Depuis la fin de la guerre froide, deux changements fondamentaux ont influencé la communauté internationale dans sa manière de concevoir la paix et la sécurité. Tout d’abord, les acteurs de conflits se sont largement diversifiés et comprennent désormais des entités non Etatiques. La sécurité ne se conçoit plus uniquement en termes de menaces militaires venant de pays agresseurs. Dans le monde actuel, la faillite de l’Etat et la guerre civile dans les pays en développement font partie des principaux risques pesant sur la paix mondiale. Des pays dévastés par la guerre servent de refuge et de terrain de recrutement à des réseaux terroristes internationaux, au crime organisé et aux trafiquants de drogue, et l’afflux de dizaines de millions de réfugiés traversant les frontières créent des tensions supplémentaires au sein des communautés hôtes. L’instabilité a aussi des effets en cascade liés aux incursions transfrontalières des groupes rebelles, ce qui perturbe le commerce, le tourisme et les investissements internationaux
Des lors, l’établissement de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies en Côte d’Ivoire constitue une excellente occasion de régler de manière définitive le conflit ivoirien. Carolyn Mc Askie, l’ancienne Sous-secrétaire générale des Nations Unies à l’Appui à la consolidation de la paix, l’a clairement reconnu en 2007 lorsqu’elle a déclaré « là où l’exploitation des ressources a alimenté la guerre, ou a fait obstacle à la paix, le renforcement de la capacité des administrations de contrôler les ressources naturelles est un élément essentiel de la consolidation de la paix. »[1]
Le processus de consolidation de la paix en Côte d’Ivoire visait la restauration de l’autorité de l’Etat. Par ailleurs, il convient de souligner que le processus de consolidation de la paix doit appréhender sa mission dans toute sa globalité. Il oriente par conséquent son action dans deux grandes directions.
L’une consiste à renforcer le cadre législatif voire constitutionnelle, la capacité administrative et la liberté d’autodétermination par la voie du suffrage universel, elle joint à ces mesures de renforcement le besoin de rétablir la confiance au sein de la population, condition fondamentale de tout progrès sur le chemin de la paix.
Ces mesures permettent, en d’autres termes, aux opérations de maintien de la paix de contribuer au rétablissement de l’autorité politique de l’Etat et à la réconciliation nationale de sa population par des mesures de justice transitionnelle (I).
L’autre consiste à établir la paix sur ses fondements économiques et sociaux : « Seule une action soutenue et concertée dans les domaines économiques, sociaux, culturels et humanitaires peut inscrire la paix dans la durée ». Elle s’ingénie, en d’autres termes, à mettre en œuvre un cadre favorable à assurer la reconstruction des infrastructures dans les domaines économiques et sociaux. Elle a pour finalité absolue de permettre de renouer avec de saines perspectives de développement : « Au lendemain d’un conflit, sans reconstruction et développement, il ne saurait y avoir de paix durable » (II)[2].
Les mesures que mettent en œuvre le processus de consolidation dans le cadre des actions politique, économique et sociale poursuivent comme objectif de redonner à la Côte d’Ivoire les moyens institutionnels nécessaires pour reconquérir l’effectivité de l’exercice de sa compétence nationale dégradé, dans une certaine mesure, par les séquelles de plusieurs années de conflit civil.
Elles sont animées par la volonté de l’Organisation des Nations unies de replacer la Côte d’Ivoire dans un cadre nouveau et surtout propre à assurer la stabilité et la pérennité d’une paix fondée sur le respect des droits humains et l’amélioration des conditions économiques et sociales porteuse de développement.
L’adjonction de ces mesures au mandat des opérations consacrées au maintien de la paix conduit le professeur Linos-Alexandre SICILIANOS à définir les opérations de maintien de la paix comme des opérations polyvalentes ou multifonctionnelles qui intègrent au-delà des aspects liés à la sécurité, l’assistance aux réformes institutionnelles fondamentales de l’Etat destinée à garantir la légalité et à constituer un cadre solide pour le respect des droits de l’homme[3].
- LE RETABLISSEMENT DE L’AUTORITE POLITIQUE DE L’ETAT ET LA RECONCILIATION NATIONALE
Le rétablissement de l’autorité politique de l’Etat et à la réconciliation nationale figure au mandat de toutes les opérations de maintien de la paix comme une condition sine qua non du maintien de la paix. En décidant la création de l’ONUCI, le Conseil de sécurité s’est dit désireux de contribuer à la promotion de la réconciliation nationale, à la protection des droits de l’homme. Dans le cadre de l’ONUCI, le Conseil de sécurité souligne l’importance d’un processus suivi de réconciliation nationale dans le cadre du dialogue inter ivoirien.
Ainsi à travers l’ONUCI, le Conseil de sécurité décide que celle-ci avec la collaboration des forces françaises autorisées, de la CEDEAO et d’autres organisations internationales, doit contribuer à la mise en œuvre du processus de paix en aidant le gouvernement de réconciliation nationale à rétablir l’autorité de l’Etat partout en Côte d’ivoire ; en lui offrant un encadrement, des orientations et une assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue des élections libres, honnêtes et transparentes ; en contribuant à la promotion et à la défense des droits de l’homme ; en rétablissant l’autorité du système judiciaire et l’état de droit partout en Côte d’ivoire[4].
Le rétablissement de l’autorité politique de l’Etat et à la réconciliation nationale constitue une étape décisive pour la réussite du processus de consolidation de la paix.
Elle s’appuie sur l’expérience acquise par l’ONU dans l’assistance qu’elle porte aux Etats membres qui en font la demande et dans des domaines aussi variés que la rédaction des constitutions, l’instauration des réformes administratives et financières, le renforcement de la législation nationale relative aux droits de l’homme, l’amélioration des structures judiciaires, la formation de spécialistes de droits de l’homme, et l’aide aux mouvements armés d’opposition pour leur permettre de se transformer en partis politiques[5].
L’examen du mandat des opérations de maintien de la paix permet de constater que le Conseil de sécurité oriente cette assistance vers la restauration des institutions en charge des domaines législatifs, administratif et électoral (I.1) et la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle, (I.2).
I.1- ONUCI et la restauration des domaines législatifs, administratifs et électoraux
L’action de l’ONUCI en ce sens, repose sur la conviction que pour être pérenne la paix doit être fondée sur un socle institutionnel solide et cohérent propre à assurer le fonctionnement régulier de l’Etat, à garantir une bonne gouvernance[6].
En d’autres termes, l’ONUCI œuvre à la définition et à l’étaiement des structures propres à raffermir la paix et ainsi éviter la reprise des hostilités. Il touche d’un côté, aux domaines législatif et administratif de l’Etat car il n’est pas fréquent de constater au lendemain des conflits armés combien les textes législatifs, voire les constitutions, de même que les structures administratives de l’Etat, portent la marque d’une accumulation de négligences ou de manipulations politiques, contiennent des dispositions discriminatoires et peu conformes aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
A cette faiblesse s’ajoute le fait que la plupart des agents de l’Etat n’ont parfois ni les capacités, ni les moyens nécessaires pour appliquer les textes légaux en vigueur, que l’appareil judiciaire et le système pénitentiaire ne disposent plus de ressources nécessaires à leur fonctionnement, les conflits les ayant transformés en instruments de répression de sorte qu’ils ont souvent perdu toute légitimité (I.1.1[7]). Cet appui touche d’un autre côté au domaine électoral. Il a pour objectif d’instaurer au sein de l’Etat une culture électorale, en contribuant à la réforme du système électoral dans son ensemble et à la bonne conduite des opérations électorales proprement dites (I.1.2).
I.1.1- Les domaines législatifs et administratifs
L’appui à la restauration des institutions chargées des domaines législatif et administratif de l’Etat consiste tout à la fois à encourager l’édiction, la suppression et le respect des dispositions législatives ainsi qu’à promouvoir le bon fonctionnement des pouvoirs publics, élément sans doute le plus important qui relève de la responsabilité de chaque Etat[8].Il ressort cependant de l’analyse du mandat de l’ONUCI qu’elle ne s’est pas directement attelée à l’assistance constitutionnelle de la Côte d’Ivoire. Cependant le rôle qu’elle a joué dans la mise en œuvre des accords de paix de Linas Marcoussis et dans la surveillance et la promotion du respect des droits humains, peut s’interpréter comme une forme d’assistance constitutionnelle indirecte dans la mesure où ces accords de paix et les mesures qu’ils impliquent font de plus en plus souvent l’objet d’une intégration constitutionnelle[9].
Dans le cas de la Sierra Leone, le Secrétaire général rapporte que la politique de décentralisation de l’Etat a permis de faire progresser la consolidation de l’autorité de l’Etat et souligne l’aide de la MINUSIL notamment dans le transfert aux conseils locaux des grands services administratifs. Si au Salvador et dans une certaine mesure en Sierra Leone, l’assistance dans le domaine législatif et administratif a été assez large, force est de constater qu’en Côte d’Ivoire et au Liberia par exemple, l’action onusienne s’est limitée à accompagner le redéploiement de la capacité administrative de l’Etat sur l’ensemble du territoire national.
I.1.2 -Le domaine électoral
L’appui à la restauration du domaine électoral de l’Etat s’entend dans le cadre des opérations de maintien de la paix de toutes mesures prises en vue de garantir, au sein de l’Etat destinataire, c’est-à-dire de la Côte d’Ivoire qui est l’objet de notre analyse, la liberté du peuple dans le choix de ses dirigeants. Il s’agit d’une liberté fondamentale inscrite dans le texte de la Charte des Nations unies qui proclame comme but de l’Organisation celui de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.
Dans la poursuite de cet objectif l’ONU, par l’intermédiaire de son Assemblée générale a développé une compétence spécifique dans l’observation et la vérification des processus électoraux dans les territoires sous tutelle et territoires non autonomes premièrement, c’est notamment le cas du Groupe d’assistance des Nations unies pour la transition en Namibie (GANUPT) ; puis elle a orienté son action en direction de ses Etats membres, c’est notamment le cas de la Mission d’observation des Nations unies chargée de la vérification du processus électoral au Nicaragua (ONUVEN) et celui de la Mission d’observation des Nations unies pour la vérification des élections en Haïti(ONUVEH) chargée de l’observation et de la vérification du processus électoral mais aussi de l’assistance à l’élaboration des plans de sécurité électorale et de l’observation de leur mise en œuvre.[10]
Sur la base de toute l’expérience accumulée, les opérations de maintien de la paix ont intégré à leur approche transversale de la paix, la nécessité de veiller à l’instauration d’une culture électorale au sein de leurs Etats hôtes. Ainsi en Côte d’ivoire, le Conseil de sécurité qui crée l’ONUCI lui confie la responsabilité avec le concours de la CEDEAO et des autres partenaires internationaux, d’offrir au Gouvernement de réconciliation nationale un encadrement, des orientations et une assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue de consultations électorales libres, honnêtes et transparentes dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de Linas-Marcoussis.
C’est donc dans cette perspective, que l’ONUCI devait œuvrer en vue de permettre l’organisation de l’élection présidentielle qui a toujours été considérée comme la clé de voûte du processus de paix engagé dans le pays. Après plusieurs reports pour des raisons techniques et parfois des blocages politiques, ces élections attendues par tous les ivoiriens, ont finalement eu lieu en octobre 2010 avec un taux de participation record dans l’histoire des élections en Côte d’Ivoire. Cet enthousiasme dénote de la volonté des ivoiriens de choisir librement leur dirigeant. L’ONUCI a été appelée à jouer un rôle prépondérant, en contribuant au maintien de l’ordre pendant le scrutin présidentiel et en jouant le rôle d’observateur, tout en donnant des avis techniques aux institutions ivoiriennes.
La lourde responsabilité de certifier l’élection présidentielle ivoirienne incombait à l’ONUCI. C’est le lieu de souligner que, le cas ivoirien se distingue des autres en ce sens que le rôle des Nations Unies dans le processus électoral ne se limite pas seulement à des fonctions d’observations et d’appui techniques. Il convient de rappeler que c’est l’accord politique de Pretoria du 6 avril 2005 qui a prévu la certification des élections par l’ONU en Côte d’Ivoire. Cette mesure rassurait l’opposition et les Forces nouvelles, elle constituait donc pour elles un gage de transparence.
Pour répondre aux exigences des différents protagonistes de la crise ivoirienne, le Conseil de sécurité a prévu dans sa résolution 1765 du 16 juillet 2007 de « mettre un terme au mandat du Haut Représentant pour les Elections, décide en conséquence que le Représentant Spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire certifiera que tous les stades du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielles et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales, et prie le Secrétaire général de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que le Représentant spécial dispose d’une cellule d’appui lui fournissant toute l’assistance requise pour pouvoir, s’acquitter de cette mission ».
C’est alors ainsi, après le Timor Oriental et le Népal[11] , la certification du processus électorale en Côte d’Ivoire est la première en Afrique et la troisième dans le monde. En concertation avec les acteurs politiques ivoiriens, la certification du processus électoral a porté sur cinq critères : la paix, l’inclusion, les médias d’Etat, la liste électorale et les résultats. En ce qui concerne ce dernier critère, il est clairement mentionné que « les résultats des élections seront certifiés d’une façon explicite. Une fois certifiés, le Certificateur n’admettra pas que les résultats fassent l’objet de contestations non démocratiques ou de compromissions ».
Ainsi, il incombait au Représentant spécial du Secrétaire Général (RSSG) des Nations Unies de veiller au strict respect du verdict des urnes. Après la proclamation des résultats du second tour de la présidentielle par la CEI (Commission Electorale Indépendante) et malgré l’unanimité apparente des différentes parties, la certification faite par le RSSG et le Conseil constitutionnel ont été mis en cause par le camp Gbagbo qui a accusé l’ONU d’être partiale. C’est le refus du Président Gbagbo de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara qui sera à l’origine de la crise postélectorale ivoirienne[12].
I.2- ONUCI et la mise en œuvre des mécanismes de justice traditionnelle
L’appui de l’ONUCI à la mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle constitue le second aspect de l’assistance au rétablissement de l’autorité politique de l’Etat et à la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire. L’importance d’un tel appui a notamment été relevée par Giorgio FILIBECK qui observe que bon nombre de situations post conflictuelles ne sont pas toutes caractérisées par le retour d’une paix véritable, que dans beaucoup de cas, le conflit se poursuit d’une façon plus ou moins larvée, entre actes d’hostilités isolés, parfois de type terroriste, et opérations militaires plus importantes qui entretiennent tous un climat de crainte. Cet auteur souligne que dans un tel climat, la paix a besoin de reposer sur la vérité et sur la justice[13].
La réconciliation nationale constitue l’épine dorsale de la stabilité politique économique et sociale après la crise postélectorale que la Côte d’Ivoire a connue. C’est pourquoi les autorités ivoiriennes, ont procédé à la mise en place de la commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) à l’image de celle de l’Afrique du Sud. A la différence, celle de la Côte d’Ivoire met un point d’honneur sur la vérité et la justice. Selon les autorités ivoiriennes, la réconciliation ne peut être véritable que si elle se repose sur la justice.
Des atrocités ont été commises lors de cette crise, il convient alors, de situer les responsabilités d’en évaluer les préjudices et d’œuvrer éventuellement à leur réparation. En juin 2011, le ministère de la justice ivoirienne avec l’appui de l’ONUCI, créée par arrêté ministériel une Cellule Spéciale d’Enquête relative à la crise postélectorale, répondant ainsi au besoin de faire la lumière sur les atrocités et différents crimes perpétrés au lendemain de la proclamation des résultats du second tour du scrutin présidentiel du 28 Novembre 2010.
Il faut noter que des entités du ministère de la défense et du ministère chargé des ex-combattants et des victimes de guerre sont logées au sein de la cellule pour une bonne coordination des procédures. Dans le cadre de cette justice, l’ex Président Laurent Gbagbo est traduit à la Cour Pénal International pour crime de guerre et crime contre l’humanité.
Certains de ses compagnons sont poursuivis par la justice ivoirienne même d’autres sont condamnés et purgent leurs peines dans les geôles ivoiriennes.
Cependant, nous notons pour l’instant, que le camp du président Alassane Ouattara n’a enregistré aucune poursuite. C’est d’ailleurs à juste titre que l’opposition ivoirienne qualifie cet état de fait « de justice de vainqueur ». Il n’est pas difficile en effet, de remarquer combien les conflits armés contemporains se caractérisent, de plus en plus, par des revendications micro-nationalistes, identitaires, ethniques ou tribales. Pas plus qu’il n’est compliqué de constater combien ces revendications creusent au sein des Etats des lignes de fragmentation susceptibles de compromettre durablement la construction du lien social.
La Banque mondiale souligne que les conflits internes laissent, la plupart du temps derrière eux, leur lot d’atrocité et sont vecteurs d’une intensification des haines et une polarisation de la société : « Les deux camps ont soif de vengeance pour les atrocités commises de part et d’autre, et ce sentiment peut supplanter tous les griefs antérieurs »[14].
Les opérations de maintien de la paix à l’image de l’ONUCI en Côte d’Ivoire, interviennent dans ce cadre pour « aider des sociétés déchirées par la guerre à rétablir l’état de droit et à réparer les exactions commises dans le passé, alors même que les institutions sont dévastées, les ressources épuisées, la sécurité compromise et la population traumatisée et divisée»[15]. Ces opérations rendent ainsi incontournable l’établissement de mécanismes destinées à garantir la justice pendant la période de transition qui sépare la fin d’un conflit armé et l’avènement d’une paix définitive :
« (…) c’est en s’attaquant aux causes du conflit, par des moyens légitimes et justes, que la communauté internationale peut aider à prévenir une future résurgence du conflit. La paix et la stabilité ne peuvent prévaloir que si la population perçoit la possibilité de résoudre, par des voies légitimes et justes, des questions politiquement sensibles telles que la discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, l’inégalité d’accès aux richesses et aux services sociaux, les abus de pouvoir, le déni du droit à la propriété ou à la citoyenneté, et les différends territoriaux entre Etats »[16].
L’appui à la justice transitionnelle est d’autant plus complexe qu’elle met en relation des auteurs de violations du droit en période de conflit qui réclament eux aussi la qualité de victimes, c’est le cas notamment des enfants soldats. Cette complexité apparaît également dans le traitement réservé aux anciens combattants au moment de leur réintégration dans la vie civile. Dans le cadre de son mandat, l’ONUCI a orienté son action d’appui à la mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle en direction du traitement de la responsabilité des auteurs de crimes réprimés par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme (I.2.1), ainsi qu’en direction du traitement de la réparation des victimes (I.2.2)[17].
I.2.1- L’engagement de la responsabilité des auteurs de crimes
L’engagement de la responsabilité des individus concerne principalement la poursuite et la répression des auteurs de violations flagrante des droits de l’homme, mais elle s’étend également en raison du caractère interne du conflit ivoirien à toutes les formes de violations réprimées par le droit international. La nécessité de situer la responsabilité des auteurs de crimes après les conflits trouve son origine dans le Traité de Versailles qui inaugure le principe de la responsabilité pénale des individus, particulièrement l’article 227 qui rend l’empereur Guillaume II « coupable d’offense suprême à la moralité internationale et à l’autorité des traités » et prévoit la mise en place d’un tribunal spécial pour le juger, les articles 228 à 230 qui déterminent les crimes de guerre et le principe des poursuites contre les auteurs. Ce principe de la responsabilité pénale individuelle a été enrichi par les résolutions 3 et 95 de l’Assemblée générale des Nations Unies des 13 février et 11 décembre 1946 qui reprend « les principes reconnus par le Statut du Tribunal de Nuremberg et les arrêts de ce tribunal », enfin ces principes ont inspiré les Conventions de Genève du 12 août 1949 et le Protocole I.
Ces normes ont aujourd’hui débordé le droit de la guerre pour intégrer le droit international général notamment le statut de la Cour Pénale internationale et l’article 58 des Articles de la Commission du Droit International qui préserve le cas de « la responsabilité individuelle d’après le droit international de toute personne qui agit pour le compte d’un Etat »[18].
La spécificité de certains conflits particulièrement violents a cependant relativisé la nécessité de procéder de manière systématique au traitement de la responsabilité pénale des individus, mis à part l’imprescriptibilité de certaines infractions commises en violation du jus cogens (génocide, crimes contre l’humanité, traitements cruels, inhumains et dégradants). Au point que se sont mis en place au sein des Etats, avec l’assistance de la communauté internationale plusieurs types de mécanismes qui ont permis de joindre à la nécessité du traitement de la responsabilité pénale des individus, le besoin de réconciliation nationale et de reconstruction du lien social au sein des Etats par d’autres moyens que ceux que met en œuvre la répression Judiciaire.
Ce changement d’attitude dans le traitement de la responsabilité pénale des individus telle qu’elle se concevait jusqu’alors a été souligné par Kofi ANNAN qui relève que dans le cas des crimes graves, il est fondamental de regarder au-delà des questions de responsabilité individuelle et mieux chercher à répondre à la fois aux besoins des victimes et à ceux des sociétés dont celles-ci sont issues ; « cela peut signifier qu’il nous faudra parfois compléter les procès criminels par d’autres mécanismes, tels que des Commissions de la vérité, des Commissions d’enquêtes et des programmes de réparation »[19]
Ceci revient à considérer que le traitement de la responsabilité pénale individuelle, dès lors qu’elle se place dans la perspective de la consolidation de la paix après les conflits, implique « des processus et des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité ». C’est ce que traduit l’idée de justice transitionnelle.
Cette dualité qui caractérise le traitement de la responsabilité pénale des individus permet de comprendre toute la difficulté qui caractérise le besoin de réconciliation nationale par le moyen de la justice transitionnelle.
Ce besoin de réconciliation nationale se situant dans un mouvement pendulaire constant entre pardon et sanction, amnistie et jugement. William ZARTMAN reprenant la formule du professeur Joseph MAÏLA souligne à propos de l’histoire : «il faut s’en souvenir suffisamment pour ne pas recommencer, mais il faut oublier assez pour ne plus se combattre »[20]. Il ressort de la plupart des opérations de consolidation de la paix présentes sur le terrain que la position générale tenue par l’ONU soit de ne pas sacrifier la poursuite pénale des individus à la réconciliation mais, au contraire, de faire de cette poursuite pénale un outil de réconciliation nationale.
En d’autres termes, les violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire doivent être poursuivies en vue de la réconciliation nationale. André MOINE constate que ce faisant, les Nations unies semblent scinder les actes répréhensibles en deux catégories : les crimes internationaux non susceptibles d’amnistie et les autres qui peuvent être amnistiés mais en recourant de préférence, à cette fin, à un processus de « vérité et de réconciliation »[21]
S’agissant de la Côte d’Ivoire en effet, cette question apparaît pour la première fois dans l’Accord de paix de Linas Marcoussis. La question du traitement de la responsabilité pénale des individus a connu une importance considérable suite à la crise postélectorale. Ainsi le gouvernement ivoirien et ses partenaires notamment l’ONUCI décident la création d’une Commission Vérité et réconciliation en vue d’aborder les questions relatives à l’impunité, mettre un terme au cycle de la violence, et créer un forum où les victimes et les auteurs pourront présenter leurs doléances, avoir une meilleure vision des évènements passés, en vue de faciliter le pardon et la réconciliation véritables. Ils conviennent à cet effet que la Commission traitera de la question des violations des droits de l’homme depuis le début de la crise postélectorale.
I.2.2- Le processus de la réparation des victimes
La réparation des crimes et violations commises à l’endroit des victimes constitue l’élément essentiel du traitement de la responsabilité des auteurs de ces crimes et violations. Sans cette réparation, le processus de consolidation de la paix serait incomplet et le sentiment de frustration des victimes contribuerait à renforcer la racine de la violence en Côte d’Ivoire.
Dernier maillon de la chaîne relative à la justice transitionnelle, le traitement de la réparation ne peut être évoqué qu’après que toute la lumière ait été faite sur la réalité des évènements et des crimes commis pendant la période de crise postélectorale et surtout après que la responsabilité des acteurs ait été dégagée.
Le traitement de la réparation peut emprunter deux voies, une voie juridictionnelle le plus souvent dans le cas des réparations individuelles et une voie non juridictionnelle dans le cas des réparations collectives.
Ces deux voies sont utilisées par de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation en Côte d’Ivoire, par contre, la pratique fait état d’une activité conséquente dans ce domaine de la part de l’ONUCI qui y a été déployée en Côte d’Ivoire.
En effet, les institutions mises en œuvre dans le cadre de l’Accord politique de Ouagadougou ,la Commission nationale parajudiciaire et autonome des droits de l’homme ainsi que la Commission Dialogue vérité et réconciliation ont été créées respectivement pour renforcer les mécanismes de règlement des plaintes des populations en ce qui concerne la violation de leurs droits fondamentaux et mettre un terme au cycle de la violence en créant un forum où les victimes et les auteurs des violations des droits de l’homme pourront présenter leurs doléances, avoir une meilleure vision des évènements passés, en vue de faciliter le pardon et la réconciliation véritables.
A suivre…
[1] Programme des Nations Unies pour l’environnement, environnemental/ Law Institute & UICN. (2007). Gérer les ressources naturelles dans les sociétés sortant d’un conflit : les enseignements tirés de la phase de transition vers la paix. Rapport de la réunion : 17-18 septembre 2007. Genève. 8 Global Witness. (2006). The si
[2]Pour les deux citations voir A/48/935 du 6 mai 1994, Développement et coopération économique internationale, Agenda pour le développement, Rapport du Secrétaire général, § 22.
[3] Voir SICILIANOS Linos-Alexandre, « L’ONU, la consolidation de la paix et l’édification de la démocratie », in Mélanges en l’honneur de Nicolas VALTICOS, Droit et justice, Paris, A. Pédonne, 1999, p. 217.
[4] S/RES/1528 du 9 mars 2004, § 6, l), m), n), q).
[5] A/48/935 du 6 mai 1994, Développement et coopération économique internationale, Agenda pour le développement, Rapport du Secrétaire général, § 124.
[6] V. MENEMENIS Alain, « L’assistance constitutionnelle et administrative comme condition de la restauration de l’Etat », in DAUDET Yves (sous la direction de), Les Nations Unies et la restauration de l’Etat, Colloque des 16 et 17 décembre 1994, Paris, A. Pédonne, 1995, p. 41.
[7] V. S/2004/616 du 23 août 2004, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, Rapport du Secrétaire général, § 27. Voir aussi DAILLIER Patrick, « Les opérations multinationales consécutives à des conflits armés en vue du rétablissement de la paix », Recueil des Cours de l’Académie de Droit International, 2005, tome 314, p. 283.
[8] A/48/935 du 6 mai 1994, Développement et coopération économique internationale, Agenda pour le développement, Rapport du Secrétaire général, § 125.
[9] Voir CAHIN Gérard, « Les Nations Unies et la construction d’une paix durable en Afrique », in MEDHI
Rostane (sous la direction de), La contribution des Nations unies à la démocratisation de l’Etat, Paris, Editions, A. Pédonne, 2002, pp. 144-145. Voir également DAUDET Yves, « La restauration de l’Etat, nouvelle mission des Nations Unies ? », in DAUDET Yves (sous la direction de), Les Nations unies et la restauration de l’Etat, Paris, A. Pédonne, p. 21.
[10] Le professeur Christian TOMUSCHAT fait remarquer que le mandat électoral de l’ONUVEN, fait suite au vote par l’Assemblée générale, l’année antérieure, de la résolution 43/157 intitulée « Renforcement de l’efficacité du principe d’élections périodiques et honnêtes » et transmise à la Commission des droits de l’homme pour l’élaboration des procédures appropriées à cette fin. Cependant, cette pratique nouvelle a tout de suite rencontré certaines résistances car un an après, en 1989, la résolution 1989/51 du 07 mars 1989, intitulée « Respect des principes de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats en ce qui concerne les processus électoraux », a été adoptée par une large majorité d’Etats. Voir TOMUSCHAT Christian, « L’intervention structurelle des Nations unies », in MEDHI Rostane, La contribution des Nations unies à la démocratisation de l’Etat, Colloque des 14 et 15 décembre 2001. Paris, A. Pédonne, 2002, p. 114. Concernant l’ONUVEH voir A/RES/45/2 du 10 octobre 1990. Le cas d’Haïti diffère de celui du Nicaragua en ce sens que sa dimension internationale est moins évidente. Plus petite l’ONUVEH introduit une innovation importante : la fourniture d’une assistance technique au Comité de coordination pour la sécurité des élections et le déploiement de 62 observateurs chargés de suivre l’application de mesures de sécurité. Pour la première fois aussi la mission comporte un vaste projet d’assistance technique du PNUD au Conseil électoral provisoire, mesure rendue nécessaire par le manque d’expérience des autorités locales. Voir A/46/609 du 19 novembre 1991, Renforcement de l’effectivité du principe d’élections périodiques et honnêtes, § 41. Voir aussi LAFON Jean-Pierre, « L’action des Nations Unies et l’assistance électorale », Bulletin du Centre d’information des Nations Unies, décembre 1993, n° 7-8, pp. 75 et 76 : « L’Organisation des Nations Unies possèdent une longue expérience en matière de surveillance des élections et d’assistance électorale : de sa première mission d’observation des élections partielles en Corée en 1948 à la surveillance de processus électoraux dans le cadre de la décolonisation et des opérations de maintien de la paix ».
[11] KONADJE Jean Jacques, Côte d’Ivoire post-conflit : les trois grands défis de la reconstruction, La Revue Géopolitique, Janvier 2012, 1 pp
[12] KONADJE Jean Jacques, Idem
[13] FILIBECK Giorgio, « La restauration d’un ordre de justice dans les situations post-conflictuelles à la lumière de l’enseignement social de l’Eglise catholique », Revue internationale de la Croix-Rouge, mars 1998, n° 829 p.79.
[14] Banque mondiale, Briser la spirale des conflits. Guerre civile et politique de développement, Bruxelles, De Boeck Université, 2005, pp. 112-113.
[15] Idem, § 3. Lois d’exceptions et décrets exécutifs sont souvent monnaie courante et ne peuvent contribuer à l’instauration d’un état de droit. Les opérations de consolidation de la paix vont ainsi se voir revenir la responsabilité conseiller les Etats au sein desquels elles interviennent, sur certains aspects de leur législation nationale qui pourraient être en contradiction, ou tout simplement susceptibles de gêner le processus de consolidation de la paix et, dans une perspective plus large, le développement de l’Etat.
[16] S/2004/616 du 23 août 2004, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, Rapport du Secrétaire général, § 4. De ce point de vue l’administration de la justice transitionnelle dépasse le cadre du mandat confié aux opérations de consolidation de la paix qui se limitent à poser les jalons de la justice transitionnelle au sein d’un Etat.
[17] S/PV.5052 du 6 octobre 2004, Justice et légalité : rôle de l’Organisation des Nations Unies, p. 3
[18] MAMPUYA Auguste, Le droit international à l’épreuve du conflit des Grands-Lacs au Congo-Zaïre.
Guerre-droit, responsabilité et réparations, Nancy, AMA. Ed., 2004, pp. 98-99.
[19] JAUDEL Etienne, Justice sans châtiment : Les commissions Vérité-Réconciliation, Paris, Odile-Jacob, 2009, pp. 97-106. V. S/2004/616 du 23 août 2004, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, Rapport du Secrétaire général, § 8. Rappelons que la voie de la sanction judiciaire a pris une importance toute particulière dans le cadre du processus de réconciliation nationale au Rwanda, où continuent de cohabiter, en l’absence de toute opération de consolidation de la paix cependant, trois types de juridictions : les juridictions nationales ordinaires, les juridictions populaires ou « Gacaca » et une juridiction internationale ou Tribunal pénal international pour le Rwanda installé à Arusha.
[20] Conclusion de William ZARTMAN, in Les Cahiers de la paix : « Fin de conflits et réconciliation : conditions pour une paix durable », n° 10, 2004, p. 228.
[21] MOINE André, « Le choix entre amnistie et jugement, opéré par les Nations Unies, lors de réconciliations nationales », Les Cahiers de la paix : « Fin des conflits et réconciliation : conditions pour une paix durable », n° 10, 2004, p. 306. Rappelons également que par sa résolution 55/95 du 28 février 2001, relative à la situation des droits de l’homme au Cambodge, l’Assemblée générale des Nations unies a souligné que « la responsabilité individuelle des auteurs de violations graves des droits de l’homme est l’un des éléments fondamentaux de toute voie de recours pour les victimes, la pierre angulaire de tout système judiciaire juste et régulier et, en fin de compte, une condition essentielle de la réconciliation et de la stabilité de l’Etat ».
OUAGA GNATTO ANGE CLEMENT
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.