociation et au compromis pour résoudre les différends, nouer des alliances et promouvoir la coopération sur des questions telles que le commerce, la sécurité, les droits de l’homme et l’environnement. Les diplomates, qui représentent leur pays, engagent des discussions pour protéger les intérêts de leur pays tout en recherchant des solutions mutuellement avantageuses avec d’autres États ou organisations. » 

La diplomatie peut donc se manifester à différents niveaux, allant des discussions bilatérales entre deux pays aux négociations multilatérales impliquant des organisations internationales comme les Nations Unies. 

Au niveau académique et des dictionnaires de référence de langue, le moteur de recherche Google s’appuie prioritairement sur le dictionnaire anglais « Cambridge » et en donne la définition suivante : « La diplomatie est l’art, la science et la méthode par lesquels les nations, les groupes ou les individus conduisent leurs affaires de manière à protéger leurs intérêts et à promouvoir leurs relations politiques, économiques, culturelles ou scientifiques, tout en maintenant des relations pacifiques. La diplomatie est l’art et la pratique de nouer et d’entretenir des relations et de négocier avec des personnes en faisant preuve de tact et de respect mutuel. »

On constate également que le dictionnaire français « Larousse » définie la diplomatie, à cinq niveaux, la présentant comme : 

« 1- La branche des sciences politiques qui s’intéresse aux relations internationales ; 

2- Le travail et la méthode de représentation d’un pays auprès d’un pays étranger et dans les négociations internationales ; 

3- Le métier ou la profession de la personne qui travaille dans cette représentation ; le corps que ces fonctionnaires (diplomates) forment ; 

4- La politique étrangère d’un pays, d’un gouvernement (d’un pays). 

5- L’habileté, le discours, la souplesse et la sagesse nécessaires à la gestion d’une réunion ou d’une affaire difficile. »

L’autre dictionnaire français, « Le Robert », la définit comme « une branche de la politique qui s’intéresse aux relations entre les pays et qui est l’art de représenter les intérêts d’un gouvernement à l’étranger, de gérer les affaires internationales et de mener et de mettre en œuvre les négociations entre pays. »

L’Encyclopédie « Britannica », pour sa part, définit la diplomatie comme « la méthode établie pour influencer les décisions et le comportement des gouvernements et des peuples étrangers par le dialogue, la négociation et d’autres mesures n’impliquant ni guerre ni violence. Les pratiques diplomatiques modernes sont un produit du système étatique européen de l’après-Renaissance. Historiquement, la diplomatie désignait la conduite de relations formelles (généralement bilatérales) entre États souverains. Cependant, au XXe siècle, les pratiques diplomatiques initiées en Europe avaient été adoptées dans le monde entier, et la diplomatie s’était étendue aux sommets et autres conférences internationales, à la diplomatie parlementaire, aux activités internationales des entités supranationales et infranationales, à la diplomatie informelle des acteurs non gouvernementaux et au travail des fonctionnaires internationaux. »

On peut conclure que ces définitions sont à la fois générales et spécifiques, et que la diplomatie, dans tous les cas, est la somme des moyens et des activités que chaque pays souverain utilise pour servir sa politique étrangère. Ce concept est donc lié à l’art de gérer les relations et négocier les enjeux et les intérêts entre les pays. Cela ne signifie pas que la diplomatie soit synonyme de politique étrangère, mais plutôt qu’elle en soit un outil d’exécution, conditionné par le niveau de confiance que l’État lui accorde.

On pourrait souvent croire que la diplomatie est uniquement menée par ou entre de hauts fonctionnaires. Mais en réalité, chaque pays dispose d’un grand nombre, voire de milliers, de fonctionnaires spécialisés et d’attachés (issus de différents départements), chargés de mettre en œuvre sa politique étrangère et de gérer ses relations internationales. Les diplomates sont ceux parlent au nom de leurs Chefs d’Etats, de leurs gouvernements, et de leurs pays respectifs en général. Ils communiquent avec les gouvernements étrangers et les organisations internationales, et gèrent les ambassades et les consulats/consulats généraux à l’étranger.

Force est de constater que la plupart des définitions et explications académiques sont généralement produites par des universitaires, mais non par des diplomates praticiens. Elles constituent de ce fait une tentative d’explication du concept, visant à cerner autant que possible la portée, les limites, les fonctions et la trajectoire d’évolution de ce champ d’activité humaine et des interactions entre États et gouvernements, qu’est la diplomatie. 

Cependant, moins nombreux sont les auteurs et analystes qui se sont attachés à définir et à expliquer le rôle et le comportement de l’acteur essentiel de ce domaine, à savoir l’élément humain : hommes et femmes. Les diplomates professionnels assument au quotidien, sur le terrain, la responsabilité de mettre en œuvre les politiques et les instructions de leur pays en la matière. Ils et elles sont les portes voix de leurs pays. Ils et elles le représentent en toute occasion et circonstance, même dans leur temps libre et relations de vie privée.

Il est vrai qu’à ses débuts, la diplomatie était principalement une affaire d’interaction entre Chefs d’État, pays ou gouvernements, par l’envoi de ministres, d’ambassadeurs et d’émissaires, pour représenter la partie émettrice, transmettre un message, négocier un accord ou une affaire, ou encore libérer un prisonnier de guerre par exemple. 

En effet, et comme autrefois, tout l’honneur de mener de telles missions est encore aujourd’hui principalement dévolu aux ambassadeurs, car ce sont eux qui, partout dans le monde, sont nommés exclusivement par les Chefs d’État et reçoivent de la part de ces derniers les Lettres d’accréditation (le document officiel d’accréditation). Ils sont accrédités auprès d’autres Chefs d’État à qui il doivent présenter ce même document, pour pouvoir entamer leur mission, et qui les reçoivent également pour la prise de congé, mettant fin à la même mission. 

Il est inacceptable de voir un ambassadeur nouvellement accrédité dans un pays en même temps sur le sol de ce pays que son prédécesseur. Le protocole diplomatique, tel que codifié dans « la Convention Vienne sur les relations diplomatiques », signée à le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964, impose par exemple à tout ambassadeur en poste de notifier aux autorités du pays d’accueil tous ses mouvements de sortie et de rentrée dans ce dernier. 

Au sein d’une ambassade, le titre d’ambassadeur est le plus haut rang de représentant diplomatique envoyé par un pays auprès d’un autre. En son absence, l’ambassade est dirigée par un diplomate titulaire nommé par le Ministère des Affaires Etrangères du pays d’envoi en sa qualité de Chargé d’Affaires, soit un Chargé d’Affaires e.p. (en pied) si son État décide de maintenir la représentation du pays à un niveau inférieur à celui d’un ambassadeur, soit un Chargé d’Affaires a.i. (ad interim) pendant une absence temporaire de l’ambassadeur en exercice ou dans l’attente de la nomination d’un nouvel ambassadeur. 

En plus des diplomates de carrière (professionnels), il n’en demeure pas moins que la diplomatie est aujourd’hui pratiquée également par une multitude d’acteurs, aux parcours, spécialités et talents divers, et même issus de différents ministères et d’agences, bien qu’ils exercent leurs fonctions sous le même toit, au sein d’une ambassade ou d’un consulat. Cependant, tous ces fonctionnaires, portant le titre de diplomates ou attachés, figurant sur la liste du personnel d’une mission diplomatique ou d’un consulat/consulat général, ne font pas partie du personnel principal du Ministère des Affaires Étrangères du pays accréditant.

Il est impératif donc d’accorder une attention particulière à la distinction des titres et des fonctions dans le domaine diplomatique, ainsi qu’à la prise en compte du statut du diplomate en tant que tel et de son rôle au sein de la mission diplomatique ou du poste consulaire, selon les différents rangs et fonctions. Pour comprendre et clarifier ces fonctions particulières et les devoirs qui en découlent, rien de mieux que de se référer au seul instrument et accord international régissant la diplomatie, à savoir « la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques », qui définit les fonctions des ambassades comme suit : 

Article 2

L’établissement de relations diplomatiques entre États, ainsi que celui des missions diplomatiques permanentes, se fait par consentement mutuel.

Article 3

1. Les fonctions d’une mission diplomatique consistent, entre autres, à :

a) Représenter l’État accréditant auprès de l’État accréditaire ;

b) Protéger dans l’État accréditaire les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants, dans les limites autorisées par le droit international ;

c) Négocier avec le gouvernement de l’État accréditaire ;

d) S’informer par tous les moyens licites de la situation et de l’évolution de la situation dans l’État accréditaire et en rendre compte au gouvernement de l’État accréditant ;

e) Promouvoir des relations amicales entre l’État d’envoi et l’État d’accueil, et développer leurs relations économiques, culturelles et scientifiques.

En ce qui concerne l’une des principales fonctions des diplomates, à savoir l’exercice des fonctions consulaires et la protection des nationaux et de leurs intérêts, il existe un accord international distinct, en l’occurrence « la Convention de Vienne sur les relations consulaires », signée à Vienne le 24 avril 1963 et entrée en vigueur le 19 mars 1967.

Au niveau du Royaume du Maroc, et en plus des traditions millénaires et des codes du protocole royal consacrés par les dynasties successives régnantes depuis des siècles, il est évident que l’État a suivi la voie et la pratique de cette diplomatie moderne, depuis son indépendance, en créant le Ministère des Affaires Étrangères, par le Dahir n°1-56-097 du 14 ramadan 1375, 26 avril 1956, et en ouvrant des ambassades et des consulats à l’étranger.

Ainsi, « conformément à l’arrêté n° 2.11.428 du 7 Chawal 1432 (6 septembre 2011) définissant les attributions et l’organisation du Ministère des Affaires Étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains Résidant à l’Étranger (appellation actuelle), « le ministère est chargé de diriger l’action diplomatique marocaine, de développer la coopération internationale, de coordonner l’ensemble des relations extérieures et de veiller à leur harmonisation avec la politique étrangère du Maroc. Il est également chargé d’assurer la protection des citoyens, des intérêts et des biens marocains à l’étranger, de faciliter le développement de leur activité et de prendre en charge les droits des réfugiés et des apatrides résidant sur le territoire national. » (Présentation du ministère sur son site web)

Sur le plan des ressources humaines, ce Ministère est une institution qui emploie des fonctionnaires de différents grades administratifs, portant différents titres diplomatiques, issus de différentes spécialités académiques. Hommes et femmes, ils sont en partie basés à son siège à Rabat (communément appelé l’administration centrale), ou en poste dans les ambassades et consulats généraux du Royaume dans de nombreux pays à travers le monde. A ces diplomates, dits de carrière, s’ajoutent selon les besoins d’autres fonctionnaires issus d’autres ministères et administrations (Défense, intérieur, justice, finance, DGSN, … etc.), nommés en tant qu’attachés, pour servir à l’étranger.