Malgré la place qu’elle a toujours occupé dans le monde arabo-africain, l’Egypte pays des pharaons affiche des indicateurs qui montrent qu’elle traverse des moments difficiles , pouvant menacer sa sécurité nationale et sa stabilité. Car, encerclée par des frontières constituant une poudrière incontrôlable pour le moment et une économie touchée de plein fouet par l’inflation, la situation en Egypte demeure volatile et nul ne peut prédire son futur.
Dans le passé, en tant que Royaume, l’Egypte connaissait une prospérité économique exemplaire et avait un poids politique important au niveau arabo-africain. Récemment, le diagnostic déchiffré montre bien que la géopolitique contemporaine égyptienne a moult choix entre les principaux objectifs stratégiques, qui remontent au XXème siècle et d’autres qui sont considérés de circonstances, mais aussi importants que les premiers.
Priorités stratégiques d’antan
Les priorités stratégiques de l’Egypte n’ont jamais atteint leurs buts sur l’immédiat. Il a fallu plusieurs décennies pour trouver une issue au conflit avec l’Etat hébreu. Mais, il n’y a pas eu de solutions à d’autres maux qualifiés d’ordre prioritaire.
En effet, en occupant le pouvoir, depuis le début des années cinquante, la junte militaire s’est précipitée dans les décisions par la nationalisation du canal de Suez et par la récupération des biens que possédaient les étrangers longtemps établis en Egypte. Cette initiative mal planifiée et prise à la hâte, a donné l’occasion aux forces du Royaume Uni, de la France et d’Israël d’entrer en conflit militaire direct avec les forces armées égyptiennes. Celles-ci ont fait beaucoup plus le spectateur que le défenseur. Dans cette campagne militaire perdue, par la nouvelle oligarchie au pouvoir, l’Egypte a gagné le soutien politique des nations du monde y compris celui des Etats Unis d’Amérique et celui de l’Union des républiques soviétiques socialistes qui ont demandé aux anglais et aux français de quitter le territoire égyptien. Par contre les forces israéliennes ont perduré sur le terrain. Cette campagne a créé un besoin stratégique prioritaire qui a longtemps vidé les caisses de l’Etat. Il s’agissait de libérer les territoires occupés par Israël depuis la campagne de Sinaï d’octobre 1956[1] et chapeauter un front commun des pays arabes contre l’Etat hébreu.
Ensuite, parallèlement à cet objectif précité, la politique égyptienne a donné priorité à la géopolitique de l’eau. Longtemps les égyptiens avaient la mainmise sur le Nil considéré héritage du Dieu Ra et des héritiers de la dynastie des pharaons. Le colonisateur anglais les a encouragé dans ce sens à travers un traité signé en 1929 et amendé en 1959. Mais, l’Ethiopie n’a cessé de réclamer ses droits sur le Nil et a fini par construire un barrage qui a été détruit par les forces aériennes égyptiennes pendant la présidence du feu Anouar ESSADATE. Profitant du printemps arabe, l’Ethiopie a pu construire le grand barrage de la renaissance à l’instar d’Assouan qui a été construit par Gamal ABDENNASSER. Au fur et à mesure que les pays du bassin du Nil devenaient plus indépendants et changeaient leurs systèmes politiques, ils favorisaient le choix de l’Ethiopie sur le partage du fleuve. Ainsi, la majorité des Etats de la région approuvent l’initiative de l’Ethiopie.
Jusqu’à nos jours, l’Egypte et le Soudan particulièrement du Nord continuent de réclamer leurs droits sur le Nil et constituent un front commun contre l’Ethiopie qui déclare ne pas menacer la continuité de l’approvisionnement en eau. Les émissaires égyptiens continuent de voyager et d’user du pouvoir du verbe afin de défendre leur cause ancestrale du Nil auprès des Etats qui partagent les eaux du Nil[2], auprès de l’Union africaine et de l’OUA. Ainsi, un conflit ouvert ou par délégation avec l’Ethiopie n’est pas à écarter.
Priorités de circonstances, devenues permanentes
Autrefois, la seule menace frontalière qui donnait aux différents régimes qui se sont succédés [3]au pouvoir la raison de rassembler les populations, au tour d’une décision politique, est celle qui concerne l’occupant israélien . Mais, depuis que la paix est revenue, la géopolitique des frontières a changé. Grâce aux accords israélo-égyptiens, il a été bien compris par les deux parties au conflit que l’instabilité des frontières entre les deux anciens ennemis pourrait nuire à leurs intérêts vitaux et ouvrir la voie aux mouvements armés.
Par ailleurs d’autres fronts pourraient nuire aux intérêts du pays des pharaons. La Lybie déchirée par le conflit intestine, le contreterrorisme au Sinaï et la nouvelle implosion du système politique au Soudan du Nord sont des menaces directes pour la stabilité de l’Egypte. Le discours officiel a toujours montré son intention d’exercer le droit de poursuite dans les territoires voisins afin de neutraliser les groupes armés qui sont en étroite relation avec les jihadistes égyptiens. Ceci dit pénétrer dans la profondeur du territoire libyen, appliquer le scénario turc en Syrie, avec la possibilité de rester aussi longtemps possible. Cette hypothèse est aussi envisageable dans les territoires du Soudan du Nord. Car, ce dernier est resté le seul régime allié en matière de géopolitique de l’eau, contre l’Ethiopie.
Dans tous les cas les interventions en profondeur dans les territoires voisins constituent une solution sécuritaire et une ambition économique intermédiaire, si jamais les pays du Golf arrêtent leur soutien financier. Cette stratégie pourrait tourner l’attention des égyptiens vers l’extérieur et ne plus descendre dans les rues pour réclamer la cherté de la vie et l’inflation galopante qui dépasse les 30%.
Perspectives d’une convalescence à l’égyptienne
Le pays des pharaons doit d’urgence sélectionner les moyens d’accompagnement adaptables, en profitant de ses ressources humaines abondantes, améliorer son soft power et sa « nation Branding » pour attirer les investissements directs étrangers et associer le secteur public à la composante financière privée.
De prime abord, l’Egypte est parmi les plus anciens pays arabo-africains détenant des ressources humaines qualifiées qui ont participé largement au décollage socio-économique des pays du Golf. Maintenant c’est le tour du pays de bénéficier des capacités de ses enfants.
La diplomatie égyptienne est appelée à travailler en douce, loin des contradictions dans les prises de positions, afin d’améliorer le climat de confiance, l’image de marque du pays et attirer le maximum d’investissements directes étrangers, puis récupérer la place d’antan dans le secteur touristique. Le pouvoir ne doit pas oublier qu’à l’exception du succès dans la guerre de 1973, il a perdu la majorité de ses guerres face à Israël et n’a pas bien géré ses projections de forces pendant les années soixante au Yémen et pendant la guerre des sables au Royaume du Maroc.
Aussi, il est temps de trouver un terrain d’entente entre les secteurs publics et privés pour accompagner le développement socioéconomique du pays sans toutefois passer par la participation financière de la composante militaire. Car, ce n’est qu’en Egypte qu’on trouve la participation de l’armée dans l’effort financier et d’investissement. Car comme on dit : « ce qui appartient à César appartient à César. »
Depuis le XIXème siècle l’Egypte engrangeait une importante matière grise en ressources humaines. Elle avait tous les moyens de développer sa puissance régionale, afin de dépasser la Turquie, l’Iran et l’Afrique du Sud .A contrario, l’inflation actuelle pourrait encore une fois être à l’origine des descentes populaires à la place Tahrir comme pendant le printemps arabe.
En somme, l’Egypte appelée à la vigilance, est entourée d’un voisinage instable et convoitisée par plusieurs puissances. La priorité concernant la gestion des dossiers liés à la géopolitique de l’eau et à la surveillance des frontières voisines devient plus que primordiale. La poursuite en profondeur des acteurs politiques déstabilisateurs, annoncés par le discours officiel pourraient enflammer la région en entier.
Un proverbe des berbères du sud du Royaume dit que « C’est l’épicerie qui fait la maison et ce n’est pas la maison qui fait l’épicerie. » Ceci s’applique à l’Egypte. Car, au lieu d’investir dans la construction d’une nouvelle ville, il a fallu orienter les investissements publics vers les secteurs de l’industrie et des services.
[1] A titre de rappel, l’Egypte a perdu à partir de cette date, en plus du Sinaï, sa souveraineté sur le canal de Suez qui a été fermé et ses troupes ont été contraints de quitter sans préavis, le territoire de Gaza en Palestine. Par la suite, les forces égyptiennes et des pays arabes frontaliers avec Israël ont organisés des opération commandos pour déstabiliser l’Etat hébreu. Mais encore une fois, le fleuron de l’aviation égyptienne a été bombardé en 1967, le Golan syrien et des territoires de la Jordanie ont été annexés par Israël. Grâce aux accords de Camp David signés entre égyptiens et israéliens que la paix est revenue.
[2] Les pays qui partagent le bassin du Nil sont : la Tanzanie, le Burundi, l’Ouganda, le Rwanda, la RD Congo, le Congo démocratique, le Kenya, l’Ethiopie, l’Erythrée, le Soudan du Sud, le Soudan du Nord et l’Egypte.
[3] La première guerre arabo-israélienne a été menée en 1948 du côté égyptien par le défunt roi Farouk, puis la seconde par feu Gamal à partir de 1956 et le Président feu Anouar ASSADATE a été le seul à gagner la guerre en octobre 1973 et à asseoir une paix durable.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.