Le Soudan du Sud, Partie-2-
Nous avons vu dans l’article précédent comment les Britanniques ont jeté les bases de la création d’un nouvel Etat, le Soudan du Sud, encourageant les missionnaires à christianiser librement alors qu’au Nord, le prosélytisme islamique était combattu par tous les moyens, ouvrant la porte sur un projet séparatiste qui n’allait pas tarder à se faire entendre et intéresser l’opinion internationale à nos jours.
Nous avons vu aussi qu’avant l’indépendance du Soudan, musulmans, Chrétiens et animistes du Sud se battaient tous pour un Soudan unifié rêvant d’une justice égalitaire. Cependant, en 1954, soit deux ans avant l’indépendance, les relations entre Khartoum et le Sud se sont détériorées. En 1955, la lutte pour se séparer du Nord a commencé.
Dans cet article, nous verrons comment, d’une part, le coup d’Etat militaire de 1989, le premier d’une série, qui a porté les militaires à gouverner le pays d’une main de fer, et, d’une autre part, l’adoption d’un Islam rigoureux par Khartoum, étaient les ingrédients nécessaires pour exacerber cette volonté des sudistes et considérer leur indépendance une « justa causa ».
Entre 1958 et 1964, le régime militaire du Général Ibrahim Abboud est devenu le seul maître du pays. À cause de ses décisions impopulaires dans la gestion des affaires de l’Etat, il va non seulement aiguiser la méfiance des sudistes mais aussi perdre la sympathie des soudanais du nord. Un mouvement armé « Anya-Nya », dirigé par Joseph Lagu, devenu organisé en 1963, réclame l’indépendance totale du Sud.
En effet, mis à part un apaisement avec les égyptiens au prix de terrains perdus en faveur de l’extension du barrage d’Assoaun, aucune politique pouvant créer les conditions d’un développement économique et social n’a été adoptée. En plus, le régime militaire va instaurer des mesures impopulaires vis-à-vis des habitants du Sud de confession chrétienne ou animistes : jour du repos hebdomadaire le Vendredi, interdiction pour les chrétiens d’ouvrir des écoles et, en 1964, les missionnaires sont expulsés du pays.
En 1964, suite à un soulèvement populaire et une grève générale (Thawrat Octobar), le régime militaire a été renversé. La période 1964-1969 va connaître une lutte pour le pouvoir au Nord, conduisant Sadiq Al-Mahdi au poste de premier ministre. Cette période va connaître aussi une intensification des combats entre forces gouvernementales et rebelles au Sud.
Par sa vision de l’Islam qui se veut civilisatrice, Sadiq Al- Mahdi, malgré son ouverture (car il venait de rentrer d’Oxford où il poursuivait ses études), va poursuivre une politique d’islamisation du Sud, ce qui va enclencher une vague de mécontentement des sudistes à son encontre, ajoutée à une diatribe des libéraux au Nord. Ces derniers sont déçus de son manque de rigueur. Mis en minorité au Parlement, il perd son poste de premier ministre en faveur de son prédécesseur.
En 1965, nordistes et sudistes vont se rencontrer pour négocier. Les points de vue exprimés sont totalement divergents. En effet, les nordistes rejettent la situation sur les anglais et les missionnaires alors que les sudistes maintiennent l’idée de leur indépendance et veulent se prononcer par referendum pour une union, une fédération, ou une indépendance. En 1968, les élections ont ramené le DUP (Democratic Unionist Party) au pouvoir. Cependant, l’absence d’une majorité confortable, le manque d’un programme économique clair mais surtout le flou entourant la guerre au Sud étaient les mobiles ayant préparé le terrain pour un second coup d’Etat qui ramena le colonel Jaafar Al Nimeiry au pouvoir le 25 mai 1969.
Au début, Al Nimeiry va adopter des mesures démocratiques et mener une politique de nationalisation. Gouvernant d’une main de fer sur le Soudan, il envisageait une union tripartite avec la Libye de Kadhafi et l’Égypte de Nasser. Le 19 juillet 1971, suite à un putsch raté attribué au parti communiste, il va procéder à la purge de ce parti.
Débarrassé des communistes, Nimeiry tente vainement au début de se rapprocher des traditionnalistes de l’Oumma avant d’entamer une répression militaire à leur encontre. À son tour, il va imposer la Charia et encourager l’islamisation des institutions et de la société y compris au Sud. Alors qu’au Nord, les politiciens rêvent d’un Soudan uni au sein d’un Moyen-Orient islamique, au Sud, par contre, la rébellion s’intensifie et reçoit l’aide de l’Éthiopie, de l’Ouganda et d’Israël. En 1972, les accords d’Addis Abeba, accordent aux sudistes leur autonomie régionale.
De fait, durant les années qui suivent, après trois tentatives ratées de coups d’Etat dont il était victime, Al Nimeiry devient plus préoccupé par le maintien à son poste que par l’avenir du Soudan et encore moins par la crise au Sud. Sur le plan politique, il est devenu isolé. Sur le plan économique, l’inflation et le manque d’austérité ont atteint un record ankylosant ce pays au point que le FMI et la Banque mondiale en 1981 ont suspendu toute initiative en sa faveur.
Dans une tentative vaine de trouver une solution exutoire pour le Sud, il le divise en trois régions pour affaiblir la résistance et prévenir la formation d’un front sudiste uni. D’un autre côté, il nomme Hassan Al- Tourabi procureur général. Ce dernier applique la Charia sur tout le Soudan.
La crise économique, la guerre au Sud et le mécontentement populaire ont précipité la chute du régime. Al Nimeiry se réfugie en Egypte. De 1985 à 1989, un bref retour de la démocratie donnait une lueur d’espoir pour résoudre toutes les crises au Soudan y compris le conflit au sud. Paradoxalement, ce retour fut initié par un militaire (le Général Suwar al-Dahab) et poursuivi par des islamistes (Sadiq Al Mahdi- Mirghani et Tourabi). Ce fut très bref et un retour des militaires s’annonçait éminent.
Ainsi, la période de 1989 à 2011, va connaître la vicissitude de plusieurs événements qui ont abouti, au grand dam du gouvernement de Khartoum, à la naissance du Soudan du Sud le 04 janvier 2011 suite à un référendum.
Le 30 juin 1989, par un coup d’Etat militaire, le colonel Omar Hassan el- Bechir va prendre le pouvoir. Il prête allégeance au parti islamiste de Hassan al- Tourabi qui invite Oussama Ben Laden au Soudan et appelle ses fidèles au Jihad dans le Sud.
Ainsi, le Soudan est inscrit dans la liste des pays encourageant le terrorisme mais sous la pression occidentale, surtout américaine, Ben Laden est expulsé en 1996 et Hassan Al Tourabi est écarté en 1999. Au Sud, l’opposition est rongée par une lutte fratricide entre Riek Machar et le SPLA de John Garang.
En juillet 2002, le protocole de Machakos pose les principes d’un accord de paix. Des négociations avec la médiation kényane aboutissent à la signature du Comprehensive Peace Agreement (CPA) le 09 janvier 2005. Le jeune gouvernement devait faire face à la rébellion à l’Est et au Darfour dont les combats générèrent des milliers de morts et des millions de déplacés.
Le 09 juillet 2011, l’indépendance du Sud est proclamée après trente ans de guerre civile.
Ainsi, nous pouvons conclure que la naissance de ce pays n’était pas un processus normal issu d’un héritage institutionnel. C’est plutôt l’œuvre d’une volonté étrangère (britannique et égyptienne) associée à une faiblesse de l’Etat central.
Aujourd’hui, le Soudan du Sud est sans aucun doute l’Etat le plus fragile en Afrique, voire au monde. La guerre civile dont il a été le théâtre a fragilisé ses performances et les indicateurs politiques, sécuritaires, économiques et sociales sont alarmants. Une identité nationale faible, une violence ethnique, une gouvernance fondée sur le clientélisme, une personnification du pouvoir et une absence d’un réel leadership, ajoutées à l’ingérence étrangère, sont des facteurs parmi d’autres, qui constituent une entrave pour dégager ce pays de son gouffre.
A notre grand regret, il n’est pas le seul pays de la Corne de l’Afrique à se trouver dans le rouge, nous aborderons le cas de la Somalie dans le prochain numéro.
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.