La Somalie – Partie 1-

La fragilité, l’instabilité et l’insécurité dont souffre la Corne de l’Afrique n’a pas empêché nombre d’États et d’acteurs régionaux et internationaux à s’empresser pour s’y installer. Cette situation absconse ne pourrait être expliquée que si les rapports entre instabilité, acteurs locaux et internationaux sont décryptés afin de déduire l’intérêt de cet espace régional. D’où la nécessité d’une analyse géopolitique.

D’un autre côté, l’intérêt que revêt la Corne de l’Afrique peut être justifié, entre autres, par sa valeur géostratégique qui est simplement sa position géographique donnant sur des axes maritimes devenus stratégiques et sa proximité du moyen Orient. Cet intérêt est expliqué aussi par le fait que cette zone est perçue par les occidentaux comme une menace à leur sécurité.

Aussi, les rapports interétatiques dans la Corne ont été depuis longtemps très tendus. Ils ont généré des guerres fratricides empêchant toute tentative d’intégration régionale. Ce climat, conjugué avec la fragilité des acteurs politiques et la sévérité climatique avec son corollaire la famine ont amplifié les conflictualités et l’instabilité politique générant des crises qui perdurent.

L’enchaînement de crises de toutes sortes ont inhibé toute tentative de développement, reléguant certains États aux rangs de ceux faibles, fragiles, en déliquescence et même défaillants comme classés par Greg Mills. Cette situation inextricable dans la Corne est expliquée par cette fragilité dont les raisons sont enfouies dans l’absence de volonté de certains États à s’émanciper malgré leur richesse, mais aussi et surtout par l’ingérence des puissances étrangères. C’est notre thèse depuis le début de cette série d’articles sur la zone et nous tenterons de démontrer encore une fois son bien-fondé dans le cas de la Somalie. Un retour rétrospectif sur l’histoire de la région et de ce pays est nécessaire en préliminaire.

En effet, les puissances coloniales ont commencé à s’intéresser à la zone vers la seconde moitié du 19ème siècle et la compétition entre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie s’annonçait rude. C’est ainsi, avec l’ouverture du canal du Suez en 1869 qui a ouvert la voie vers une rivalité pour contrôler cette voie maritime menant à l’Océan indien, les Anglais ont occupé la Somalie du Nord (Somaliland), les Français ont pris le Djibouti et les Italiens ont colonisé l’Érythrée et le Sud de la Somalie.

Aux yeux de la Grande-Bretagne, une puissance historiquement maritime par excellence, la Somalie présente un intérêt vital et répond à deux objectifs stratégiques. D’abord, contenir les français et les empêcher d’accéder à des débouchés stratégiques au-delà de la zone occupée. Ensuite, assurer un soutien logistique et militaire à partir de la Somaliland à la colonie d’Aden, sur l’autre rive.

D’un autre côté, l’Empereur Negusse Negest Menelik II de l’Éthiopie, après sa victoire sur les italiens dans la Bataille de Dogali en 1887, mais surtout dans celle d’Adoua en mars 1896, va occuper la région de l’Ogaden en 1897, freinant ainsi les ambitions des anglais dans la région et les contraindre à signer avec lui un traité d’amitié. La lutte de la résistance somalienne va s’assigner deux objectifs sacrés : combattre l’Éthiopie, l’ennemi chrétien historique, et repousser l’administration britannique qui contrôle les ports les plus lucratifs et prélève des taxes auprès des paysans somaliens.

Cette résistance contre l’occupant anglais va être menée par Mohammed Abdullah Hassan, un chef de guerre, un homme de foi et un poète. Il va réussir à lever une armée de 10.000 hommes et infliger à plusieurs reprises des pertes à l’ennemi. Sa lutte qui a duré 21 ans, la plus longue et la plus sanglante en Afrique, va être mise en échec grâce à l’infanterie, la marine mais surtout grâce à un bombardement intensif en 1920. Même après cette défaite, aucune négociation n’a été acceptée par son clan, le Dhulbahante.

Les britanniques, intéressés uniquement par le contrôle de la voie maritime et des intérêts commerciaux, se sont montrés peu soucieux de la situation politique de la Somaliland. Ils ont empêché le développement de tout système politique moderne basé sur la participation des partis politiques et se contentaient d’une gestion minimale en s’ingérant le moins possible dans les affaires indigènes. Le développement politique du Nord va accuser du retard par rapport au Sud, occupé par les italiens.

D’un autre côté, entre 1890 et 1925 le Roi d’Italie Humbert Ier va mener une campagne sur le sud de la Somalie. Contrairement aux formes d’administration françaises et anglaises, les italiens n’étaient présents qu’au centre, laissant les chefs de tribus jouer le rôle d’intermédiaires dans la périphérie.

Le 02 octobre 1935, l’armée italienne fasciste sous Mussolini va lancer une attaque contre l’Éthiopie sans déclaration de guerre, invoquant un incident frontalier (Oual-Oual) au grand mépris des français et anglais. Le 05 mai 1936 les troupes de Mussolini vont entrer à Addis-Abeba. Le Roi d’Italie Victor- Emmanuel III est proclamé Empereur d’Éthiopie.

À la suite de la défaite de Mussolini dans la 2ème GM en 1941, l’Italie va perdre tout son territoire dans l’Est africain : l’Afrique Orientale Africaine. Les Britanniques se sont emparés de la Somalie du sud et l’Érythrée.

À la lumière de cette brève introduction, l’importance géostratégique de la Corne de l’Afrique s’est déclarée très tôt, incitant les puissances coloniales de l’époque à s’empresser pour s’y installer. Cependant, l’occupation de cet espace n’a pas tenu compte ni des réalités ethniques ni des pouvoirs politiques en place. Le découpage frontalier n’a fait qu’altérer l’homogénéité des populations locales et faire naître des rivalités germe des crises actuelles. La Somalie, découpée en Nord et Sud n’est qu’un exemple. L’influence de la période post-coloniale avec les conflits croisés et les tensions complexes va être déterminante pour le futur de la région.

À suivre.