Le réchauffement planétaire et l’augmentation de la population continuent de constituer les facteurs majeurs de la pénurie en eau. Au niveau planétaire nous assistons à une inégalité dans les précipitations et la répartition de l’eau. Il existe des régions arides et semi-arides qui ne reçoivent que 6% des précipitations mondiales. Ceci touche principalement les pays du Sud global, qui n’ont ni infrastructures, ni moyens financiers pour améliorer les conditions de distribution et de gestion de la ressource. Cette pénurie fait de l’eau une matière stratégique objet de litiges et de convoitises. Raison pour laquelle il existe une géopolitique de l’or bleu et d’ailleurs, il n’y a pas que l’eau qui a sa géopolitique.
Certes, l’eau a toujours présenté des enjeux stratégiques et a constitué un moyen de délimitation des frontières entre les continents et les pays. Le constat alarmant conduit la communauté internationale vers des crises causées par la rareté de l’eau douce dans la le monde. En Afrique, les rapports entre la république d’Afrique du Sud et son voisinage qui partagent le fleuve Orange constituent une bombe à retardement. L’Egypte, le Soudan du nord et l’Ethiopie n’ont pas tranché sur le partage des eaux du Nil. En Asie la Chine qui est un chateau d’eau dans sa région, continue de construire des méga barrages sur des fleuves partagés avec son voisinage. Cela pourrait se répercuter négativement sur toute la région.
De même la Turquie, la Syrie et l’Irak sont souvent en litige à cause des constructions des barrages au long des fleuves de Tigre et de l’Euphrate. Le conflit israélo-arabe est étroitement lié au contrôle de l’or bleu. Comme solution plusieurs Etats, qui n’ont pas de fleuves à partager ont choisi la voie de sensibiliser les consommateurs et d’exploiter les eaux salées, malgré leur cherté et leurs conséquences sur l’environnement.Mais les pays enclavés qui n’ont ni fleuves ,ni mer sont menacés.
Constat général
En effet une étude résumée de la géopolitique de l’eau montre bien qu’à travers les différents constats sélectionnés, il y a beaucoup de défis à relever par la communauté internationale[1]. La rareté de l’eau, sa participation au développement économique et sa place stratégique comme moyen de déplacement des personnes et des biens montrent bien les raisons pour lesquelles, il existe des compétitions et des tensions dans plusieurs régions du monde.
Il y a lieu de rappeler, qu’il existe un milliard ou plus de personnes qui n’arrivent pas à avoir l’eau potable. Certaines zones sont fréquemment arrosées en pluies beaucoup plus que d’autres. Par contre on constate un manque de moyens dans le sud global pour la construction d’infrastructures liées à l’eau (moyens de forages, barrages, usines de dessalement …). Ce constat général, nous mène vers d’autres approches liées à la géographie économique et à la stratégie.
L’eau condition positive de la géographie économique
Dans ce sillage , depuis que le nombre la population mondiale a augmenté avec les besoins alimentaires, le secteur primaire, particulièrement l’agriculture est devenue la plus grande consommatrice de l’eau douce. Cette montée de la surface irriguée va en parallèle avec « l’effet de serre », qui est aussi un phénomène dû aux perturbations climatiques et aussi la déforestation qui ne cesse d’avoir des conséquences sur le climat de la planète et sur son niveau de son réchauffement. De même vient en deuxième lieu en matière de consommation de l’eau, le secteur secondaire englobant l’industrie qu’elle soit de transformation ou lourde. Cela sans compter la pollution de l’eau à cause des rejets de produits chimiques dans les espaces nautiques.
Parallèlement, les ménages et les touristes (cas du Maroc 36 millions d’habitants ajoutée à plus de 10 millions de visiteurs par an), consomment beaucoup d’eau . Les populations mondiales du Sud, sont souvent les premiers responsables de gestion irresponsable de l’eau et la mauvaise gouvernance lors de sa distribution aux citoyens.
L’or bleu élément du développement
L’eau est un acteur majeur du développement durable. C’est la raison pour laquelle, durant la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue à New York, en septembre 2023[2], M le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres a invité les Etats membres à participer au soutien des Objectifs de développement durable (ODD). Le 6ème ODD, se veut de garantirà tous, l’accès à l’eau, à l’assainissement et à assurer une gestion durable des ressources en eau. C’est un point crucial pour le continent africain.
L’eau facteur de puissance stratégique
L’eau, est considéré un moyen stratégique et tactique en défensive et en offensive. La stratégie et la géopolitique anglo-Saxonne construit sa puissance autour du facteur marine. Car ce dernier permet la maitrise des espaces géostratégiques, d’augmenter l’espace stratégique, de projeter les forces en sureté et de garantir le commerce international.
Les mers, les fleuves et les différents espaces aquatiques ont toujours constitué un moyen de passage et de traversée ou une ligne de défense coupant à l’ennemi sa liberté d’action et de circulation en sureté. Pour gagner les délais l’homme a choisi des routes maritimes en utilisant les détroits qui constituent des rentes stratégiques pour les pays qui les traversent. C’est le cas de Bab el Mandeb, Gibraltar, Pas-de-Calais, Béring, Bosphore, Ormuz et Malacca.
Aussi dans le même souci de réduire les charges dus au transport et faire le détour des continents, on a construit des canaux coupant la terre et la mer. C’est le cas du Canal de Suez et le canal de Panama qui constituent des verrous stratégiques. Même à l’intérieur des pays on trouve des canaux en interne, qui facilitent le déplacement des navires dans les fleuves et entre les mers et les fleuves.
Dans la même option, l’eau pourrait être utilisée comme moyen de défensive, qui limite l’accès aux envahisseurs. Le cas du Royaume Uni et du Japon constitués d’iles donne à ces Etats une ligne défensive. Pendant la deuxième guerre mondiale, l’armée Nazie ne voulait s’aventurer en mer, face à l’Angleterre, qu’après avoir tenté en vain ses bombardements par air. De même c’est les bombardements nucléaires des villes japonaises Nagasaki et Hiroshima, qui ont obligé l’empire du Soleil levant à récapituler.
Aussi en tant qu’arme offensive les Nazis ont détruit les digues, qui protégeaient les Pays Bas de la montée des eaux de la mer, sinon des Etats ont bombardé des barrages pour qu’il n’y ait plus de réserves en eau et pour garder le débit des fleuves. En Bosnie, à Sarajevo en 1992 et à Srebrenica en 1993, les populations ont été privées de la distribution de l’eau soit deux mois à Sarajevo[3]. En 2004, les responsables en Côte d’Ivoire ont voulu punir les rebelles et ont ordonné la coupure d’eau venant du barrage de la Loka à Bouaké deuxième ville en Côte d’Ivoire. Puis quelques jours après sous les pressions de l’ONU[4], on a renoncé à cette décision.
Ainsi l’analyse de plusieurs facteurs à travers les constats d’ordre général, basés sur d’autres éléments de la géographie économique et de la stratégie montrent bien la sensibilité de la géopolitique de l’eau qui présente des défis non négligeables, au niveau planétaire.Les défis analysés dans les différents constats vont en parallèle avec les enjeux des eaux dans la délimitation des frontières.
Les enjeux des eaux dans les tracés frontaliers
A l’origine se sont les écoles anglosaxonnes, de géopolitique et de stratégie, qui ont toujours défendu la puissance maritime. Le Royaume Uni, puis plus tard les EUA, et de plus en plus d’autres puissances ont compris l’intérêt de la géopolitique de l’eau , comme la Chine, la France, la Russie. Par le passé , lors des deux dernières guerres mondiales , le Japon et l’Allemagne accordèrent assez d’intérêts aux forces navales et à leurs infrastructures .L’intérêt de la géopolitique de l’eau pourrait se confirmer avec les litiges graves, liés au partage des espaces maritimes et des ressources en eau douces, qui pourraient surement se multiplier dans le proche avenir .Cela se justifie par la non reconnaissance des frontières héritées des périodes coloniales, des traités jugés injustes et à cause du détournement des fleuves, des rivières partagés entre les Etats.
A travers cette partie nous allons voir la géopolitique en tant que méthode est de retour pour influencer les prises des décisions. Ensuite, seront brièvement présentés à titre de frontière naturelle le partage naturel des continents puis les autres frontières naturelles comme les fleuves, les cours d’eau et les lacs.
Les outils de partage de la géopolitique de l’eau
Pour être en mesure de défendre les intérêts vitaux concernant la géopolitique de l’eau, les analystes dont la mission essentielle consiste à comprendre les intérêts stratégiques de leurs pays, doivent acquérir les méthodes d’analyse de cette discipline et être conscients des acteurs, des motivations, des intentions et des alliances mis en jeu.
De prime abord, les acteurs qui sont concernés directement ou indirectement par le foyer de tension, des fois c’est des voisins soit une puissance régionale ou internationale, soit tout simplement une multinationale .Dans le cas du fleuve du Nil c’est l’Egypte et le Soudan du nord qui se plaignent de la construction du barrage la renaissance en Ethiopie.
Ensuite, les motivations Concernant ce point, on doit déterminer les intérêts pour lesquels existe le conflit ou les tensions. Du coup, il peut s’agir de la rectification du tracé frontalier maritime ou tout simplement de l’exploitation d’un fleuve ou d’une source eau. L’Egypte, depuis les pharaons a toujours bénéficié des eaux du Nil et n’acceptera jamais de diminuer le débit. Car c’est une condition vitale pour son existence.
Aussi il faut analyser les intentions des antagonistes . Donc que veut faire les acteurs ? Partager l’eau du fleuve sujet de tension ? Comment le partager ? est-ce à part égale ? ou chercher une entente pour garder la stabilité ? Sinon continuer dans le statuquo hérité de l’histoire ? Dans tous les cas, il faut lire l’ intention de chacun, à travers les actions diplomatiques et les réunions au niveau bilatéral ou multilatéral et les manœuvres militaires sur les frontières, qui pourraient constituer soit une guerre psychologique ou un signe fort de préparation opérationnelle. Ce qui est probable c’est que L’Egypte montre à travers ses discours , et ses actions diplomatiques qu’elle est prête à engager la force pour garder son privilège antique.
Enfin, en terme d’analyse des faits, il faut suivre de prêt les alliances . On pourrait découvrir les alliance si les acteurs se constituent en pôle distinct. Sinon sur le terrain on peut relever le soutien des acteurs aux parties au conflit. Aussi, repérer les alliances en gestation ou, au contraire, les alliances en voie de déconstruction, que ce soit au niveau local, régional, continental ou international. L’Ethiopie compte sur Israël[5] depuis les années cinquante, sur la Chine qui a construit le barrage et sur les pays des grands lacs qui croient en sa cause. Par contre l’Egypte en plus de sa puissance militaire et son appartenance au à la Ligue Arabe, a comme premier allié le Soudan du Nord, qui malheureusement ,est devenu le maillon le plus faible de la région.
L’eau frontière naturelle des continents
Au niveau la planétaire, les océans et les mers occupent les trois quarts du globe et jouent un rôle important dans la séparation des espaces terrestres. L’eau a toujours été vecteur majeur du transport de l’énergie et des produits consommables par les navires, qui se déplacent dans les océans et les mers. L’Afrique, l’Amérique, l’Asie et l’Europe, apparaissent comme des grandes superficies de terre. Cependant l’Océanie est un ensemble d’iles.
Dans Pôle Sud, il y a un continent couvert en glace contrairement au Pôle Nord qui ne constitue qu’un océan glacial. Un tour d’horizon sur la planète, nous montre bien que l’eau qui l’englobe est à l’origine de plusieurs frontières naturelles soit le un tiers par rapport à d’autres tracés frontaliers comme principalement les mouvements de terrain. En fait, si les océans et les mers, sont souvent des traits de séparation entre les différents continents, ils sont aussi à l’origine de l’économie bleue, qui constitue une source importante d’alimentation de la population mondiale.
Ainsi la rareté de l’eau fait d’elle qu’elle soit convoitée en particulier par les puissances pour contrôler le commerce international et par nos sociétés, qui ne peuvent se développer sans cette matière stratégique remplissant les espaces aquatiques.
L’eau des fleuves, des cours d’eau et des lacs est un moyen de tracé frontalier entre les Etats :
Généralement, les frontières dans un fleuve ou un cours d’eau peuvent être classées selon deux catégories :
-Les rivières et cours d’eau non navigables : le tracé frontalier prend en considération la ligne médiane. Dans ce cas les Etats riverains ne peuvent pas partager le lit.
– Les fleuves ou rivières navigables : là le tracé frontalier correspond à la partie navigable du fleuve.
Dans le même sillage des océans et des mers, les fleuves, les différents cours d’eau et les lacs constituent des frontières naturelles reconnues entre les Etats par des accords ou des traités enregistrés[6]. Mais, des fois pour des raisons d’ambitions et de richesses les partages ne sont pas reconnus entre pays et certaines zones dans le monde vivent dans des tensions continues à cause de la maîtrise des espaces contenant de l’eau[7].
A l’instar de la mer Noire, qui s’est beaucoup rétrécie, on trouve qu’il y a 50 ans, la mer ou lac salé d’Aral partagé entre le Kazakhstan et d l’Ouzbékistan était le quatrième plus grand lac de la planète. Aujourd’hui, une partie du bassin est à sec. Le lac n’est plus alimenté par les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, aussi par les pluies et la fonte des neiges venant du massif Pamir.
Il existe cependant encore quelques différents historiques de partages frontaliers présentant des tracés originaux. Le Chatt el Arab[8] a été la raison principale, pendant les années 80, de la guerre sanglante de huit ans entre l’Irak et l’Iran. D’autres conflits pourraient surgir dans les différentes régions du monde.
A SUIVRE : dans le prochain numéro certains cas de tensions liées à l’eau dans le monde
[1] L’eau, existe en trois états physiques : solide, liquide et gazeux.
Les 98 % de l’eau présente sur terre est liquide dont 97,5 % salée dans les océans (inutilisable pour besoins hommes); Les 2,5 % restants : environ 74 % sont solides dans les glaciers et 26 % présents à l’état liquide dans les nappes souterraines, les lacs et les fleuves ; Les lacs couvrent 3 % de la superficie terrestre mondiale et contiennent environ 87 % de l’eau douce liquide de surface; Suite au réchauffement climatique, 53 % des plus grands lacs de la planète ont connu une baisse significative de leur stock d’eau sur la période allant de 1972 à 2020.
[2] Selon l’ONU, en 2023, un peu plus la moitié de la population mondiale, soit 4,2 milliards de personnes, manquent de services d’assainissement gérés de manière sûre. Près de 300 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies causées par le non traitement de l’eau et par le manque d’hygiène. Pour plus de détails visiter le site d’information de l’ONU.
[3] L’article 54 de la convention de Genève de 1977 interdit ses mesures.
[4] En tant que Chef logistique, conscient de la neutralité de ma mission dans un pays frère déchiré par une guerre intestinale, j’ai pris l’initiative d’harceler les responsables de l’eau à Abidjan pour ne pas utiliser l’eau comme moyen de guerre. Par la suite, on a ouvert le robinet.
[5] Israël a choisi au départ d’encercler l’Egypte au sud, depuis que les militaires ont pris le pouvoir. Parla suite l’Etat hébreu a compris l’intérêt stratégique d’avoir recours aux ressources en eau. Car le fleuve Jordan n’est pas suffisant et a aussi construit des usines de dessalement sur la Méditerranée.
[6] Le lac Tanganyika est entouré des quatre pays riverains à savoir le Burundi, la RDC, la Zambie et la Tanzanie. Les experts des pays riverains essaient de digitaliser leur frontière afin de matérialiser les points qui constituent la ligne médiane dans le lac Tanganyika.
[7] Avant son assassinat, le président Tchadien a menacé de pomper l’eau de ses voisins de la république centrafricaine. Car le lac de Tchad a connu une grande diminution en eau suite à la sècheresse, qui menace particulièrement l’élevage des bétails et les ménages. Il y a toujours possibilité de migration vers la république centrafricaine ou de tensions directes.
[8] Appelé aussi rivière des Arabes, suit la frontière Iran-Iraq sur 90 km. A toujours une frontière politique, historique et culturelle entre les deux Etats riverains.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.