Le revers de l’histoire et les ambitions turques 

La montée en puissance turque semble, souvent entravée par certains voisins immédiats et d’autres puissances extérieures. Son ambition et son vouloir excessif de revenir sur le devant de la scène internationale, apparaissent particulièrement à travers son offensive et son autonomie diplomatique, due au retour d’un pouvoir civil et d’une forte industrie de transformation qui s’est largement développée.

 Son secteur des services aussi, a connu des changements extraordinaires en particulier le nombre de touristes, des quatre coins du monde, qui visitent le pays. Les échanges commerciaux avec tous les continents sont de plus en plus florissants et ce malgré les descentes vertigineuses, que connaît sa monnaie locale face au billet vert.  

Pour étayer cette partie dédiée aux changements et aux différentes ambitions de ce pays de l’Eurasie, seront traités les indicateurs qui concernent son offensive politique, ensuite ses choix diplomatiques avec les différentes mésententes régionales et internationales en vue de confirmer sa présence et enfin la situer en Eurasie   au sein d’une entente ad-hoc avec la Russie.

Un message politique plus offensif

Certes, indirectement et sans le préciser officiellement, la Turquie ignore, de temps à autres, les accords Sykes-Picot signés le 16 mai 1916 entre la France et le Royaume Uni en vue de partager les provinces arabes de l’ancien Empire Ottoman. Ces accords, à l’instar des partages en Afrique et d’autres régions du monde, sont à l’origine de plusieurs litiges frontaliers régionaux apparus suite au mauvais partage des Etats indépendants, au lendemain du second conflit mondial.

A l’instar du président russe ou d’autres chefs charismatiques, qui se distinguent par leurs interventions ou réceptions particulières, le président turc choisit bien les dates des discours officiels, des événements et des inaugurations. Comme c’est bien voulu, ceux-ci coïncident le plus souvent avec des journées historiques liées à l’apogée de l’Empire Ottoman. Ce sont des messages que le chef de l’Etat fait passer à la communauté internationale. Il y a lieu de relire attentivement tous ces repères historiques, afin de mieux comprendre sa diplomatie offensive.

Ainsi, lors de la célébration de la 25ème année du génocide des populations musulmanes de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine, le président turc a rappelé le samedi 11juillet 2020, que les criminels de guerre serbes devaient être poursuivis et jugés et a appelé les Etats occidentaux de chasser la haine contre les étrangers et les musulmans. Est-elle une façon de dire que son pays est l’héritier des anciens empires islamiques ?   

L’ex-basilique Sainte-Sophie, devenue mosquée a été inaugurée par une première prière de vendredi le 24 juillet 2020, à laquelle a participé le Président Recep Tayyip ERDOGAN, qui en la circonstance, lors d’une intervention orale, a défendu sa décision.  

De même, le 21 août 2020 l’administration turque a pris la décision de reconvertir en mosquée, l’église de Saint-Sauveur-in-Chora, construite pendant l’ère byzantin, qui avait le statut de musée .

Les occidentaux voient dans cette décision, qu’il s’agit d’un patrimoine mondial de l’UNESCO, qui doit être gardé comme il est. On remarque un retour en force de la politique de l’islamisation, sans le signaler ouvertement, ni se contredire avec la constitution de la république, qui a choisi lors de sa constitution au début du XXème siècle la laïcité.

Dans le même sillage, pour défendre ses bonnes intentions politiques le président turc a choisi la date du 26 aout 2020, qui coïncide avec le jour où les Ottomans ont remporté la victoire, à l’Est de la Turquie, contre l’Empire Byzantin, en 1071 Cette épopée  leur a permis de s’étaler sur l’Anatolie puis plus tard sur Constantinople le 29 mai 1453.Cette dernière date, qui rappelle la chute de l’Empire Romain oriental, restera gravée dans la mémoire de l’Occident. Dans le passé de cette ville, depuis sa construction par Constantin le Grand, elle a été attaquée par quelques 23 armées et seul Mohamed Al Fatih[1], après plusieurs mois de siège, de ruses et de tentatives, a pu prendre d’assaut ses murs et son port situé sur la corne d’or.

De même, lors de la fête du triomphe[2] célébrée le 30 aout de chaque année, le président turc n’a pas manqué de rappeler à ses voisins et à la communauté internationale qu’il compte célébrer en 1923 le centenaire de la constitution de l’Etat turc pour faire valoir sa puissance du moins régionale sur les plans économique, militaire, politique et diplomatique.  Chaque intervention publique montre toujours précisément que ce n’est pas par hasard que des dates sont bien triées, pour prendre des décisions et faire des interventions précises.  

Le vendredi 18 mars 2022, le chef de l’Etat Turc a inauguré le plus long pont suspendu au monde, bâti sur le détroit des Dardanelles, frontière naturelle de l’Eurasie. Cette infrastructure grandiose porte le nom de « pont de Jana-kkalaat 1915 ». Encore une fois, le président se considérant exemple de nationalisme a choisi un jour de référence, coïncidant avec l’anniversaire de triomphe naval des forces ottomanes le 18 mars 1915 face aux alliés dans la bataille de Gallipoli. Les combats, qui durèrent jusqu’à janvier 1916, débouchèrent sur la victoire de l’Empire ottoman face aux troupes britanniques et françaises.[3]

En fait, les discours et les inaugurations du chef d’Etat turc peuvent mobiliser ou apaiser l’opinion publique nationale et internationale, en direction des populations, ou dénoncer les Etats occidentaux, particulièrement français afin de légitimer ses ambitions stratégiques et justifier par force ses prospections pétrolifères en méditerranée occidentale. Ce sont là des indices et repères forts parmi d’autres, d’une volonté politique très souhaitée, du premier locuteur turc de rappeler indirectement, à travers la célébration des évènements historiques, qu’il est possible de basculer de nouveau l’ordre établi, vers une émergence régionale et internationale de la Turquie. Le président russe a fait de même avant d’annexer la Crimée en 2014 puis par la suite, lors de ce qu’il qualifie des opérations spéciales en Ukraine.

 Les choix des voies diplomatiques

La Turquie tisse ses relations diplomatiques dans la région avec l’Iran, la Russie et la Chine, afin de prouver à la communauté internationale, son indépendance et sa liberté diplomatique vis-à-vis de ses alliés traditionnels de l’Occident et du Moyen-Orient. Elle veut se confirmer comme force régionale et maillon indispensable de la politique de l’Eurasie et l’Afrique du nord, notamment par son implication dans la crise libyenne.

 L’éveil diplomatique turc a commencé par chercher à privilégier les relations de l’ancien monde turc constitué de républiques de l’ex-URSS, qui parlent la langue turque caucasienne, puis devenues plus tard autonomes et faisant partie de la Communauté des Etats Indépendants (C.E.I). On pourrait qualifier cette relation de partage de marchés et d’influences avec la Russie et avec la Chine qui utilise ces pays pour relancer « la route de la soie ».

Il s’agit des républiques de : l’Azerbaïdjan et le Turkménistan liés tous deux beaucoup plus à la Russie par des intérêts économiques, le Kazakhstan pays pétrolier et riche, tourné vers l’Occident et parle russe plus que turc, l’Ouzbékistan[4] , le plus peuplé et aussi le plus autonome vis-à-vis de la Turquie par rapport aux autres républiques et le Kirghizistan[5] maillon faible des républiques au point de vue stabilité politico-économique.

En ajoutant à la Turquie, les cinq républiques de l’Asie centrale et la république chypriote turque non reconnue par la communauté internationale, le monde turc constitue une nation qui a la même langue et une histoire commune par le passé.

 Au Caucase, dans les anciennes républiques de l’ex-URSS, le conflit dormant ou gelé du Haut- Karabakh est de nouveau d’actualité, après plusieurs décennies de statu quo. C’est l’occasion pour la Turquie de démontrer qu’elle est partie prise dans la résolution du litige frontalier.

La fin de septembre 2020a été marquée par la reprise de à la guerre entre séparatistes arméniens du Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan. La prise de position dans ce conflit est allée de la normale à la bizarroïde. On revient souvent aux intérêts géopolitiques et géoéconomiques des uns et des autres. La Russie, la France et autres pays européens soutiennent l’Arménie berceau de l’église orthodoxe.  

En plus il y a un accord militaire entre la Russie et l’Arménie mais ne rentre en vigueur que si les frontières arméniennes sont attaquées. Dans ce conflit l’Azerbaïdjan veut récupérer les territoires qui lui ont été prises par l’Arménie lors des années quatre-vingt-dix, y compris le Haut- Karabakh habité par une majorité arménienne. Par contre, dans le camp musulman, c’est la Turquie sunnite, qui soutient l’Azerbaïdjan, Etat laïque dont la langue est turque, à majorité chiite duodécimain[6].

Malgré que cet Etat est le deuxième Etat chiite après l’Iran, cette dernière préfère une neutralité officielle et un alignement officieux avec l’Arménie et la Russie. Néanmoins, l’Iran a souvent proposé ses services diplomatiques pour des cessez-le-feu, qui n’ont guère durée dans le temps et demande à l’Arménie de restituer les territoires occupés. Encore une fois la Russie et la Turquie sont mêlés tous deux à un conflit qui remonte à une histoire commune.

 L’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient, à travers l’histoire des derniers siècles, soit des provinces ottomanes, soit des républiques russophiles. Ceci s’applique aux conflits de Syrie et de Lybie, sans se référer forcément à la langue. Car la Russie héritière de l’ex-URSS considère ces deux Etats en conflit, comme faisant partie de ses zones d’influences et la Turquie héritière de l’Empire Ottoman, fait référence à l’histoire de sa géopolitique des frontières[7]. Les deux Etats appartenant tous deux à l’Eurasie ont intérêt à se supporter face aux anciennes puissances coloniales et en particulier la France.

Les crises diplomatiques turco-français  

Pour la suite des évènements, quoique membre au sein de l’OTAN la Turquie avait postulé, mais en vain, pour son admission au sein de l’UE pour toute riposte, la Turquie a choisi sa propre voie et autonomie diplomatique. Mais cela n’empêche qu’elle continue de défendre sa candidature pour devenir membre de l’UE « La Turquie poursuivra ses efforts pour atteindre son objectif stratégique de devenir membre à part entière de l’Union européenne », déclarait le jeudi 2 mai 2019 le Président turc Recep Tayyip Erdoğan. Ceci lui a valu d’entrer en conflit avec des puissances comme la France qui a ses propres intérêts géostratégiques sur le bassin levantin, partie orientale de la Méditerranée.

L’émergence turque dans les anciennes provinces de l’Empire Ottoman, due aux relations politico-économiques, commence à devenir très gênante pour les puissances sorties vainqueurs des différents traités du lendemain de la première guerre mondiale et en particulier pour la France. 

On constate, dans la relation franco-turque un certain éreintage où chacun dénigre sans arrêt les actions de l’autre. Jugée diplomatie d’engueulade et de désinformation, cette manière de se prononcer cache tout simplement une guerre d’intérêts dans plusieurs pays.  

Pourtant, la Turquie, a été soutenue, loin dans l’histoire deux fois par les français, contre les empires russes. La première fois, lorsque l’Empire des Tsar occupa la capitale de la Crimée pendant presque une année[8]. La seconde fois lorsque la Tsarine Catherine II  [9]était non loin des frontières, c’est les français qui ont dépêché un conseiller pour sauver les murs d’Istanbul.    

 En position contradictoire, cette même Turquie n’oubliera plus, que la France a toujours reconnu le génocide arménien   et a voté contre elle pour son adhésion à l’UE. La Turquie sait très bien qu’elle n’accèdera plus à l’UE et réplique en citant les massacres de civils en Algérie (un million de martyrs ou plus) et le génocide du Rwanda. Elle dénigre la politique française dans ses anciennes colonies.

Dans cette guerre d’information et de prises de positions, toutes les milices y compris les unités de protection du peuple (YPG) kurdes syriennes et le PKK sont considérées terroristes par la Turquie qui soutient l’armée syrienne libre (ASL). Mais, la France reconnait que les milices en présence comme les forces démocratiques syriennes (FDS) ne sont pas terroristes. Car, cette milice en faisant la guerre par délégation, elle est épaulée par plusieurs pays de l’Occident.

Les EUA l’ont encadré et armé depuis le début du conflit syrien. La France ne définit comme terroriste parmi les forces en présence que DAEICH et le PKK. Cela prouve que la définition du terrorisme dépend simplement des intérêts géopolitiques de chaque Etat membre de l’OTAN. Chaque camp considère les groupes armés soutenus par l’autre, comme étant terroristes.

C’est une grave divergence d’Etats alliés qui ont toujours visé une politique commune de stabilisation des conflits. Il ne faut pas s’étonner d’entendre dans un canal officiel, ou même un haut responsable gouvernemental, qui auparavant qualifiait un groupe armé, de terroriste   et de le prendre aujourd’hui pour une milice ou un groupe de mercenaires.

On dirait que certains gouvernements ont oublié carrément les valeurs de paix et de sécurité internationale qu’ils ont longtemps défendue sous les toits des composantes des Nations Unies. Les résolutions du conseil de sécurité sur le terrorisme sont de temps à autres laissées de côté.

La Turquie et sa brouille avec les EUA

L’histoire contemporaine, nous apprend que la Turquie a en plus de sa proximité avec les frontières de l’ex URSS, fourni depuis le début des années cinquante, deux bases militaires, d’une grande importance géostratégique pour les EUA et pour l’OTAN.

 La base aérienne d’« Incirlik » située au sud et la base radar « Kurecik » ont toutes les deux été utilisées non seulement contre l’ex-URSS, mais aussi plus tard dans les campagnes américaines en Afghanistan et en Irak.

Pourtant, n’ayant pas reçu l’accord d’acquérir des missiles Patriotes américains, pendant la présidence d’Obama, la Turquie a vite viré vers la Russie afin d’assurer la couverture aérienne de ses territoires par l’achat des missiles S400 russes et ce malgré les critiques et les mises en garde des alliés. Le rappel à l’ordre du secrétariat de l’OTAN et les avertissements de Washington, qui menace d’arrêter la vente d’avions de combat F35, n’ont pas stoppé la décision déjà prise.

Pour la Turquie, il s’agit de missiles qui vont assurer sa propre protection contre les objectifs intrus aériens et c’est une décision de souveraineté de l’Etat. D’ailleurs pour prouver leur autonomie diplomatique vis-à-vis de leurs alliés traditionnels, les Forces Armées Turques ont testé, à titre d’expérimentation, les missiles S400 « Triumph » le 16 octobre 2020, en tirant avec succès sur des drones cibles « Banshee ».

 Auparavant, au sein de l’OTAN, la Turquie souvent dirigée par une oligarchie militaire n’avait pas des priorités stratégiques au Moyen-Orient, autres que les priorités occidentales, qui faisaient tous à l’époque face à un ennemi communiste.  

La Turquie en quête de sa place régionale

En fait, le retour de la Turquie sur la région méditerranéenne et au nord de l’Afrique a pour objectif de jouer un rôle important, comme dans le temps de l’empire, en matière de géopolitique, géoéconomique et géoculturel. Ayant cédé le terrain par les traités[10]  humiliants, au lendemain de la première guerre mondiale, cette approche se heurte aux engagements des pays ciblés ou touchés, vis-à-vis des puissances coloniales et d’autres puissances dont les intérêts sont touchés par les agitations turques, considérés expansionnistes.

Cette nouvelle émergence turque est considérée plus que dérangeante, par une grande majorité des pays du Golf, par ceux qui ont défendu le panarabisme et par les Etats européens et asiatiques, qui étaient sous la coupole de l’Empire Ottoman.

Le choix idéologique turque prône ses idées du volet géoculturel, qui prétend vouloir préserver au nom de l’islam l’unité des musulmans, particulièrement sunnites, face aux autres religions mais aussi face aux théologies chiites.

De ce fait, elle se heurte à une résistance laïque interne et aux autres tendances politiques islamiques en provenance de la plupart de Etats arabes, notamment le Royaume d’Arabie Saoudite. Car, cette dernière, s’est toujours considérée parrain de la doctrine sunnite, garante des lieux saints. Le Royaume d’Arabie a souvent été le soutien multiforme non seulement aux pays arabes, mais aussi à toute la communauté internationale musulmane. Néanmoins, la montée en puissance de l’économie turque a plus besoin de marchés et d’intelligence économique à la hauteur de ses aspirations.

Ainsi, la diplomatie offensive turque a été derrière un climat de mésentente entre alliés, chapeautés par les mêmes institutions et ayant les mêmes valeurs. Longtemps le gouvernement Turque, à plusieurs occasions, a critiqué fermement la politique de l’UE et a engagé un bras de fer avec la France. L’exécutif turque a fait de même avec l’Egypte et l’Arabie Saoudite et d’autres pays arabes.

Avec la crise économique que traverse le monde entier et la Turquie, particulièrement en 2020-2021, la diplomatie offensive a pris du recul. Evitant les sanctions de l’UE à cause de la crise en méditerranée du levant et des EUA, suite à l’achat des missiles S400 russes, puis suite à l’arrivée d’une nouvelle administration à la maison blanche, le discours officiel de la Turquie vis-à-vis de ses alliés traditionnels a totalement changé pour plus de modération.

 Au début de l’an 2021, l’exécutif turc prend un autre cap, en changeant de dialogue diplomatique et en cherchant à rectifier ses anciennes positions offensives, afin de ne pas s’isoler et perdre ses intérêts géopolitiques. Le train parcourant la Turquie et la Chine en passant par plusieurs pays de l’Asie centrale est un indice fort d’une nouvelle alliance économique entre plusieurs Etats de la région. Les contrats gaziers entre la Russie et la Turquie le sont aussi.

Les frères ennemis de l’Eurasie en entente ad-hoc

Historiquement parlant, les Empires Tsar et Ottoman ont longtemps fait la guerre en Eurasie pour redessiner les frontières, sauvegarder chacun en ce qui le concerne son patrimoine multiculturel et multinational.

 Se prônant le garant de l’ordre et l’islam dans ses provinces, l’Empire Ottoman a été souvent en situation de conflit continu avec :

D’une part : l’Empire Austro-hongrois, défenseurs des frontières de l’Europe centrale et aussi en permanence et

D’autre part avec les Tsars de Russie, qui se considéraient les protecteurs de l’église Orthodoxe.

Ces guerres sans merci et sans fin, avec des trêves momentanées seront plus tard :

-Les causes directes de l’affaiblissement total des deux empires ;

 -Leur entrée dans le premier conflit mondial ;

 -Leur effondrement suite à leur défaite.

Après le traçage et le retraçage des frontières héritées des deux guerres puis l’effondrement des empires Tsars, Ottomans et de l’ex URSS, la Nouvelle Turquie et la Fédération de Russie nées toutes les deux sur les décombres, se voient séparées dans leurs frontières par d’autres Etats. Plusieurs pays de l’Asie parlent turc et russe. Ils ont aussi gardé les influences socioculturelles de l’un et de l’autre.

En analysant de près la géopolitique des frontières des Etats russes et turques, on décèlera que mêle-pèle, ils sont emportés idéologiquement par le choc produit lors des partages des frontières.

Les discours officiels du gouvernement turc rappellent à l’ordre la puissance des Ottomans dans la région, comme ceux du pouvoir russe qui rappelle les années glorieuses des Tsars. La défense des intérêts géoéconomiques de la Turquie touche les acquis de tous les Etats voisins du sud et de l’Est de la méditerranée et ceux de la Russie menace les intérêts de l’Occident.

Dans le prolongement des mêmes indices relevés, le développement géoéconomique   de la Russie et de la Turquie rend nécessaire la révision de la géopolitique des frontières. S’il le faut, redessiner les cartes, afin de créer des nouveaux territoires annexés ou au moins des zones d’influence, écartant toute présence des puissances coloniales. Chose qui ne peut se faire qu’à travers les armes. Agissant à contre-courant, les deux Etats de l’Eurasie font campagne contre les intérêts d’autres puissances européennes et se distinguent chaque fois par leur intervention dans les conflits régionaux en Afrique et en Asie.

En se référant aux relations souvent conflictuelles entre les Empires Ottoman et des Tsars à travers leur histoire et géographie commune en Eurasie, on comprend qu’il s’agit d’un retour de l’extension de l’un et de l’autre. Car, tout en possédant un ou des territoires, les deux puissances se retournent vers leur glorieux passé, pour se rappeler que la géographie antérieure était plus clémente en matière d’espaces.

L’épanouissement de la Russie en annexant la Crimée à ses territoires n’a pas été arrêté par les sanctions de l’UE à partir de 2014.Au contraire l’Ours Blanc a su s’adapter aux régimes des sanctions. De même pour la Turquie qui n’a pas arrêté la prospection du gaz en méditerranée, malgré les menaces de sanctions bradées par l’UE.

Appartenant tous deux à l’Eurasie et critiqués pour leur non-respect des principes démocratiques et particulièrement les droits de l’homme, les deux Etats ont chacun sa propre emprunte géopolitique. Certains Etats occidentaux vendent les armes aux dictatures qui, à leur tour violent les droits de l’homme. Les intérêts de chacun dépassent toute autre cause de relation entre acteurs internationaux et l’amour du prochain est laissé aux livres sacrés des religions.

Ils ont désormais, profité du vide laissé par l’administration américaine, républicaine, en vue de soutenir ouvertement des partis aux conflits dans différentes régions du globe sans se soucier des intérêts des autres puissances occidentales. Les deux Etats ont participé activement à la résolution de certains conflits en Asie caucasienne.

 Ils ont tous deux aussi développé chacun sa géopolitique en vue d’une géostratégie gagnante en Syrie et en Azerbaïdjan. Tous deux sanctionnés par l’UE et par les EUA ont intérêt à s’entendre. Pourtant la Russie s’aligne avec la Grèce contre la Turquie, et cette dernière soutient le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale. Néanmoins, la Russie a réussi à neutraliser Daech en Syrie.  

Face aux puissances coloniales, les deux frères ennemis de l’Eurasie, sont de retour partout en Afrique pour joindre les chinois et d’autres puissances montantes qui à leur tour veulent une partie du marché. La Russie qui a hérité plusieurs ambassades de l’ex-URSS, continue de les entretenir et de faire sentir sa présence, en soutenant clairement des partis au pouvoir qui se sont retournés contre le pays colonisateur.  

Aussi en Afrique, aucune puissance régionale, autre que la Turquie, n’a pu ouvrir autant d’ambassades. Celles-ci constituent un important réseau qui dépasse les quarante représentations et le président turc a entamé une trentaine de visites depuis son accession au pouvoir. A l’instar des sommets France Afrique ou ceux organisés par la Chine, la Russie et autres, la Turquie en termes d’offensive diplomatique, a clôturé le samedi 18 décembre un sommet avec les Chefs d’Etats africains ou leurs représentants, en procédant à la signature d’un plan de coopération pour les cinq années à venir.

En général, face aux puissances coloniales, les deux frères ennemis de l’Eurasie, sont de retour partout. Elles sont en Afrique pour joindre les chinois et d’autres puissances émergentes, qui à leur tour veulent signifier leur présence pour acquérir de nouveaux débouchés sur une partie du marché mondial. Aucune puissance régionale, autre que la Turquie, n’a pu ouvrir autant d’ambassades en Afrique surtout que la Francophonie et le Commonwealth commencent à battre en retraite et à perdre du terrain délaissant les Africains exposés non seulement à une paupérisation galopante mais aussi à des conflits tribaux, ethniques et identitaires.

A toute situation géopolitique imbibée d’ententes et de conflictualité tel est le sens qu’Yves Lacoste[11] donne au mot géopolitique :

Rivalités de pouvoirs ou d’influences sur des territoires, rivalités pour le contrôle ou la domination de territoires de grande ou de très petite taille, rivalités entre des pouvoirs politiques de toutes sortes, et pas seulement entre des États, mais aussi entre des tribus, des mouvements politiques ou religieux…

L’histoire est-elle en train de se répéter en une logique de nouvelle guerre froide ou sommes-nous en cours de basculer sur NOM/Nouvel Ordre Mondial multipolaire où la Russie et la Turquie ont leur mot d’ordre ?

Seuls un Général stratège chevronné ou un diplomate avisé peuvent satisfaire notre appétit géopolitique.


[1] Al Fatih en arabe veut dire le conquérant.

[2] C’est la fête de la victoire appelée « Le Zafer Bayrami » qui rappelle le jour de la bataille de Dumlupinar du 26 au 30 aout, menée par les turcs sous le commandement de Moustafa Kamal contre les grecs.

[3] J’ai écrit le nom de la bataille telle qu’elle   écrite et prononcée en arabe.  Cette bataille est appelée aussi la bataille des Dardanelles dans le cadre de plusieurs combats, qui ont duré jusqu’en janvier 1916 et se sont achevés par la victoire de l’Empire ottoman face aux forces des empires britanniques et françaises.

[4] Appelé auparavant avec les territoires voisins, par les empires musulmans arabes : le Khorāsān.

[5] Cette république d’Asie centrale est née suite à l’effondrement de l’ex-URSS le 8 décembre 1991. Considérée russophile à l’instar des républiques voisine du Caucase, elle est connue pour ses scandales politico-financiers et pour être proche de la Russie fédérale et en même temps son économie est très fragile à cause des grandes dettes chinoises. En janvier 2021, Sapyr Japarov connu pour son charisme, a été élu majoritairement président de la république. Pourtant avant d’être premier ministre en 2020, il a été emprisonné pour avoir commodité l’enlèvement d’un gouverneur. Il a promis de remplacer le régime parlementaire par un système présidentiel.

[6] Croient qu’il existe douze Imams. Ce point fondamental a débuté de 874-940 par l’adoption dans leur courant du douzième Imam. C’était l’occasion aussi de la naissance de la secte ismaélienne.

[7] Comme conséquence du déclin de l’Empire Ottoman, ses populations turques sinon musulmanes en Asie centrale sont restées influentes, mais dans la partie européenne, elles sont devenues très minoritaires et s’affichent dans la géographie du continent, particulièrement en Albanie et en Bosnie-Herzégovine. Par contre, c’est la chrétienté généralement orthodoxe, héritée de la grande influence de Constantinople qui constitue la majorité écrasante des populations. 

[8] Le siège de Sébastopol a duré 11 mois à partir du 09 octobre 1854.

[9] En 1783, la Tsarine Catherine   l’ancien khanat de Crimée, qui était sous protection ottomane. Puis par la suite elle entama ses combats   contre l’Empire Ottoman   marqué par le déclin. Plus tard, la mer Noire est devenue est une région russe.

[10] Les plus importants accords entre la Turquie et les pays vainqueurs, sont ceux de Sykes-Picot signés le 16 mai 1916   et le traité de paix signé le 24juillet 1923 à Lausanne en Suisse.

[11] Yves Lacoste professeur émérite de géopolitique , né à Fès  en 1929.Il est fondateur de l’institut géopolitique français.