L’antiquité grecque est riche en théorie politique par rapport à l’Empire Romain considéré beaucoup plus actionnaire et occupé par l’expansionnisme et les évasions. De même jusqu’à nos jours l’occident continue de se référer en matière de stratégie à Jomini ou à Clausewitz.
En s’ouvrant sur le monde l’Empire du Milieu a démontré qu’il a depuis longtemps développé la science de stratégie, qui a durant des siècles encouragé la sagesse dans la prise des décisions, à l’instar des arts martiaux qu’on utilise qu’au dernier recours pour se défendre. La Chine est en avance dans la culture de la stratégie, en tant que discipline, et nul n’ignore les treize articles de Sun Su[1] et Sun Bin[2], considéré son petit-fils, qui à son tour rédigé un traité de guerre .
Autrefois dans le langage courant souvent les gens utilisaient l’adage qui stipulait que : « Quand la Chine s’éveillera le monde tremblera » pour rappeler l’émergence probable de ce pays. Effectivement en quelques décennies cet Etat communiste longtemps sous-estimé par son entourage et par l’occident, marqua son entée par la grande porte dans, dans l’histoire humaine.
La Chine prétendant à faire valoir ses droits d’hyper puissance et mettre fin au monde unipolaire, veut le confirmer autre qu’économiquement. D’ailleurs, l’Amiral Harry Harris a signalé, le 14 février 2018, à la commission des Forces armées de la Chambre des représentants, la montée en puissance militaire chinoise, qui pourrait dans un proche futur, rivaliser avec les forces américaines.
L’histoire de coopération en matière d’armement pourrait se répéter avec la Russie comme avec l’ex-URSS. Elle permettrait aux chinois de gagner les délais de renforcement de leur potentiel militaire, qui est en montée de puissance, et aussi d’activer la disparition du monde unipolaire imposé par les américains depuis la fin du XXème siècle. La Chine a intérêt de voir dans la Russie un allié sûr et fort.
Sans demander les chiffres officiels, le budget militaire chinois[3]n’a fait qu’augmenter ces dernières années, soit en 2018 la somme de171 milliards de dollars(MM$) puis 181en 2019 pour atteindre selon les 166 (MM$). D’autres sources confidentielles vont, jusqu’à signaler un budget galopant de la valeur de 235 (MM$)pendant l’année 2020.Dans tous les cas, il ne faut pas sous-évaluer ni le silence chinois ni son industrie de défense, qui va lentement et surement[4].
Dans quelques décennies la Chine pourrait devenir une superpuissance capable de se projeter partout dans la planète et dans l’espace. La Chine consciente de l’intérêt de la puissance maritime, a commencé par acheter des anciens portes avions. Il s’agit du portes avions Melbourne acheté de l’Australie en 1985, l’ex Vayrac acquis de l’Ukraine en 1997 et les ex-Kiev et Minsk d’origine soviétiques. Pour plus de précision, il incombe de faire une appréciation approximative et objective du grand nombre de fabriques des matériels majeurs militaires, utilisées par les composantes de l’armée populaire ou vendus à l’extérieur.
La Chine est devenue un grand fabricant de matériel militaire tout genre y compris ceux exigeant la technologie de pointe et l’intelligence artificielle. La main d’œuvre chinoise est qualifiée, abondante et moins chère. Il ne faut pas oublier que ce budget est le deuxième après les EUA, qui incluent dans leur dépense et budget, en plus de la multitude des fronts ouverts au Moyen-Orient et dans d’autres régions du monde, des sommes importantes affectés à la coopération militaire internationale.
Le recours à la fabrication de destroyers ou croiseurs de type 052 et 055, des sous-marins S26T qui pourraient protéger la zone exclusive économique ou accompagner le ou les portes avions chinois dans leur future projection de force, confirme la volonté politique d’engagement pour le développement technologique de l’armée populaire chinoise.
Ceci se confirme par la fabrication de chars de combat, de drones d’une grande autonomie, de missiles d’artillerie stratégique ou à autres usages, qui ont fait leurs preuves et de l’avion bombardier furtif le Hong 20 arrivé au stade, d’essai final. Le reste du monde oublie que les chinois sont disciplinés, parlent moins et travaillent plus, sans rappeler aussi que le système politique veille sur la discrétion. Les surprises militaires de leur part ne sont pas écartables particulièrement dans le domaine des missiles hypersoniques, l’intelligence artificielle et le recours au laser.
Si ça se confirme en 2020, que la Chine a fait des essais nucléaires, c’est un indice apparent qu’elle ne reconnait plus la supériorité américaine dans le monde. Le Traité sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI) signé en 1987, entre l’ex URSS et les EUA ne concerne pas la Chine, qui développe depuis plusieurs années cette catégorie d’armement. C’est une façon de prouver en plus de la dissuasion nucléaire qu’elle est capable d’ignorer la législation internationale en la matière sans se soucier du gendarme du monde[5] .Si La Chine et les EUA doivent faire recours à un traité sur le FNI et n’ont pas intérêt à s’affronter, il en demeure que le président Trump vient d’annuler celui ratifié avec l’ex-URSS le 1er juin 1986.
Le «Washington Post» a publié le 01 juillet 2021, un article alarmant sur le développement des capacités chinoises qui sont en cours de construction, soit 119 silos pour des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Le journal prend comme référence, les recherches d’experts du Centre d’études « James Martin Center for Non- prolifération Studies » basé à Monterey, en Californie. Les dites constructions sont faites dans la province de Gansu, au désert nord-ouest de la ville de Yumen, L’administration américaine inquiétée par ces informations, suppose que la montée en puissance de l’arsenal nucléaire chinois gagne du terrain.
Appelée à se protéger par une montée en puissance militaire et habituée aux ingérences occidentales, la Chine a pu créer, face aux critiques internationales, un champ fort de résilience, depuis la tragédie estudiantine de juin 1989 sur la place Tiananmen et aussi lors des incidents récents de 2019 à Hong-Kong. En agissant souvent avec indifférence et en privilégiant le volet économique, sa coopération et ses marchés en Asie et en Afrique ne cessent de progresser en pas de géant. Des fois elle prend le rôle des bailleurs de fonds internationaux pour prêter l’argent aux Etats du Sud. D’ailleurs, dans certains pays ,les bureaux de conseillers économiques à l’étranger sont souvent plus grands que ceux des ambassadeurs.
L’administration chinoise est consciente plus que jamais que le retour à la route de la soie accompagné d’une montée en puissance durable de l’économie, a besoin d’une étude géopolitique continentale et maritime. Ceci se traduit par ses relations avec son voisinage du continent asiatique et la préservation de ses frontières terrestres. De même un contrôle permanant de l’espace maritime au niveau façade ou littoral et une protection garantie de ses navires de transport dans les routes maritimes internationales.
Pour confirmer son intention de devenir hyperpuissance et protéger ses intérêts vitaux, elle a besoin de projeter ses forces très loin de ses frontières dans un moindre délai. Au 21ème siècle comme dans le passé, pour une puissance, la maitrise des routes maritimes avec les moyens adéquats et les infrastructures portuaires constituent un intérêt stratégique déterminant.
Les sorties en mer des navires militaires chinois rappellent à l’ordre, par la montée de sa puissance maritime, tout le voisinage avec qui elle a des litiges frontaliers maritimes, y compris les navires non asiatiques qui sont de passage. Ainsi, par sa présence durable et permanente, la Chine pourrait protéger, ses ports, ses marchandises et toute sorte d’intérêt qu’elle convoitise en mer.
Avec la construction de bases logistiques en Asie et en Afrique[6] , des destroyers, des sous-marins et des portes avions suffisants, elle pourrait intervenir dans n’importe quel point du globe, à l’instar des EUA puis protéger ses intérêts dans le monde. Elle pourrait avec le temps non seulement s’imposer régionalement, mais intégrer carrément Taiwan sous sa souveraineté. Car, dans les coulisses les chinois voient que c’est une injustice historique le partage de l’Empire du Milieu en deux . Dans leurs discours officiels, ils se référent souvent à l’humiliation qu’ils ont subi au milieu du 18 -ème et au début du 19 siècle .
La mer de Chine méridionale, continue d’être le théâtre de démonstration de forces. Ainsi, pendant le mois de décembre 2020, un porte-avions chinois a utilisé le détroit de Taïwan, pour marquer sa présence et démontrer sa puissance navale. Sur le champ les EUA ont réagi face à ladite provocation en envoyant des bâtiments de guerre dont le célèbre porte-avions USS Theodore Roosevelt , et d’autres destroyers. De ce fait, le passage répété en 2020,des navires de guerre chinois à côté de Taiwan, les manœuvres terrestres de préparation d’envahissement de l’ile et encore une fois la violation au début de l’an 2021 de l’espace taiwanais par les forces aériennes chinoises (bombardiers et chasseurs) constituent un indice très probable de tentions futures dans la région.
Il est très possible que la Chine prépare l’annexion tout d’abord de Taiwan, avant de se pencher sur les différents litiges territoriaux avec les autres pays du voisinage. D’ailleurs dans juste quelques années avec ses portes avions, ses sous-marins, ses forces aériennes en cours de construction et de renforcement la Chine aura son mot à dire en tant que superpuissance capable de projeter ses forces au niveau planétaire.
L’exercice naval planifié par la Chine avec la Russie et l’Iran au nord de l’océan indien , qui est une région stratégique pour toutes les puissances mondiales , constitue dans le cadre de ses dispositifs militaires en étranger, un indicateur géopolitique de puissance maritime et de projection de force, loin de la mer de Chine et face aux occidentaux, particulièrement américains.
Les manœuvres de simulation des chasseurs et bombardiers chinois, qui ciblaient le porte-avions américain Theodore Roosevelt, à proximité de la zone de défense aérienne de Taïwan est probablement une manière ouverte de réclamer la souveraineté chinoise sur Taiwan. Une simulation pareille a été exécutée par les américains sur Pearl Harbour avant la deuxième guerre mondiale[7] et reprise plus tard par les forces japonaises afin de détruire toutes les capacités militaires dans l’ile attaquée. C’était une réussite pour l’empire du soleil et a coûté cher aux forces américaines.
L’histoire pourrait se répéter au début du troisième millénaire et accorderait probablement un retour éminent de la Chine sur la scène internationale. Un incident militaire minime ou grand entre les EUA dans la mer de Chine n’est pas à écarter. Cela permettrait à l’empire du milieu d’asseoir son autorité non seulement sur Taiwan, mais sur tout le sous-continent, puis serait reconnu comme deuxième superpuissance dans le monde. D’ailleurs, plusieurs observateurs avisés attendent le jour où la Chine réalisera sa première ambition en récupérant s’il le faut par la force, l’ile de Taiwan.
Devant le sénat américain, l’Amiral Philip Davidson, Chef du commandement militaire indopacifique a raison de signaler[8] : « je crains qu’ils ne veuillent atteindre leur objectif plus tôt que prévu. ».Il a encore continué en signalant : « il est clair que Taiwan fait partie de leurs ambitions et je pense que la menace est évidente dans la décennie qui vient, en fait au cours des six prochaines années ». Selon ses estimations ça pourrait arriver en 2027.Donc, ces déclarations vont dans le même sens, avec ceux de l’Amiral Harry Harris.
Avec la montée rapide en puissance des forces armées communistes chinoises et si jamais les EUA se hasardent dans une guerre en Mer de Chine pour protéger Taiwan ou l’un de ses alliés traditionnels, ils ne seront pas surement vainqueurs. Les chinois sont près de leurs frontières, ils connaissent mieux le milieu continental voisin que les américains et la logistique serait moins payantes, par rapport aux autres, qui devraient en plus de la protection de leurs bases et flottes du pacifique, déplacer d’autres armées du pays et assurer leur entretien. Normalement, tous les Etats du monde, y compris les puissances occidentales, sont conscients du retour de la Chine et de son intention de récupérer ses territoires, longtemps revendiqués, particulièrement Taiwan.
L’Empire du Milieu est surpeuplé et sa croissance économique est florissante par rapport à la majorité des pays développés. Par contre, les EUA dont l’économie est en crise, n’ont pas intérêt à ouvrir un front au pacifique et ils vont le payer très cher de leur finance, à l’instar des guerres précédentes. Le gouvernement communiste et ses populations croient en la récupération des espaces amputés auparavant soit au 18 ou au 19ème siècle. Ils vont continuer à considérer Taiwan et les iles qui sont objets de litiges avec le Japon, comme provinces chinoises.
Une fois ses premiers objectifs réalisés, il est probable, que la Chine commencerait à protéger sa diaspora en mer de Chine et partout dans le monde (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Cambodge, Malaisie… et sans oublier la diaspora en occident).Il faut s’attendre à l’instar des exemples des puissances anciennes, que la montée en puissance des différentes composantes militaires chinoises, lui permettraient de défendre ses intérêts partout dans le globe.
En décryptant dans l’immédiat, la géopolitique continentale et maritime chinoise on se rend compte, qu’elles ne sont pas encore prêtes à se convertir en stratégie et géostratégie capables de modifier les espaces. Le risque à courir n’est pas minime. Mais les chinois sont prêts à parier.
Il faut encore un peu de temps pour augmenter les capacités opérationnelles des différentes composantes de l’armée chinoise, en vue de passer à l’acte de récupération des espaces contestées, par la force. Les alliances de la région, à leur tête l’Inde et le Japon, sont généralement en faveur des EUA, qui donnent de l’assurance à la majorité des Etats en litige frontalier avec la Chine.
La présence des navires de guerre des États-Unis, de la VIIème flotte, pendant les deux premières semaines de février( le 09 et le 17 février 2020), suite à l’opération de liberté de navigation « FONOP »[9] , en mer de Chine méridionale, zone contestée par la Chine , n’est que la confirmation des déclarations des nouveaux locataires de la maison blanche , voulant garder le statu quo et faire face à toute tentative militaire chinoise visant la rectification du tracé existant, des frontières terrestres et maritimes.
Considérée usine du monde et possédant la manne financière nécessaire, la Chine pourrait dans un futur proche développer un très important arsenal militaire, non pas seulement des armes nucléaires, mais au lieu de trois , dont un en cours de construction, plusieurs portes avions [10], vont lui procurer assez de capacités et de dynamique, en vue d’assurer une meilleure projection de force à travers le monde et une protection adéquate de ses intérêts vitaux.
Dans un avenir très proche la Chine assurera la dissuasion nucléaire grâce à ses sous-marins et la montée en puissance de ses porte-avions. Sa maitrise des mers, une fois acquise, au-delà de ses frontières lui permettra de partager avec les EUA, le contrôle des importantes voies de communications maritimes et par la même occasion confirmer sa projection de force au niveau planétaire. Néanmoins avant de se projeter, l’Empire du Milieu, qui n’a pas un espace maritime suffisant en mer de Chine, pour permettre la libre circulation de ses flottes commerciales et militaires, a intérêt à récupérer Taiwan et régler ses litiges d’espace maritime avec ses voisins.
En attendant, la Chine a installé des militaires dans certains îlots, objet de conflits, dont ceux de Philippines, et a entamé son plan préliminaire de projection de forces, qui est en cours, en vue d’ établir des bases navales en plus de Djibouti, au Sri Lanka, au Pakistan et prochainement dans d’autres territoires africains.
[1] Ou bien Sun Zu selon les écritures est un général qui a vécu 500 ans avant Jésus Christ et devenu très célèbre par son livre l’art de la guerre.
[2] Livre découvert dans une tombe en 1972
[3] Voir page 259 de la revue de défense Military Balance édition 2020.
[4] Lire page 44 et 45 de la Revue Défense Nationale de mars 2017 N°798.
[5] Lire article intéressant de Laurent LAGNEAU du 16 février 2018 intitulé « un amiral américain estime que la puissance militaire chinoise pourrait bientôt égaler celle des États-Unis » sur : http://www.opex360.com/2018/02/16/amiral-americain-estime-puissance-militaire-chinoise-pourrait-bientot-egaler-celle-etats-unis/
[6]Après avoir inauguré sa première base outre-mer à Djibouti à l’été 2017, la Chine envisage de construire d’autres bases terrestre et maritime en Afrique probablement (au Kenya, Tanzanie et autres) et en Asie (en Afghanistan, Pakistan et autres).La diplomatie chinoise et les Etats concernés n’ont pas approuvé ces informations. Mais, logiquement pour protéger son grand projet de route de la soie, la Chine est obligée de recourir aux bases logistiques et à l’instar des puissances traditionnelles, pourquoi pas ses forces armées dans différents continents. La politique « gagnant-gagnant » lui a valu la confiance de plusieurs Etats africains et la Chine est devenue le premier investisseur en Afrique.
[7] A titre de rappel, les américains doivent comprendre que l’histoire de simulation de guerre pourrait se répéter. Car, pour se préparer à l’expansionnisme japonais en mer de Chine et au pacifique, une simulation pareille a été exécutée, le 7 février 1932, par les américains sur Pearl-Harbour avant la deuxième guerre mondiale. Le porte avion américain a profité de la brume pour s’approcher des côtes pourtant ce n’était pas permis. Au cours de l’exercice de simulation les avions ont infligé une grande perte à la base américaine du port des perles. Les japonais ont pris note du retour d’expérience de l’exercice de simulation. Plus tard, l’amiral Sodoku Yamamoto a appliqué le même plan opérationnel, lors de l’attaque du 7 décembre 1941 sur Pearl-Harbour.
[8] Lire article de l’Agence France presse publié le 09 mars 2021 à 14hr37, visité le 12/03/2021 à 10hr 40 sur opr.news/2e6ea5a6210309fr_ma ?link=1
[9] Auparavant dans le cadre de cette action Freedom of Navigation Operation (FONOP), 3 destroyers lance-missile, l’USS Lassen, le 27 octobre 2015, l’USS Curtis Wilbur, le 30 janvier 2016, et l’USS William P. Lawrence, le 10 mai 2016, ont traversé respectivement moins non loin les récifs Subi de l’île Triton et Fiery Cross.
[10] Les deux premiers porte-avions le Liaoning et le Shandong sont déjà opérationnels par contre un troisième ne va pas tarder à être prêt.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.