Ces dernières années la géopolitique internationale connait des fissures graves et le monde multipolaire continue d’affirmer son éclosion. Entre le non alignement et l’alignement d’antan plusieurs forces nouvelles ont choisi le multi alignement pour sauvegarder leurs intérêts stratégiques. Mais pour réussir leurs paris, tous les pays veulent résoudre les problèmes de la communauté internationale via un système multilatéral[1] transparent, crédible et loin de tout arbitrage des anciennes puissances. Pourtant la seule organisation internationale en mesure de mettre fin aux conflits et au divisions entre les différents antagonistes est en situation de paralysie. Sa renommée connait de plus en plus de déclin et certains Etats ayant des parapluies qui les protègent, continuent de violer la législation internationale.   

Certes la SDN est née comme institution de la paix au lendemain de la première guerre mondiale et l’ONU est aussi apparue au lendemain de la seconde guerre mondiale. Parallèlement, on se demande suite à ce qui précède dans l’histoire du IXX ET XXème siècle est-ce qu’il est nécessaire à ce que l’humanité vive une troisième guerre mondiale lors du 3ème millénaire, pour qu’il y ait de nouveaux gagnants et des perdants puis réformer en entier les Nations Unies ?

Un constat alarmiste

Depuis quelques décennies, il est devenu impératif de trouver un système convainquant et fiable pour un meilleur changement. Car, le monde est de plus en plus instable à cause des tensions graves, terrorisme, conflits de civilisations : Sud-Nord et Est-Ouest, changements climatiques très menaçantes, migrations humiliantes vers l’hémisphère nord, crises alimentaires et sanitaires touchant même les pays aisés, et dettes sans précédents incluant pays riches et pays pauvres. On assiste à des violations répétées de la Charte des Nations Unies, accompagnées de crimes de guerre et contre l’humanité.    

La déficience dans les missions de l’ONU est le résultat de la division au sein du Conseil de Sécurité[2]. Cela suppose les utilisations des droits de veto, qui bloquent les résolutions du Conseil[3]. Pourtant, cette institution est   devenue incapable d’assurer sa principale tâche qui est de garantir, le maintien de la paix et la sécurité internationales.

Donc par cette impasse dangereuse par laquelle passe la communauté internationale, il est devenu plus que primordial d’accorder une attention particulière à la réforme structurelle des Nations Unies, qui sont devenues moins crédibles à l’instar de leur sœur ainée la SDN, ayant vécu le même cas de figure, à partir des débuts des années 1930.

Le désaccord, la division sont devenues des réactions habituelles au sein du Conseil. Dans le passé c’était l’URSS, qui bloquait souvent les décisions. Maintenant, c’est soit la Russie seule ou avec la Chine, soit ce sont les Etats Unis d’Amériques seuls ou avec le reste des nations occidentales. La première victime de ces blocages sont les pays du Sud global, qui n’ont pas ce privilège juridique et qui subissent cette non légitimité. Pourtant à l’instar de l’égalité des personnes devant la loi, les Etats doivent subir le même sort en droit international. Des fois la législation appliquée aux Etats du Sud ne l’est pas pour les puissances coloniales. L’étiquette de terroriste ou de criminel de guerre ou contre l’humanité est beaucoup plus appliquée aux sujets des pays de l’hémisphère sud.   

Les exemples des limites flagrants de l’ONU et en particulier du Conseil de sécurité en matière de résolution des conflits dans le monde sont nombreux et ont perduré dans le temps[4]. Actuellement, les analystes du monde entier se tournent vers la réaction israélienne, qui demeure non proportionnée, en ratant largement sa cible. Depuis le 07 Octobre 2023, on assiste à une exagération de la déshumanisation de la population civile et le déplacement massif de plus d’un million et demi des populations à l’intérieur de Gaza.   

L’ONU est paralysée et aucun acteur politique international n’a pu faire face à la politique colonialiste du gouvernement ultra nationaliste et extrême droite d’Israël. Bien que décidée à arrêter les massacres, l’Assemblée des Nations Unies n’a pas pu rendre des résolutions contraignantes. Comme d’habitude, des recommandations et des dénonciations sans impactes directes[5], sur les antagonistes. Car, seul le Conseil de sécurité est habilité à le faire. Mais, le droit de véto accordé aux seuls vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, est de temps à autres utilisé, même pour contrarier la volonté de la communauté internationale.   

N’étant plus adaptée à la nouvelle conjoncture internationale marquée par l’absence de nouvelles puissances montantes et aussi de continents non présentés, particulièrement des pays du Sud global, il est devenu très urgent de moduler les Nations Unies et particulièrement le Conseil de Sécurité avec les nouvelles donnes du XXIème siècle, afin qu’il y ait plus de légitimité et de confiance dans les institutions multilatérales.

Propositions des groupes d’Etats entre influents et anodins

Les voix réformistes de l’ONU ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a lieu de rappeler que la représentation équitable au sein du Conseil a été abordée à l’ordre du jour de l’Assemblée générale en 1979, soit plus de quarante ans. A partir du début du troisième millénaire et la chute de l’URSS, plusieurs voix réformistes[6] au sein de l’Assemblée générale, ont appelé à la restructuration de l’ONU, à la révision de la relation entre l’assemblée générale et la suspension du droit de veto. 

Alors que l’Assemblée générale vote une résolution des fois, même à l’unanimité, sa décision demeure une recommandation et seules les décisions du Conseil des grands qui sont contraignantes. En attendant le groupe tout-puissant constitué de : l’Allemagne, Japon, Brésil et Inde ne cesse de revendiquer, depuis 2005, un conseil élargi en leur faveur dont le but est d’avoir un siège permanant pour chacun. Pour cette raison, l’Allemagne a beaucoup contribué dans le budget des Nations Unies.  Pourtant, ce « Groupe des Quatre » (G4)[7], né du Groupe de personnalités de haut niveau chargé de la question en décembre 2004, contient deux pays considérés occidentaux, à savoir l’Allemagne et le Japon. D’autres Etats en Asie, en Amérique et en Afrique méritent ce privilège.   

Aussi, cette institution est représentée par un nombre important de pays occidentaux[8], sans respect du quota géographique ou la diversité des peuples. Ce groupe a la particularité de posséder une importante puissance économique et d’être classé au sein des nations les plus développées. L’Inde qui faisait partie du Sud pourrait devenir la troisième puissance économique dans quelques années. Portant, même si elle arrive à avoir un siège permanent, il est fort probable que le droit de veto lui sera refusé. Malgré les conflits d’intérêts entre les membre permanents, ils ne partageront jamais ce privilège.

Parallèlement, le Groupe arabe constitué de vingt Etats regroupés au sein de leur ligue, avec environ 400 millions de personnes, défend la réforme du Conseil en aspirant à son élargissement afin de gagner un siège permanant avec d’autres non permanents. Mais en réalité le siège permanant ne pourrait que créer des animosités, entre le Royaume d’Arabie Saoudite, l’Egypte et d’autres Etats qui croient pouvoir représenter les arabes. Les arabes ont toujours été désunis et n’ont pas bien profité de leurs armes géopolitiques liées aux hydrocarbures. L’exemple du monde arabe divisé face à Israël n’ a pas besoin de justifications. L’intérêt de chaque pays arabe est d’acquérir un siège permanent ou pas du Conseil de sécurité dans sa propre zone géographique. Dans ce genre de situation il vaut mieux choisir sa région ou son continent au lieu de la diversité populaire.   

 En 2021, au nom du Groupe des États d’Afrique, la mission permanente du Sierra Leone au sein des Nations Unies a signalé en plus de l’absence du continent dans la catégorie des membres permanents, sa sous-représentation parmi les membres non permanents et a suggéré d’accorder à l’Afrique au moins deux sièges permanents, avec droit de veto et deux autres sièges non permanents. Néanmoins, avec 54 Etats sur 192 membres de l’ONU, l’Afrique mérite le quart des sièges entre permanents et non permanents du Conseil de sécurité.   

Plus tard en novembre 2023, le Groupe L.69 composé des pays en voie développement[9] africains, asiatique, du Pacifique, d’Amérique latine et des Caraïbes, a signalé la non adaptation du Conseil avec son objectif. En cas d’élargissement, au continent africain l’Egypte, le Maroc, le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Ethiopie pourraient faire partie des membres du Conseil pour défendre les intérêts africains.  

Le du Groupe « Unis pour le consensus » défendu principalement par la Chine, le Pakistan, l’Italie pensent aussi à l’élargissement et au partage des sièges au niveau des régions géographiques internationales pour donner l’occasion à tous les pays d’avoir l’occasion de siéger au sein du Conseil de sécurité. Mais, les discours à l’intérieur de ce Groupe ont aussi des divergences en particulier en ce qui concerne la catégorie des sièges permanents qui demeure la source des difficultés du Conseil.

En fait, il est fort difficile de prévoir une réforme profonde du Conseil de Sécurité sans qu’il y ait des actions militaires entre une ou des anciennes puissances et celles émergeantes qui défendent leurs intérêts, en ayant eux aussi la possibilité d’avoir le droit de veto. Le Conseil pourrait s’élargir à 25 ou 26 membres en respect de la représentation géographique. Mais les relations entre les membres permanents du Conseil de Sécurité avec l’Assemblée générale n’auront pas de grands changements.

 Les Etats détenant le droit de veto ne pourraient partager ce privilège avec les puissances émergentes même si celles-ci ont acquis tous les facteurs, politiques, militaires et économiques dans leurs régions réciproques ou au niveau universel. On pourrait déduire que l’efficacité de l’application des résolutions du Conseil, dépendent de l’utilisation légale du droit de veto[10] par ses membres, qui en font usage comme moyen arbitraire, sans fondement juridique et sans crédibilité.

Dans tous les cas, les 5 membres permanents ne sont pas prêts à accorder le droit de véto à d’autres puissances même de grand potentiel économique et militaire. La possibilité d’avoir quelques sièges au sein du Conseil de sécurité incluant en plus des cinq puissances classiques d’autres membres permanents sans veto et des membres non permanents reste la solution la plus probable. Aussi le Conseil pourrait subir des aménagements structurels, dans sa relation avec l’Assemblée générale. L’élargissement du Conseil sera beaucoup plus équitable pour les Etats à condition qu’on fasse référence à la zonage géographique. Mais, il est très prématuré ou impossible de donner le droit de veto à d’autres Etats membres.

Avec cinq, il existe souvent une paralysie. Mais qu’en est-il de la situation du Conseil élargi à vingt ou trente sièges ? Comparé à l’OTAN, la Turquie a pu imposer des conditions à l’entrée de la Finlande et bloquer la Suède jusqu’à ce que celle-ci renvoie de ses territoires, tous les opposants turcs considérés terroristes par leur pays d’origine. L’élargissement est possible. Mais le partage du droit de veto ne serait pas d’actualité. Peut-être après la chute de l’Occident ou son vieillissement, la Chine[11] et d’autres puissances montantes du Sud global vont veiller à la relecture du droit de veto ou à sa disparition.  

L’année 2024 pourrait être un espoir de refonte des Nations unies et le Sommet de l’avenir attendu , avec en particulier d’élargissement du Conseil, une présentation équitable, même à 25 sièges, sans pour autant augmenter le nombre des détenant  du droit de veto. Car c’est un privilège à ne jamais partager .


[1] Lors de la présidence russe, pendant le mois d’avril, le Conseil de sécurité a tenu un débat public consacré à « un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ».  A cette occasion, le Chef de la diplomatie russe a : « dressé un virulent réquisitoire contre les pays occidentaux, accusés de chercher à remplacer le droit international et la Charte par un prétendu « ordre fondé sur des règles » destiné à leur seul profit. Ces derniers ont répliqué en taxant la délégation russe d’hypocrisie, l’accusant de violer tous les principes de la Charte des Nations Unies par son invasion de l’Ukraine. » . Lire la presse de l’ONU du 24 avril 2023 sur https://press.un.org/fr/2023/cs15263.doc.htm

[2] Selon la Charte des Nations Unies le Conseil de sécurité est le premier responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est composé de 15 membres qui ont chacun un siège ou une voix. Les décisions du Conseil pourraient être contraignantes et le Conseil essaie d’anticiper toute menace contre la paix et encourage le règlement entre antagonistes par des moyens pacifiques. Le Conseil   peut user des sanctions (économiques, embargos…), ou déclencher des opérations militaires afin de maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales dans des zones de tensions.

[3] Suite à ce qui se passe en Ukraine et à Gaza, le Président de l’Assemblée générale de l’ONU, Dennis Francis, a signalé que sans réforme structurelle, la performance et la légitimité du Conseil de Sécurité continueraient inévitablement de souffrir.  Cette déclaration a été faite le jeudi 17 novembre 2023, lors du débat annuel de l’Assemblée concernant l’évaluation du principal forum de l’ONU pour la paix et la sécurité. Pour plus de précisions, lire ONU info, du 17 novembre 2023 sur unnews@un.org.

[4] Pour plus de précision lire un communiqué de presse du 5 décembre 1997, lié à la  la réforme du Conseil de sécurité doit servir  son peu de représentativité dans la presse de l’ONU, sur https://press.un.org/fr/1997/19971205.ag736.html   

[5] Le 17 novembre 2000, près  des deux tiers des Etats  membres des nations unies se sont exprimés sur la réforme du Conseil de sécurité Voire  vote de l’Assemblée générale / 1113.

[6] A partir de 1994 un Groupe de travail a été créé pour étudier la possibilité de la représentation équitable au Conseil de sécurité et l’augmentation du nombre des sièges. Car, auparavant le Conseil a été élargi de 11 à 15 membres entre 1963 et 1965.Dix ans plus tard un autre Groupe d’expert s’est penché sur la question en 2004 suite à la guerre d’Irak. Mais, sans résultat concret. Juste les propositions et les discours des missions permanentes, sans exécution.  Lirehttps://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2006-4-page-3.htm

[7] Ce G4 a été vivement critiqué par d’autres Etats qui s’opposent à cette proposition, dont les uns veulent seulement augmenter le nombre des sièges non-permanents et les autres veulent améliorer des méthodes de travail du Conseil de sécurité.

[8]   « La surreprésentation des pays occidentaux au sein du Conseil ne reflète ni la diversité de la composition de l’ONU, ni les réalités géopolitiques actuelles, a affirmé Mme Miguel, soulignant que la réforme est non seulement urgente, mais aussi une condition préalable à la paix, à la stabilité et à la sécurité internationales, ainsi qu’à un ordre multilatéral efficace. » Idem lire ONU info, du 17 novembre 2023.  

[9]  Un groupe de 42 pays en développement qui sont pour la réforme Lire l’évènement du soixante-dix septième session, 36ème et 37ème séances plénières -matin et après-midi AG/12472/ 17 novembre 2022 sur press.un.org

[10] Ce droit de veto été utilisé à tort, alors que les violations des droits de l’homme, les crimes contre l’humanité et de guerre ont été commis par des Etats profitant du parapluie d’une puissance bénéficiant du siège permanant au sein du Conseil de sécurité.

[11] La Chine est entourée par un ennemi historique qui est le Japon et un autre rival politico-militaire avec qui il a aussi engagé deux petits conflits à cause du litige frontalier. Donc, jamais la Chine ne leur accordera un droit de veto.