Le Vendredi 24 Mai 2022 à l’aube, près de 2000 migrants, quasi tous issus du Soudan du Sud, ont tenté d’entrer à Melilia, enclave espagnole au Nord du Maroc. Après l’intervention des forces de l’ordre marocaines pour empêcher cette incursion, le bilan fût lourd : 23 morts et des dizaines de blessés.

L’analyse de cet incident qui, aux vues de l’actualité, s’apparente comme un simple « fait divers » et qui a été vite surclassé par d’autres incidents plus graves, traduit malheureusement une réalité africaine désolante. Elle reflète le désespoir de milliers d’africaines et africains qui fuient leurs terres d’origine à la recherche d’une vie meilleure, s’exposant ainsi à toute sorte de danger.

Je salue le courage de ces gens en passant, sans que cela ne soit pris comme encouragement à ces malheureuses expériences mais plutôt comme une forme d’appel de détresse dirigé aux cœurs sensibles pour ces africains en désespoir !

Cet article, le premier d’une série d’analyses, se focalisant sur l’Est-Africain, spécialement sur sa Corne, a pour vocation d’apporter une modeste lecture à ce malaise africain.

Constat

Selon le HCR et autres institutions spécialisées, le nombre des déplacés de force (demandeurs d’asile, réfugiés, personnes déplacées en interne) en Afrique a atteint 53,2 millions de personnes en 2021 contre 22,44 millions en 2011, soit une augmentation de 42,2% en 10 ans et qui ne cesse de croître.

Les conflits, la violence et la persécution sont les principales causes de ces déplacements. A un moindre degré, peuvent s’y ajouter les catastrophes naturelles, spécialement les inondations, expliquées par le dérèglement climatique, et la famine comme résultat direct d’une sécheresse de plus en plus sévère.

Principalement huit pays sont responsables de la hausse du nombre des déplacés pour l’année 2021, dont quatre font partie de la grande Corne de l’Afrique : l’Ethiopie, les deux Soudan, le Burkina Faso, le Nigeria, la République Démocratique du Congo, le Mozambique et la République de Centre Afrique.

Malgré la richesse du continent, l’ubiquité des conflits devient malheureusement une réelle aporie qui colle au continent africain. D’autant plus, chaque cas est un ensemble de concaténation d’éléments où tout pays a ses propres causes déclencheurs, ses propres acteurs et ses propres intrigues sous-jacentes. La nécessité d’une grille d’analyse s’impose donc pour tenter de mettre un terme à la dilution des sens et de rendre compte des causes réelles de ce continuisme conflictuel propre à l’Afrique.

Il est évident avec le temps que la nature de ces conflits a muté des guerres d’indépendances aux guerres sécessionnistes en passant par les épurations ethniques. Pour expliquer les causes inhérentes à ces conflits, toutes les études polémologiques confirment l’existence de deux paramètres communs : l’ingérence externe et la faiblesse de l’Etat.

En admettant cette doxa imprimée à l’attention du monde et presque unanimement reconnue par la communauté des observateurs, l’ambition de ce prolégomènes reste l’entrée en matière de l’analyse des problèmes sécuritaires qui se concentrent toutes sur l’Afrique. Mais avant de nous lancer dans cette voie, il est important de se placer dans le contexte géopolitique mondial pour essayer d’éclairer le lecteur sur cette actualité malencontreuse Est-Africaine.

Contexte mondial

Selon un bon nombre d’observateurs, la décrépitude économique, politique, culturelle et morale du modèle occidental, voire son schisme, marquera probablement la fin de son hégémonie séculaire et laissera la place vraisemblablement à d’autres modèles à référentiel idéologique (Russie- Turquie), politico-économique (Chine) ou religieux (Iran). La Fédération de Russie quant à elle, manquant de patience, vient d’entamer un cycle de confrontation ouvert pouvant atteindre la magnitude d’une guerre totale.

En effet, c’est une nouvelle configuration qui éclot, sonnant le glas à toutes les constructions géopolitiques de l’après-guerre froide dont l’avenir, du moins pour le court terme, est fortement difficile à prédire avec précision. Il laisse toutefois présager les prémices d’une érosion du modèle unipolaire avec ses alliances politico-militaires eunuques et son architecture économique abstrus.

C’est ainsi que dans cette conjoncture, la Corne de l’Afrique est doublement touchée par cet imbroglio. Elle se trouve mêlée à ce maelström géopolitique conflictuel en raison de sa position géographique qui la place d’abord dans le croisement des chemins des modèles civilisationnels qui s’émancipent (orthodoxe, islamique et confucéen) mais, et surtout, la place dans le centre de la zone d’intérêts géopolitiques américain, russe et chinois.

Par ailleurs, la Corne de l’Afrique, à l’image de tout le continent africain a, depuis longtemps, suscité l’intérêt des puissances de l’époque. Déjà au cours de la guerre froide, elle a joué un rôle clé dans l’antagonisme idéologique Est-Ouest et dans les rapprochements stratégiques calculés d’autres puissances coloniales.

Au début des années 1990, avec la fin de la Guerre Froide, même si le regard des occidentaux s’est porté vers d’autres régions du monde, en l’occurrence les anciens pays socialistes de l’Europe de l’Est, l’intérêt pour l’Afrique ne s’est pas éteint pour autant.

Cependant, l’Occident, dans le cadre du partenariat Nord-Sud, va imposer à l’Afrique des réformes structurelles et politiques ne s’adaptant nullement avec la réalité africaine. La démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance sont désormais les indicateurs sur lesquels se baseront les occidentaux afin de réformer les environnements politico-social et économique des pays de l’Afrique et à cause desquels une autre conjoncture locale va éclore.

Théoriquement, cette période semblait augurer des perspectives dans les relations africaines par les rapprochements politico-sociales, l’accession progressive à une démocratie libérale du marché et un essor économique prometteur.

Sur le terrain, le résultat est décevant au moins à un triple point de vue. D’abord localement, vis-à-vis de l’élite gouvernante qui continue dans la voie de la mauvaise gouvernance. Ensuite, au niveau régional et continental, ces mêmes élites sont incapables de créer une plateforme de coopération efficiente capable d’extraire les populations de la pauvreté malgré la richesse du continent et d’endiguer les rivalités ethno-tribales, affichant une trahison lato sensu à l’idéal panafricain. Enfin, envers l’occident qui, multipliant les promesses mirifiques, ne fait que vendre des illusions et profiter des richesses africaines.

En plus, ce sentiment de désespoir va être alimenté par l’activisme turc, russe et chinois qui tend à établir de nouvelles normes à la démocratie et à l’économie autres que celles imaginées à Bretton Woods. La renaissance d’un islamisme longtemps combattu trouve aussi sa justification pour établir ses bases arrière dans la zone aux fins de combattre le système hédoniste occidental.

En effet, dans le cadre des sanctions à l’attention de Mr Poutine à l’occasion de sa guerre déclenchée contre l’Ukraine, le non alignement sur la position occidentale de plusieurs Etats africains est révélateur d’un divorce Nord- Sud.

D’un autre côté, Si selon la théorie du contrat social, l’État doit s’efforcer à protéger l’individu et à assurer sa sécurité, car dépositaire de droits naturels des citoyens et détenteur des moyens de contrainte, cette théorie, dans le cas africain et spécifiquement dans la Corne de l’Afrique, ne trouve pas de fondements convaincants.

Dans cette logique, il n’est pas à démontrer les liens de cause à effet entre démocratie, paix-sécurité et développement. Sans paix sociale, on ne peut espérer un développement durable et sans développement efficient, une paix sociale, dans son sens le plus large, est impossible à asseoir. Paix et sécurité paraissent alors les prérequis de la démocratie et du développement.

Cependant, dans le cas de la Corne de l’Afrique, le nombre d’États dits fragiles, déstructurés ou défaillants, n’ayant pas la capacité d’assumer leur rôle ou la volonté de répondre à leurs obligations, tendant à contredire cette thèse, atteint un record par rapport aux autres régions du monde.

De l’avis de presque tous les analystes, l’ingérence externe et le nombre des mouvements sociaux internes contestataires, parmi d’autres causes, sont révélateurs de la faillite de l’Etat. Ce cas africain met en question le modèle de modernité politique et juridique hérité des occidentaux.

Ainsi, à partir de ce simple constat, imputant les causes des conflits multiformes continus à la défaillance du système démocratique libéral hérité, nous tenterons de s’appuyer sur une lecture attentive des cas éthiopien, somalien et celui des deux Soudan, pour défendre la thèse, sans prétendre la théoriser, selon laquelle cette ubiquité des conflits dans la Corne de l’Afrique est le résultat d’une faiblesse dans l’Etat.

Le cas du Soudan du Sud sera traité prochainement.