Le continent africain connaît depuis longtemps des tentatives de déconstruction et n’arrive, guère, de trouver sa boussole stratégique. Faute d’une vision commune globale sur les véritables objectifs de la mission de institutions, le continent s’est engloutit dans des labyrinthes menant à des clivages sans précédent.
En dépit de plusieurs tentatives de construction, ces initiatives se heurtent à des difficultés structurelles portant sur la présence des problèmes endogènes et exogènes. Avec une présence de forte divergences sur son projet d’intégration, d’adhésion et d’insertion dans la mondialisation, l’Afrique continue de se présenter en état de désynchronisation par rapport à l’évolution du monde. Témoins de ce désalignement des États africain sur la voie à prendre pour construire une union solide, l’Afrique s’est distinguée par des manœuvres de création des blocs transnationaux et trans-régionaux. Le dernier sommet de l’UE et UA a connu l’annonce de la création d’une « alliance » entre quatre pays à savoir l’Algérie, l’Éthiopie, le Nigéria et l’Afrique du Sud.
On ne peut omettre l’évolution qu’imprègne la situation à l’échelle internationale pour analyser cette nouvelle « alliance ». En effet, depuis longtemps le continent africain est devenu un jeu d’échec dans lequel il y a des acteurs internationaux qui jouent la partie pour conquérir des espaces stratégiques et de fait asseoir une stratégie capable de conquérir certaines zones d’influences stratégiques. Sur le plan intérieur du continent, l’UA incapable de surmonter ses faiblesses, a connu des tremblements et des tentatives de reconfiguration de ses principaux pôles régionaux. En quête d’une influence sur la politique intérieure et même pour façonner les agendas régionaux, certains pays du continent africains ont multiplié les actions afin de réduire à néant les institutions de l’UA, même d’affaiblir ses mécanismes et de promouvoir la paix et la sécurité. Dans un contexte où l’Afrique est appelée à assumer davantage de responsabilités pour le développement, la paix et la sécurité sur le continent, la conquête du leadership régional est devenue un enjeu majeur. De ce fait, nous avons assisté à maintes reprises à des stratégies de cloisonnement et de découpage du continent africain.
C’est une certitude, les changements dans la répartition du pouvoir à l’échelle mondiale influenceront la capacité de l’Afrique à se projeter afin de construire des alliances informelles et formelles à la fois continentale et mondiale. Cette « alliance » s’inscrit dans ce contexte international caractérisé pour une reconfiguration de pouvoir continental et mondial. Cependant, dans les temps des turbulences n’importe quel mouvement douteux ne peut se faire que pour un objectif bien précis : un changement forcé d’orientation et de direction.
À cet égard, cette « alliance » est une tentative d’imposer certains paradigmes dans la stratégie de balkanisation politique du continent africain. Par conséquent, l’Afrique est susceptible de rester à peu près là où elle était, hélas, aux marges des complexités entourant et la mesure et la prévision du pouvoir mondial. D’ailleurs, d’un point de vue mondial, les prévisions, suite aux tensions mondiales, couplées avec les répercussions de la pandémie Covid19, l’Afrique restera là où elle est d’ici 2045. Il faut le rappeler, le continent africain, post-chute du mur de Berlin, tous ces efforts se sont concentrés sur la quantification de l’équilibre des forces et de pouvoir entre l’ancien URSS, les USA et divers États européens. Ainsi, dans un ordre mondial en reconfiguration avec un rôle d’une Afrique de plus en plus grandissant dans les équations géopolitiques et sécuritaires, les États africains sont appelés à engager des réformes solides dans l’architecture institutionnelle de son Union. Par conséquent, la nouvelle « alliance » africaine qui regroupe l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Nigéria ne peut que provoquer la division de l’Afrique en blocs.
Il est à noter, le G4, s’inspirant du marxisme, en essayant de légitimer son « instrument », propose un schéma de sectorisation du continent avec une « classe dirigeante » imposant sa domination aux autres classes de pays.
Dès lors, concevoir un organe parallèle au Conseil Exécutif de l’Union africaine est une atteinte à l’Acte Constitutif de l’UA notamment les articles 3, 4, 5, 10 et 13. Ce dernier, précise expressément « le Conseil exécutif assure la coordination et décide des politiques dans les domaines d’intérêt communs pour les Etats membres… »
En conséquence, l’Union Africaine dispose des institutions politiques et une architecture qui lui permettent de parler au nom de l’Afrique en entier. Les alliances quoi que se soient leurs natures ne peuvent se permettre d’occuper la place qu’incombe de jouer les instruments des organes dont les prérogatives sont bel et bien stipulés dans l’Acte Constitutif de l’UA.
Ainsi, le G4 n’a aucun pouvoir pour remplacer l’UA et remplir ses prérogatives instituées démocratiquement par l’ensemble des pays africains. Aussi, l’ordre mondial actuel et celui qui en train de se restructurer va imposer une transnationalisation des relations internationales. De suite, les regroupements conjoncturelles et sanctuaires n’auront plus le monopole de la diplomatie. Car sans une capacité d’influence sur les États membres et sur les partenaires internationaux du continent, les actions de n’importe quelle « alliance » sont incontestablement vouées à l’échec. Outre la désynchronisation des initiatives de l’UA et ses institutions avec les autres acteurs internationaux, le G4 brouillera les stratégies qui sont censées être le résultat d’un consensus de ses États membres.
Dans ce contexte de la guerre russo-ukrainienne et ses impacts sur le continent africain, il est indispensable que le continent africain doit se prémunir des divergences et de la mésentente. Alors que l’Union Africaine souffre d’une compétence supranationale très restreinte, les Communautés Économiques Régionales ne s’ensortent pas de ce constat amère. Elles font face à des difficultés structurelles pour gérer certaines crises régionales. C’est le cas de la CEDEAO en Guinée, en Guinée-Bissau et au Mali. De fait, cette alliance G4 ne peut que dérégler le processus de la prise des décisions au sein de l’UA et intensifiera les lignes de fracture paralysant plusieurs projets et initiatives africaines comme la création d’une capacité africaine de réaction immédiate aux crises et l’opérationnalisation de la force africaine en attente.
Eu égard à ces développements, les alliances hors Union africaine ne peuvent être considérées que des manœuvres pour saper les compétences des institutions africaines, qui, faudrait-il rappeler, au premier chef responsable d’assurer le bon fonctionnement de ces organes. De fait, cette manœuvre pourrait condamner l’UA à l’exercice d’une diplomatie de façade qui serait habilement récupérée par des acteurs internationaux plus robustes.
C’est une certitude, cette association va encourager la création de différents blocs au sein de l’UA. N’oublions pas que ces pays, chacun dans sa région, ont des calculs géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques. Le Nigéria, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud ainsi que l’Algérie ont un dénominateur commun dans leur politique étrangère. Les quatre pays ont une relation de plus en plus étroite avec la Russie et ont des contrats bien spécifiques avec Moscou. De plus, ils sont tous impliqués directement ou indirectement dans des rapports de force à l’échelle du continent africain. On ne parle pas des pays qui ont un « zéro problème » à l’échelle de leur politique étrangère. L’Éthiopie est en situation conflictuelle notamment avec l’Egypte sur la question du barrage de la Renaissance. Pour l’Afrique du Sud, c’est un secret Polichinelle quand on voit ses manœuvres pour un repositionnement stratégique dans sa zone géographique et même de tenter à placer, à travers le BRICS et IBSA, certains paradigmes et logiques de rééquilibrage de de l’équation de puissance internationale vis-à-vis de l’Occident qui lui permette de tirer profit en s’appuyant sur l’Afrique comme pièce maîtresse.
Dans la région des Grands Lacs et le Golf de Guinée, le Nigéria fort de l’immensité de son territoire et sa démographie essaie d’imposer une politique régionale, malgré la ligne de fracture entre la francophonie et le Commonwealth , en rythme avec ses ambitions d’une hégémonie géopolitique et énergétique.
Quant à l’Algérie, après le retour institutionnel de Rabat à l’Union africaine et après la percée du Royaume dans les institutions, notamment son élection au sein du Conseil de Paix et de Sécurité, elle s’est retrouvée sans espace pour avancer ses pions. Pour ce faire, Alger maniera à travers ce G4 afin de redorer sa posture africaine et entretenir ainsi son statut dans le jeu de rivalité avec le Maroc.
De surcroît, plusieurs pays sont visés par les contours de cette « alliance ». L’Egypte, le Kenya , le Maroc, le Rwanda, Ghana et l’Afrique de l’ouest en tant que entité géopolitique ont été au cœur des réflexions qui ont mené à former le G4. Et, à bien des égard, la centralité géostratégique de Rabat à cheval sur la confluence de l’océan atlantique Sud et la Méditerranée, combinée à son statut de porte d’entrée de puissance économique vis-à-vis du reste du continent africain lui donne un avantage stratégique dans les équilibres de puissance mondiale. Par conséquent, le G4 outre son impact sur la fragmentation de la fragile intégration régionale, il a été conçu dans une logique de peser sur les orientations stratégiques du continent. Ce n’est pas un secret pour personne, le Polisario est le seul instrument de l’Algérie en Afrique.
Quant à l’UA, il semble important de souligner que les perceptions du G4 portent atteinte à la souveraineté de l’institution africaine et son autonomie décisionnelle. L’encerclement de l’UA par une plate-forme fantoche choisie avec des logiques antagonistes, ayant les mêmes objectifs que les institutions de l’UA, ne peut prétendre de coordonner des actions et des réactions pour l’ensemble du continent. Il me semble que cette plate-forme et prenant en considérations les calculs géostratégiques de sa mise en page ne peut transformer un ensemble de conflits latents en logique de guerre. À ce titre, une réflexion de l’institution africaine est requise. Cette visibilité passe par le renforcement des mécanismes inhérents au rétablissement d’une diplomatie institutionnelle propre et efficace et loin des logiques clivagistes.
À l’aune, il est indispensable que l’UA doit réagir à ces tentatives de catégorisation et de catalogage. C’est sa légitimité et sa crédibilité qui sont en jeu et de suite porte atteinte à son impartialité, son essence d’exister. En fin de compte, l’émergence d’un discours politique prétentieux visant à affaiblir le crédit de des gouvernements africains est une action avec une visée de créer une sorte de « veto ». Dans ces conditions, pour une plus forte cohésion et plus d’efficacité, l’UA ne doit pas être prise en otage par des stratégies de déliquescence et de désunion.
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.