Par Nicaise Kibel’Bel Oka

Trente années depuis que l’est de la République démocratique du Congo est en proie à des violences et violations des droits humains qui ont fait au bas mot près de 10 millions de morts. Cette guerre comporte quelque chose de particulier et qui revient régulièrement lors de son lancement et lors de son arrêt momentané. En effet, depuis 1996, la guerre à l’est du Congo commence par une revendication armée des Tutsi qui seront rejoints par des Congolais d’autres communautés ethniques pour le dialogue qui aboutit au partage des postes dans les services de l’État et dans les forces de défense et de sécurité. 

Trois à quatre années après ce semblant de paix, une autre rébellion surgit avec les mêmes revendications et les mêmes acteurs sinon de la même communauté ethnique. Ils sont encore rejoints par des Congolais d’autres ethnies. 

Il en est de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération (AFDL) en 1996, du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) en 1998, du Congrès national pour la Défense du peuple (CNDP) en 2006 tout comme du Mouvement du 23 mars (M23) 1 en 2012 et 2 en 2021. 

Toutes les rébellions qui sévissent à l’est du Congo suivent le même schéma unique et obtiennent le soutien politique et militaire du Rwanda. 

Les rébellions rwandaises au Kivu sur quelle idéologie ?

La question qui conduit cette réflexion repose sur la dimension idéologique de toutes ces rébellions rwandaises au  Kivu. Les militaires congolais, parmi lesquels ceux qui rejoignent les rébellions avant de revenir servir sous le drapeau congolais, doivent savoir pourquoi on se bat, pourquoi on combat au-delà de la mission régalienne d’une armée nationale. Bref, pourquoi ils portent l’uniforme et servent sous le drapeau.

Savoir le pourquoi de ces guerres à répétition est important pour déterminer si toutes ces guerres ne sont finalement pas que de moyen que se donne la politique pour tenter de mettre fin aux conflits qu’on n’arrive pas à régler par la diplomatie. Encore que la guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens (Clausewitz). Que le Rwanda réclame la révision des frontières ou qu’il se fasse l’avocat des populations congolaises d’expression kinyarwanda (excluant les Hutu), il n’est un secret pour personne que le régime FPR mène une guerre hégémonique et expansionniste sur le faux prétexte de protéger une minorité en voie d’extermination.

Nous sommes convaincu que de l’établissement du bon diagnostic dépendent non seulement le choix des armes et la détermination du but politique mais surtout il permet d’éviter de retomber dans les mêmes erreurs toutes les cinq années voilà trente ans. Comme il est clair que les entrevues diplomatiques où l’on traine les autorités congolaises obéissent à la stratégie de temporisation et de pourrissement.  

De la dimension idéologique de cette guerre

Il est impensable que des Congolais puissent trente années après continuer de croire que cette guerre relève d’un problème interne aux Congolais. Curieusement, c’est cette démarche engagée par les deux Églises les plus instruites du Congo, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC). Les princes de ces deux églises donnent l’impression d’étouffer cette quête de la vérité même alors que trois Archevêques métropolitains de Bukavu sont morts, l’un assassiné et les deux autres d’étouffement aux allures d’un empoisonnement bien calculé mais aussi les diocèses du Kivu ont perdu de nombreux prêtres à cause de leurs positions pastorales sur cette guerre. Ceux qui croient dur comme fer que la guerre de l’est de la RDC repose sur le pillage des ressources naturelles que regorge ce pays n’ont pas tort dès lors que toute guerre a un soubassement économique. 

Mais le pillage seul ne suffit pas à comprendre la nature de cette guerre. Pourquoi doit-elle reposer sur les revendications identitaires d’une seule et même communauté ethnique qui prétexte sa prétendue extermination sur un certain discours de haine ? Et ce, depuis trente années. Pourquoi la communauté internationale a-t-elle accepté cette carte des « Bons » dans une seule communauté et des « Méchants » dans les autres communautés ? 

Anticiper, innover et surprendre

La guerre est un « duel de volontés » où le facteur moral joue un rôle essentiel (Clausewitz).

Le moral d’une troupe reste déterminant. C’est ce qu’il explique la visite de réarmement moral des troupes sur la ligne de front effectuée par le Chef d’état-major général adjoint des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) en charge des opérations et renseignements, le lieutenant-général Jacques Ichaligonza Nduru : « A Kinshasa, on vous appelle des « héros ». Vous avez bravé la peur et avez défendu la ville de Goma durant quatre jours. Les combats peuvent arriver même à 50 kilomètres de la capitale, ce que nous ne pouvons pas permettre, et les braves soldats résistent jusqu’à chasser l’ennemi. Comme aujourd’hui nous sommes retournés à Walikale. La guerre, c’est la guerre. La bataille, ce sont des combats et la somme de batailles fait la guerre. Vous qui venez du front, avez de l’expérience, ne perdez pas espoir. Nous allons vite rebondir pour récupérer l’intégrité du territoire national ». 

Le général adressait ce message aux hommes de troupe parmi les soldats qui ont combattu dans la ville de Goma et qui ont refusé par patriotisme de subir l’opprobre en se rendant à l’ennemi. 

Trente années après avec le même ennemi et les mêmes revendications, la répétition des affrontements militaires doit être une source réelle d’apprentissage et d’adaptation pour les Forces armées de la RDC. Bien plus, la débâcle de Goma doit alerter sur la nécessité d’un changement de commandement militaire parce qu’elle exige de revoir de fond en comble le choix stratégique et non pas se contenter des ruses de la diplomatie. 

La révision du choix stratégique s’impose parce qu’il y a eu une sorte de circulation des savoirs militaires (commandement, méthodes de combat) notamment avec les militaires FARDC qui se sont rendus à l’ennemi. La réplique tactique exige d’abord l’anticipation pour éviter des attaques surprises. L’histoire de la guerre nous apprend qu’Hannibal a utilisé le repli stratégique pour donner le sentiment que l’on n’est pas prêt à livrer bataille. Ce qui avait été vu comme une manifestation de la peur alors qu’il s’agissait d’une ruse. Pourvu que cela soit effectivement une stratégie. Les qualités d’un stratège reposent sur l’anticipation, l’adaptation et la discrétion. 

Là où les médias internationaux présentent, d’une part, l’ennemi ivre de combat et pressé de prendre Kisangani puis Kinshasa et les FARDC qui reculent en évitant l’épreuve de feu pour protéger la population (cas de Bukavu), il faut travailler la psychologie de l’ennemi à la manœuvre, avec le renseignement et l’action psychologique et arriver à ce que le combat tourne à l’avantage de l’armée loyaliste. 

Le principe d’autocorrection

Comme dans la Rome antique, il est nécessaire d’ériger le principe d’autocorrection en stratégie de conquête. Savoir se relever de l’échec militaire. Et pour vaincre l’ennemi, il faut d’abord bien le connaître. Ce qui permet de s’adapter aux transformations de la guerre et aux stratégies déployées par l’ennemi. Surtout que le meilleur exemple de stratégie de guerre qui soit reste celle apprise à l’école de l’ennemi. 

Mais il faut avoir une capacité à analyser les échecs qui conduit à se distinguer par la capacité à anticiper, à innover et à surprendre. Parce que dans une guerre, l’occasion, on ne la saisit pas, on doit la provoquer. La guerre du temps présent est une guerre tous contre tous (Clausewitz) exigeant d’utiliser tous les moyens à sa portée notamment les agents doubles, les infiltrés dont les jolies femmes pour séduire. Car, surprendre l’ennemi suppose d’avoir déjà pris l’avantage sur lui, militairement et surtout moralement.  

Après la chute de Goma et de Bukavu, l’auditorat militaire a ouvert un procès contre les cinq généraux des Forces armées et de la Police nationale de la RDC pour lâcheté entraînant la fuite devant l’ennemi et l’abandon des positions militaires, des blessés et de l’équipement. 

Rester sur ces infractions peut ne peut constituer une bonne manière d’aider l’armée et le Congo.  Pourquoi ne pas penser à poursuivre des généraux qui ont abandonné la ligne de front pour incompétence stratégique ?

Conclusion 

La République démocratique du Congo doit, si elle veut résister à l’histoire et ne pas disparaître, survivre aux crises actuelles. La meilleure façon pour son peuple, c’est de se sentir appartenir à cette nation convoitée et de se constituer une armée forte, républicaine qui résiste aux menaces actuelles et à venir. Comme l’écrit Jacques Attali : « Une nation se défait quand elle n’a plus les moyens militaires (ou la volonté) de se défendre ; quand ceux qui la peuplent ne trouvent plus intérêt à être ensemble ou à être forcés de vivre ensemble ». Or, le Congo est un et indivisible par cette fierté d’être congolais et d’appartenir à la nation congolaise. 

Nicaise Kibel’Bel Oka 

Journaliste d’investigation et écrivain

Directeur du Centre d’Étude et de Recherche Géopolitique de l’est du Congo (C.E.R.G.E.C)

Goma, Nord-Kivu. RDC