Par Racha Amina Hoummady

Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution historique reconnaissant le Plan d’autonomie marocain comme la seule et légitime base d’une solution durable à la question du Sahara. Ce moment, attendu depuis cinq décennies, mais prévisible dans la mesure où l’accord avait été conclu six mois plus tôt, marque la fin de l’ambiguïté diplomatique entourant le Sahara marocain et l’adhésion définitive de la communauté internationale à la vision du Maroc en matière d’unité, de stabilité et d’intégration régionale. Pour Rabat, il ne s’agit pas d’un simple succès diplomatique, mais de l’aboutissement d’un continuum historique entamé en 1975 avec la Marche verte et mûri au fil d’années de patience stratégique, de réformes et de diplomatie proactive.

Comme l’a déclaré Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans son discours prononcé après le vote, « il y a un avant et un après 31 octobre 2025 ». Cette affirmation royale dépasse le simple repère chronologique : elle traduit une transformation doctrinale de l’identité politique du Maroc. Le Royaume passe d’une ère de légitimité défensive à une ère de souveraineté affirmée ; d’une quête de reconnaissance à un rôle de chef de file du consensus régional. En ce sens, la reconnaissance du Plan d’autonomie constitue à la fois une clôture et une renaissance : la clôture d’un différend hérité et la renaissance d’une pleine confiance territoriale du Maroc sur la scène internationale. Historiquement, la question du Sahara incarnait la tension entre les frontières issues de la décolonisation et la continuité nationale. Pendant cinquante ans, la diplomatie marocaine a évolué dans les contraintes de l’indécision internationale : ni condamnée, ni pleinement reconnue. La résolution de 2025 agit donc comme une rectification de l’histoire, validant des décennies de constance étatique et confirmant que le réalisme et le compromis, plutôt que la rigidité idéologique, constituent les véritables fondements de la résolution moderne des conflits, mais aussi des formes hybrides de confrontation qui s’y rattachent. L’approbation du Conseil de sécurité reflète non seulement le triomphe de la diplomatie marocaine, mais aussi l’évolution des normes internationales, désormais orientées vers l’autonomie et le développement régional plutôt que vers la fragmentation séparatiste. Le discours royal a souligné cette transition avec une clarté solennelle. Le Souverain a évoqué un « Maroc uni, de Tanger à Lagouira », affirmant que plus personne ne serait désormais autorisé à remettre en cause ses frontières historiques ou ses droits souverains. Son ton n’était pas triomphaliste, mais inclusif : il a tendu la main aux habitants des camps de Tindouf, les invitant à « saisir cette occasion historique » pour participer à la gouvernance et au développement de leur patrie. De même, le message royal adressé au président algérien, appelant à « un dialogue fraternel et sincère », indique que la victoire du Maroc n’est pas une victoire de domination, mais de maturité et de réconciliation.

Cet article vise à analyser comment ce tournant diplomatique et historique redéfinit l’environnement stratégique du Maroc. La reconnaissance du Plan d’autonomie ne se limite pas à consolider l’intégrité territoriale mais elle repositionne le Maroc comme un pivot régional, à la fois économique, politique et idéologique, au sein de l’Afrique et de l’espace euro-méditerranéen. Cependant, ce nouveau statut s’accompagne de risques et de responsabilités, il s’agira de gérer les attentes dans les provinces du Sud, de réajuster les relations avec les États voisins et de maintenir l’équilibre entre la fierté nationale et la gouvernance pragmatique. En définitive, le 31 octobre 2025 sera retenu comme la date à laquelle la question territoriale du Maroc a cessé d’être un problème pour devenir un atout. Le défi désormais n’est plus de défendre la souveraineté, mais de traduire la reconnaissance en développement, de transformer la victoire symbolique en modèle de stabilité régionale. Un Maroc confiant, inclusif et tourné vers l’avenir, portant l’héritage de la Marche verte dans la géopolitique mais aussi dans les incertitudes du XXIᵉ siècle

Depuis la Marche verte en 1975 jusqu’à aujourd’hui, la saga du Sahara incarne un demi-siècle de maîtrise étatique et de détermination militaire marocaines. À la suite du retrait de l’Espagne de ce qui était alors le Sahara espagnol, le Royaume du Maroc déploya rapidement ses troupes sur le territoire, résolu à affirmer sa souveraineté. La création du Front Polisario en 1973, puis la proclamation en 1976 de la prétendue République arabe sahraouie démocratique (RASD), ne firent qu’accentuer la dimension militaire du conflit. Ce qui suivit fut une véritable guerre, au cours de laquelle les Forces armées royales (FAR) et les institutions de soutien entreprirent une transformation extraordinaire en passant d’une posture de légitimité symbolique à une consolidation institutionnelle et à la construction d’une infrastructure militaire solide. Sous commandement royal, les FAR édifièrent le désormais légendaire mur de défense, une fortification de sable, de radars et de bastions longue de 2 700 kilomètres, l’une des plus imposantes structures militaires continues au monde. Chaque segment du mur était tenu par des garnisons isolées, vivant et combattant dans des conditions extrêmes, exposées aux raids et aux tirs d’artillerie, mais animées par la conviction d’incarner la frontière vivante du Royaume. Après le cessez-le-feu de 1991, le champ de bataille se transforma en une zone tampon, officiellement neutre mais stratégiquement active et souvent très hostile. L’accord de cessez-le-feu, supervisé par la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), créa une zone démilitarisée de cinq kilomètres à l’est du mur. En théorie, aucune force armée n’y est autorisée ; en pratique, le Polisario y maintient des patrouilles armées et des postes d’observation, tandis que le Maroc surveille chaque mouvement grâce à des systèmes de détection, des drones et des unités d’intervention rapide. Pour Rabat, cette zone tampon n’est pas un vide stratégique : c’est une ceinture d’alerte précoce, là où commence la dissuasion. Les postes d’observation le long du mur sont occupés en permanence ; les radars et drones y détectent toute incursion, et lorsqu’une violation se produit, les FAR réagissent avec une précision maîtrisée. Au sein de ce récit plus large, plusieurs batailles clés marquent les jalons du parcours militaire du Maroc. La bataille de Bir Anzarane (11 août 1979) constitua l’une des premières épreuves majeures pour les forces marocaines, lorsque le Polisario lança une attaque mécanisée d’envergure contre la garnison de l’oasis, appuyée par des centaines de véhicules et de pièces d’artillerie infligeant de lourdes pertes au Maroc. En octobre de la même année, la bataille d’Al Mahbes vit le Polisario submerger un bataillon marocain, s’emparer d’armes et porter un coup à l’image de l’armée. Ces épisodes ne furent pas de simples anecdotes militaires mais ils forcèrent les FAR à repenser leurs tactiques, leur logistique et à intégrer la guerre désertique dans la doctrine nationale de défense. Tout au long des années 1980, le conflit évolua, tout comme le professionnalisme militaire marocain. La bataille de Guelta Zemmur (13-23 octobre 1981) opposa une importante offensive mécanisée du Polisario, dotée de capacités antiaériennes, à la garnison marocaine, démontrant que la guerre du Sahara n’était nullement un affrontement périphérique, mais bien un défi militaire conventionnel majeur. Plus tard, la bataille d’Amgala (8 novembre 1989) représenta peut-être le sommet des engagements de terrain avant le cessez-le-feu, le Polisario parvint à franchir le mur sur près de 20 kilomètres lors d’une manœuvre audacieuse, causant des pertes aux forces marocaines et rappelant que la frontière restait active.

Au fil des décennies, la Direction générale des études et de la documentation (DGED) compléta cette dimension militaire par une présence de renseignement continue, des opérations de contre-infiltration et une planification stratégique qui alimentèrent à la fois la posture militaire et la diplomatie du Royaume. Le résultat fut un État marocain dont l’architecture stratégique passa d’une défense réactive à une souveraineté proactive. Au centre de cette continuité se trouve l’institution royale. De la conduite par Feu Hassan II de la Marche verte à l’agenda de modernisation porté par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la Couronne a transformé le champ de bataille et le mur en éléments constitutifs du récit national. Les soldats tombés, les garnisons isolées, les dunes et les fortifications sont devenus autant de symboles d’unité et de sacrifice. La monarchie a élevé le sacrifice au rang de service national, incarné par des bataillons décimés, des postes-frontières perdus puis reconquis, des mines posées puis désamorcées, des milliers de vies offertes au nom de l’intégrité territoriale. Cette continuité institutionnelle a ancré dans la conscience nationale l’idée que le Sahara n’est pas une périphérie contestée, mais bien le cœur même de l’État marocain

Pourtant, le récit a évolué. Le Sahara a cessé d’être uniquement une frontière à défendre pour devenir une plateforme de modernisation et d’intégration. Des provinces comme Dakhla et Laâyoune abritent aujourd’hui des pôles logistiques, des projets d’énergies renouvelables et des portes d’accès vers l’Afrique. Mais malgré cette vision tournée vers l’avenir, la posture militaire et de défense demeure centrale est que les sables ne dorment jamais. Le cessez-le-feu signé en 1991 entre le Maroc et le Polisario a gelé la guerre ouverte, mais les hostilités ont repris en 2020, lorsque le Polisario a annoncé la fin de cet accord à la suite des opérations marocaines dans la zone tampon de Guerguerat. Techniquement, et en réalité, ces opérations précédaient 2020. De nombreuses attaques avaient déjà été lancées par le Polisario contre le Maroc, notamment le massacre de centaines de militaires en 2016. En 2021 et 2022, les garnisons marocaines de Mahbes et Aousserd ont essuyé des tirs de roquettes et de mortiers, et les rapports des Nations unies ont recensé des centaines d’incidents déclenchés par le Polisario. Les unités marocaines ont réagi par des frappes de drones de surveillance et d’artillerie de précision, neutralisant efficacement la plupart des menaces. Les FAR demeurent en alerte, les services de renseignement restent vigilants, et la monarchie réaffirme que la région ne sera jamais abandonnée. En un demi-siècle, l’histoire du Sahara est ainsi devenue celle d’une transformation complète : de la guerre irrégulière à la consolidation d’un État-frontière, de la défense du désert au développement territorial. L’interaction entre la force militaire, l’adaptabilité du renseignement et la légitimité royale a façonné cette évolution. Les missiles et les chars des années 1970 et 1980 ont laissé place aux drones et aux projets d’infrastructures des années 2020, mais la logique demeure la même : la souveraineté doit être défendue, l’identité préservée, et un territoire autrefois ambigu doit devenir une patrie intégrée. En ce sens, le Sahara incarne à la fois la mémoire du sacrifice et le moteur de l’avenir marocain. Le silence du désert est trompeur, derrière lui se tiennent un demi-siècle de vigilance, de sacrifices et de clairvoyance stratégique.

La reconnaissance du Plan d’autonomie du Maroc comme seul cadre légitime de résolution de la question du Sahara n’a pas seulement clos un chapitre diplomatique, elle a réécrit l’équation régionale et mondiale. Le Maroc a su allier fermeté et retenue, faisant évoluer sa diplomatie défensive vers une affirmation stratégique, soutenue à la fois par sa crédibilité sur le terrain et ses alliances à l’international. L’Algérie, dont le récit régional s’était longtemps construit autour du conflit saharien, a soudain perdu sa centralité diplomatique. Quant au Front Polisario, privé de tout élan symbolique et d’appuis internationaux, il se retrouve aujourd’hui plus isolé que jamais, politiquement, militairement et rhétoriquement. Son discours de « libération » a perdu toute résonance dans un monde où la stabilité et le développement l’emportent désormais sur la fragmentation et les utopies séparatistes.

Le discours royal a reconnu directement ce basculement, en remerciant les « nations amies et fraternelles » du Maroc les États-Unis, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Union européenne pour leurs « efforts constructifs et déterminés en faveur de la souveraineté et de la stabilité du Royaume ». La convergence de ces puissances occidentales autour du Plan d’autonomie a donné naissance à un axe diplomatique réel qui redéfinit les équilibres de pouvoir en Afrique du Nord. Jadis simple médiateur régional, le Maroc est devenu un pôle, le centre autour duquel gravitent désormais le dialogue, la coopération sécuritaire et l’investissement. Cette dynamique illustre la posture du Maroc, celle de défendre sans relâche son Sahara, minute après minute, tout en projetant sur la scène mondiale une image de sagesse et de maîtrise. Depuis plus d’une décennie, Rabat traduit sa stratégie saharienne en une stratégie africaine, utilisant les provinces du Sud comme pont logistique et développemental vers le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Le discours royal situe explicitement le Sahara et le Sahel comme un « pôle de développement et de stabilité », liant la politique économique et sécuritaire du Royaume à l’ensemble du continent africain.

Le corridor atlantique–sahélien, présenté dans les initiatives royales et soutenu par plusieurs partenaires africains, incarne pleinement cette évolution. Il relie les ports de Dakhla et Laâyoune à des routes s’étendant vers la Mauritanie, le Mali et le Niger , une architecture conçue pour fusionner commerce et sécurité. Le commerce ne peut prospérer là où la sécurité est incertaine ; les corridors économiques ne naissent qu’à partir de frontières sécurisées. En intégrant le Sahel dans son périmètre stratégique, le Maroc assume un double rôle, celui de locomotive économique et puissance stabilisatrice. C’est, au fond, une question de sécurité mutuelle.

Au niveau multilatéral, la posture du Maroc après octobre 2025 incarne un nouveau modèle d’acteur stabilisateur et responsable. L’alignement constant du Royaume sur les principes des Nations unies et sa diplomatie pragmatique lui ont valu une réputation de fiabilité et de crédibilité. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a souligné que le Maroc recherche « une solution sans vainqueur ni vaincu », une formulation qui s’inscrit pleinement dans le langage de la sécurité collective et de la gouvernance coopérative. Cette doctrine élève le Maroc du statut de demandeur à celui de contributeur, en le positionnant comme un État capable de traduire sa stabilité interne en équilibre régional, tout en maîtrisant l’articulation entre les paramètres internes et externes. Pendant des décennies, la diplomatie marocaine moderne s’est définie par la patience stratégique de préserver la légitimité, accumuler les reconnaissances et résister à l’hostilité régionale. Cette patience s’est aujourd’hui transformée en influence. Rabat projette désormais un leadership stratégique dont la crédibilité découle non plus seulement du discours, mais des résultats tangibles. Dans ce nouveau paradigme, le Plan d’autonomie dépasse sa finalité initiale ; il devient un modèle normatif de gouvernance et de souveraineté pour l’Afrique. Il démontre que l’autodétermination ne signifie pas nécessairement la sécession, et que la stabilité peut coexister avec le pluralisme. Selon les mots du Souverain, la proposition du Maroc constitue « une solution réaliste et applicable, offrant l’autonomie dans la souveraineté, une voie vers l’unité, non vers la division ». Cette vision résonne profondément à travers le continent africain, où l’équilibre entre identité et cohésion demeure d’une extrême délicatesse. Elle offre une alternative africaine aux modèles importés, en conciliant légitimité historique et modernité politique. La doctrine royale a ainsi évolué vers un véritable art de l’équilibre stratégique global (strategic omnibalancing), garantissant que l’unité du Maroc contribue directement à la stabilité de tout un continent.

Pourtant, toute victoire stratégique ne transforme pas seulement l’équilibre des pouvoirs, elle recompose aussi le paysage des risques, désormais d’une intensité particulièrement élevée. La reconnaissance par les Nations unies du Plan d’autonomie marocain a redéfini la légitimité, mais elle n’a ni neutralisé l’hostilité ni mis fin au conflit. Le Royaume entre ainsi dans une phase post-reconnaissance où la diplomatie a triomphé, mais où la sécurité demeure fortement contestée. Le succès même de la stratégie marocaine, son influence retrouvée, son leadership régional et sa confiance militaire, engendre inévitablement des contre-réactions de la part des acteurs qui ont perdu du terrain. Ces acteurs ne disparaîtront pas ; ils se reconfigureront. À mesure que le Maroc consolide sa souveraineté et projette la stabilité sur l’espace atlantique et sahélien, l’environnement qui l’entoure devient plus complexe, plus fluide et plus imprévisible. Les menaces à venir ne ressembleront en rien à celles du passé : elles mêleront idéologie et technologie, désinformation et infiltration, diplomatie et dissimulation.

La fragmentation du Front Polisario et de la RASD représente, dans ce contexte, un risque stratégique majeur. La marginalisation diplomatique peut engendrer une radicalisation parmi les cadres mis à l’écart, créant des groupuscules dissidents rejetant toute négociation et optant pour la violence comme l’ont montré de nombreux précédents historiques sur le continent africain. Ces factions isolées pourraient chercher des alliances opportunistes avec les organisations jihadistes et criminelles très actives dans le Sahel, qui y ont considérablement étendu leurs activités ; des groupes tels que JNIM, ISGS ou ISWAP, capables de fournir expérience du combat, refuges logistiques et réseaux de contrebande. L’ensemble des mouvances terroristes tenterait d’exploiter la crise, en s’infiltrant dans les mouvements sociaux ou les manifestations, en amplifiant les divisions par l’influence numérique, et en transformant la région en un théâtre d’expansion pour leur projet d’État islamique. La convergence entre les dissidences séparatistes, les cellules jihadistes et les entrepreneurs criminels constituerait alors un mélange explosif d’opportunisme et d’idéologie, augmentant à la fois la fréquence et l’imprévisibilité des attaques contre les forces marocaines et les infrastructures stratégiques.

L’ingérence extérieure et la déstabilisation régionale constituent un deuxième vecteur majeur de risque. Le soutien politique historique de l’Algérie au Front Polisario, combiné à une tolérance territoriale permissive, risque d’évoluer vers une acceptation tacite de flux logistiques clandestins. Des transferts d’armes, de matériel ou de personnel pourraient être facilités par des canaux privés, impliquant des intermédiaires étrangers ou des réseaux de mercenaires offrant à leurs commanditaires une forme de déni plausible. Le recours à ces courtiers illicites transforme un conflit localisé en un théâtre hybride par procuration, où les soutiens extérieurs fournissent un appui matériel, une formation et des capacités techniques tout en évitant toute responsabilité étatique directe. Cette dynamique accroît le risque de revers escalatoires, élargit la géographie du conflit et rend plus complexe l’attribution des attaques, rendant toute résolution diplomatique encore plus difficile à atteindre. La guerre cybernétique et cognitive constitue, quant à elle, un troisième axe, mais aussi un instrument transversal de l’ensemble des menaces précédemment évoquées. Elle représente aujourd’hui une menace en rapide intensification. Des campagnes coordonnées de désinformation, d’images falsifiées, de deepfakes et d’infiltrations numériques ciblées visent à délégitimer le Plan d’autonomie du Maroc et à miner la cohésion interne. Les acteurs hostiles au Royaume peuvent fabriquer et diffuser des contenus accusateurs ; vidéos prétendant montrer des soldats commettant des exactions, séquences montées présentées comme des preuves de répression, ou témoignages falsifiés exploités par des réseaux d’influence dans le but d’enflammer les populations des camps, de mobiliser les diasporas et de créer une pression nationale.

L’objectif n’est pas uniquement d’altérer l’image du Maroc, mais bien de provoquer une déstabilisation fonctionnelle ; l’érosion de la confiance dans les institutions, réactions excessives de l’État, et création de brèches exploitables par les acteurs violents. Sans vérification rapide ni contre-récits crédibles, de telles campagnes peuvent modifier les équilibres politiques bien plus vite que les réponses militaires ne peuvent les contenir.

Un scénario d’escalade hybride intègre ces dynamiques au sein d’une campagne délibérément calibrée. Dans un tel scénario, des éléments fragmentés du Polisario, éventuellement alliés à des unités jihadistes et soutenus par des appuis extérieurs clandestins, mèneraient des attentats terroristes et des raids contre les postes marocains situés à l’est du mur, tandis que des acteurs cybernétiques orchestreraient en parallèle des assauts informationnels. L’effet cumulé viserait à saturer les capacités de réaction de la sécurité marocaine, à imposer des coûts politiques au plan national et régional, et à disperser les ressources sur de multiples fronts. Les opérations d’information accompagneraient les frappes cinétiques ; diffusion de vidéos alléguant des atrocités, production de preuves falsifiées de victimes civiles, et orchestration de manifestations destinées à détourner l’attention et à délégitimer les réponses étatiques. L’approche hybride est conçue pour rester en deçà du seuil d’un conflit interétatique, tout en provoquant la perturbation stratégique maximale.

Un défi opérationnel immédiat et supplémentaire découle de la géographie immense et de la complexité sociale du théâtre méridional. Sécuriser des étendues désertiques pouvant s’étirer sur plusieurs centaines de kilomètres ne relève pas simplement du déploiement d’unités militaires ; c’est avant tout une question de connaissance du terrain, de présence continue et de légitimité locale. S’attendre à ce que les Forces armées royales (FAR) couvrent une bande de 300 kilomètres que nombre d’unités connaissent imparfaitement comporte de véritables risques ; lacunes en renseignement humain, vulnérabilité aux embuscades et aux attaques improvisées, et compréhension limitée des dynamiques locales. La géographie humaine importe autant que la géographie physique. Les populations locales, dont les loyautés et les griefs sont façonnés par les liens transfrontaliers, les routes pastorales et l’accès aux ressources, n’accepteront pas automatiquement dès la première approche une présence militaire élargie. Si ces communautés se sentent exclues ou marginalisées au cours de ce processus, la situation sécuritaire pourrait encore plus se fragmenter en nouveaux conflits locaux, venant rivaliser avec les anciennes divisions politiques.

Sur le plan pratique, combler ce déficit capacitaire exige bien plus que des rotations temporaires ou des solutions technologiques. Cela requiert une augmentation durable des effectifs militaires nationales, un recrutement ciblé au sein des populations du Sud, une formation spécialisée en renseignement culturel et en guerre désertique, ainsi qu’un engagement civilo-militaire renforcé afin d’établir une confiance locale. L’alternative serait coûteuse : soit laisser des vides sécuritaires que les acteurs hostiles exploiteraient, soit entrer dans des cycles répétés de confrontation qui épuiseraient les ressources nationales. En somme, consolider le contrôle sur un périmètre méridional élargi exigera une politique consciente de génération de forces, d’inclusion locale et de gouvernance communautaire, sans quoi le Maroc risquerait de remporter la reconnaissance sur le papier tout en peinant à sécuriser le terrain dans les faits.

L’un des scénarios anticipés est celui où les négociations menées sous l’égide des Nations unies entre le Maroc, le Polisario, l’Algérie et la Mauritanie débutent mais échouent finalement, chaque partie revenant à ses positions traditionnelles. Le Maroc appliquerait alors son Plan d’autonomie sans la participation du Polisario, provoquant une reprise des combats à l’est du mur et un conflit de basse intensité durable. La MINURSO pourrait être réduite ou transformée en MANSASO d’ici la fin de 2026. L’Algérie continuera à fournir un soutien politique, logistique et militaire au Polisario, garantissant la survie opérationnelle du mouvement malgré son isolement diplomatique croissant. En conséquence, les hostilités sur le terrain devraient s’intensifier après l’effondrement du processus de paix. Les États-Unis pourraient envisager de classer le Polisario comme organisations terroristes. Le Maroc pourrait décider de lancer une opération militaire d’envergure ouverte visant à neutraliser la capacité opérationnelle du Polisario au-delà du mur, une décision sans les contraintes juridiques et diplomatiques et mettrait à l’épreuve les équilibres régionaux. Dans tous ces cas de figure, le Maroc serait contraint de déclarer l’état de guerre, formalisant ainsi le passage d’une confrontation contenue à un engagement militaire ouvert. Le niveau de menace terroriste a, littéralement, doublé. Dans l’ensemble, le facteur décisif résidera dans la gestion de la perception publique, en particulier parmi les jeunes générations. Il sera essentiel de prévenir leur exposition aux faux récits et aux discours extrémistes, car ils sont particulièrement réceptifs et influençables face aux narratifs fallacieux ou à la rhétorique radicale comme les récents événements l’on démontrer.

Ce qui s’annonce ne se fera pas sans hostilité ni affrontements, ce qui souligne l’urgence de mesures politiques et militaires intégrées et coordonnées. Il faudra empêcher que la fragmentation ne se transforme en radicalisation, en associant des mesures ciblées de réconciliation et de réintégration à une présence sécuritaire renforcée dans les communautés vulnérables. Il sera tout aussi crucial de perturber les chaînes d’approvisionnement extérieures grâce à la pression diplomatique, à la coopération entre les services de sécurité et à des actions ciblées contre les intermédiaires mercenaires et les réseaux logistiques illicites. Parallèlement, il conviendra de renforcer la résilience cybernétique et cognitive en déployant des mécanismes de vérification rapide, un contre-discours robuste, ainsi que des outils juridiques capables de contester la diffusion de contenus falsifiés et de protéger l’intégrité informationnelle du pays. Le Maroc devra également maintenir une défense en profondeur et une dissuasion sélective, en modernisant les systèmes de surveillance, en protégeant les infrastructures critiques, et en calibrant des réponses proportionnées afin de prévenir toute escalade incontrôlée. Enfin, la planification de contingence devra inclure des options militaires proportionnées, assorties de seuils d’escalade clairement définis et d’un engagement multilatéral visant à éviter tout débordement unilatéral vers un conflit interétatique.

À travers ces différents scénarios, des pertes humaines au combat sont à prévoir. Les planificateurs doivent se préparer à des pertes pouvant atteindre l’échelle d’un bataillon, ainsi qu’aux conséquences opérationnelles en cascade qui en découleraient.