La mésentente française avec les pays amis et ses anciennes colonies montrent que la France n’a plus une stratégie claire et adaptable comme celle des anciennes puissances coloniales. Le malaise est partout. Les déséquilibres de la stratégie française dans la gestion des crises qui touchent directement ses intérêts ont augmenté. Plusieurs indicateurs montrent bien que la projection de forces des décennies précédentes n’a plus lieu d’être.
En effet, dans un climat de désarroi, de méfiance et de mésentente entre membres de l’OTAN, la diplomatie française affiche une stratégie de cris d’alarmes, jugée sans rendement, par les uns et les autres, que certains observateurs qualifient de diplomatie de grande gueule. Pourtant, nul n’oubliera la place ancestrale de la France en tant que grande référence diplomatique avec ses différents courants et son savoir en sciences politiques.
I- Relations difficiles
La France n’a pas su garder au moment opportun, ses relations anciennes avec la Syrie et n’a pas bien choisi son camp afin de sauver ses intérêts dans la région. Elle n’a pas bien mené la guerre par délégation en se servant, en sous-main, pour garder son influence en Syrie via les milices qu’elle finançait.
Face à l’OTAN et l’UE, il ne s’agit pas seulement de « pomme de discorde », mais aussi d’un point de clivage[1], qui mérite des révisions plus que nécessaires dans la politique étrangère de la république française.
Concernant la sauvegarde de ses intérêts dans ses anciennes colonies, la France devait changer de stratégie, ne pas beaucoup compter sur ses alliés européens, y compris ceux de l’OTAN et mener seule son combat face au terrorisme au Sahel. Car, certains ont compris que leur participation à cette lutte ne ferait que servir les intérêts géostratégiques et géoéconomiques de la république française.
Désormais, avec l’émergence des intérêts divers de plusieurs puissances sur le voisinage de ses anciennes colonies, même avec ses moyens militaires la France ne pourrait plus user de son pouvoir colonial de contrainte.
Lors de la crise ukrainienne, alors que la Russie déclare que Kiev prépare une offensive contre les séparatistes pro-russes à l’est de l’Ukraine, le gouvernement de l’Ukraine affirme que Moscou ne fait que chercher un casus belli[2] afin d’envahir ses territoires. Là la France n’a pas su où mettre ses jalons. Dans ce terrain marécageux, la Russie soutenue des fois directement par la Chine, se trouve face aux Etats de l’OTAN, y compris la France, qui annoncent leur solidarité quant aux sanctions américaines contre le Kremlin . Les EUA sont passés à l’acte en renforçant le dispositif européen par l’installation de deux unités américaines en Allemagne et l’armée française a envoyé un contingent aux frontières ukrainiennes.
Dans le même sillage de vigilance face à la Russie, l’Angleterre envoya des navires de guerre en mer noir. Chose qui a déplu aux russes qui ont déclenché à leur tour des missions de surveillance maritime et aérienne en vue de gêner les déplacements anglais dans une mer noire considérée comme leur propre zone d’influence.
Les malentendus de l’OTAN, en particulier de la France aussi, avec la Russie sur plusieurs sujets d’ordre géopolitique et stratégique dans le monde, les problèmes liés à l’instabilité créées par les russes en Ukraine, l’Etat Belarus, les cyberattaques touchant les EUA et certains de ses alliés et les problèmes de libertés publiques concernant l’opposant russe emprisonné Alexeï NAVALNY, continuent de constituer des dossiers sans issues. Les avertissements et les sanctions contre Moscou par l’Occident sont restés sans effets. Les tentatives françaises n’ont aussi donné aucun résultat. Entre pouvoir du verbe français mal choisi et humiliation continue par le pouvoir russe la France a perdu son poids diplomatique. Ceci a impacté le reste et plusieurs firmes françaises ont payé cher à cause de la politique de leur pays (Total énergie, Renault, carrefour…).
Lors de la réunion de la mi-juin 2021, des membres de l’OTAN à Bruxelles, à laquelle a participé la France, pour faire face aux attaques sino-russes, perpétrées par les moyens informatiques, il a été décidé à ce que les Etats de l’alliance développent leurs moyens de détection contre les intrusions informatiques et aussi il a été considéré à l’unanimité qu’une cyberattaque majeure contre l’un des Etats de l’alliance, pourrait donner lieu à une riposte, même avec des armes conventionnelles. Ceci est considéré comme un alignement de la France contre la Russie.
Avant la crise d’Ukraine, les votes de sanctions et les blocages souvent demandés par la France à la communauté européenne, pour punir la Turquie n’ont pas donné de fruits. Le gouvernement turc, tout en continuant de prouver l’intérêt d’être membre de l’UE grâce à ses différents potentiels, montrait clairement qu’il pourrait à tout moment choisir le camp sino-russe et même se tourner vers l’Iran pour compléter l’arsenal et les équipements militaires dont il a besoin. Contre la Turquie la France, n’a fait que des menaces sans suite.Ses amis sans restés neutres et sans réaction justifiable.
En se référant à l’histoire des empires centraux, en matière de géopolitique des frontières, la France avait soutenu l’Empire Ottoman contre celui des Tsars deux fois, pendant la guerre qui a opposé les deux antagonistes entre 1768 et 1774 puis lors du conflit en Crimée de 1853 à 1856. Dans une autre prise de position, la France a soutenu militairement avec les anglais et les russes les insurgés grecs face à l’Empire Ottoman, pour avoir leur indépendance en 1829. De nouveau, c’est la France qui revient à la charge après presque deux siècles, pour défendre les intérêts grecs en mer Egée et en mer méditerranéenne, diplomatiquement et à haute voix, puis en vendant les navires et en proposant les avions de chasse de dernière génération. En fait, à présent, la France est entièrement en désaccord avec elle même et avec la république turque. Chacun suspecte l’autre d’avoir commis des crimes de guerre[3]. Déjà cette guerre de désinformation lui a coûté assez en Afrique.
Elle a posé un véto contre l’adhésion de la Turquie à l’UE, a défendu l’idée qu’il y avait un génocide arménien au début du 19ème siècle et continue de défendre ses intérêts géoéconomiques et géopolitiques que ça soit en méditerranée orientale, en Afrique et en Asie, face à une puissance turque galopante, aspirant au retour aux anciennes provinces des ottomans. Le fait est là et la Turquie continue de gagner la mise ( en Syrie, Libye…).
L’antagonisme entre français et turcs a débuté lors de l’offensive turque en automne de l’année 2019 contre les forces kurdes en Syrie, soutenus par les français et la majorité occidentale. Pour les turcs c’est une ligne rouge à ne pas dépasser. Car, cela touche leur souveraineté sur les Kurdes.
Par la suite, le soutien turc au gouvernement en Libye reconnu par les Nations Unies a dérangé les intérêts français. Pourtant la Libye est une ancienne colonie italienne et avant de l’être, elle était une province ottomane. Aussi la présence turque en Afrique, avec plus de vingt ambassades ouvertes à partir du milieu des années deux mille, est une offensive diplomatique devenue menaçante pour la France.
La France aurait dû défendre ses intérêts en Libye avec plus d’habileté diplomatique que par le soutien d’une force non légale du Général HAFTAR et non reconnue par la communauté internationale. Le troisième point de confrontation d’intérêts est lié à la Méditerranée orientale où la France s’est alignée avec la Grèce contre la Turquie dans un conflit de géopolitique de frontières maritimes, opposant les deux Etats riverains à cause des gisements de gaz. Pourtant la France qui a une histoire diplomatique très ancienne devait laisser la législation internationale faire son travail au lieu de s’aligner avec l’un contre l’autre. Mais, réellement, c’est Total énergie qui a besoin de ce soutien diplomatique et non pas la justice internationale.
La France n’a pas gardé ses relations anciennes avec la Syrie et n’a pas bien choisi son camp afin de sauver ses intérêts dans la région. Elle n’a pas bien mené la guerre par délégation en se servant méticuleusement et en sous-main pour garder son influence en Syrie via les milices qu’elle finançait. A titre de comparaison, les EUA qui ont bénéficié du retour d’expériences des précédentes guerres, sont en avance lorsqu’il s’agit d’une guerre par procuration[4].
L’Iran aussi, tout en introduisant petit à petit ses forces, elle fait la guerre par délégation, en soutenant logistiquement et opérationnellement, les combattants chiites irakiens, yéménites, palestiniens et le Hezbollah libanais. Grâce à cette stratégie l’Iran a son poids en Irak, déstabilise l’Arabie par les Houthis, divise les Palestiniens au nom de l’indépendance et harcèle Israël via les Palestiniens et le Hezbollah. Elle s’introduit facilement au nord de l’Afrique, en Algérie et la France ne peut rien faire. Car, son retour en Algérie n’est pas bien préparé. Lors de leurs discours, au nom de la démocratie, le pouvoir et les partis politiques français critiquent ouvertement l’oligarchie militaire algérienne et en même temps, ils cherchent à avoir un marché monopole avec l’Algérie, sans oublier de garder la manne algérienne. Le pouvoir algérien gagne la reconnaissance de la France.
Partout, certains acteurs politiques du 21ème siècle, y compris la république française ont choisi une nouvelle forme de guerre caractérisée par l’affrontement indirect basé sur l’intelligence artificielle (drones en général) et le mercenariat. Les groupes armés, jugés auparavant terroristes par la communauté internationale, sont devenus des outils de guerre légitime par plusieurs Etats, qu’ils soient considérés démocratiques ou autocratiques. Mais dans choix de mode de guerre, la France a aussi été absente et raté son départ.
Le mercenariat utilisé auparavant, lors de la guerre froide pour renverser les régimes, devient moyen officiel, afin de mener des combats non seulement dans un cadre asymétrique, mais aussi classiques, sans se soucier des autres acteurs en présence. Ainsi, le terrorisme islamique a trouvé sa place sans difficultés pour monter en puissance dans les différentes régions du monde et particulièrement dans les anciennes colonies françaises.
De même, en plus de la guerre par délégation, les russes et les forces turques se sont introduites officiellement au Nord- Est de la Syrie en dépit des critiques des Etats membres de l’OTAN, de l’UE et autres voisins. Ils ont même organisé des patrouilles communes pour chasser les intrus. Et ce évidemment , sans se soucier de la France .
Les ententes ad- hoc entre russes et turques ont apporté encore une fois leurs fruits dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sans que la France ou les EUA occupés, à l’époque, par leurs élections présidentielles, ne soient concernés par les grandes décisions diplomatiques prises afin de mettre fin au conflit du Haut-Karabagh.
Le même scénario se répéta et montra l’absence de la France et des EUA, lors des accords entre l’Ukraine, la Russie et la Turquie sous l’égide des Nations Unies pour l’exportation de céréales par la mer noire. C’est le président en exercice de l’Union africaine qui s’est déplacé en Russie pour anticiper le problème de famine en Afrique. Autrefois, c’était la France qui défendait l’Afrique en particulier francophone lors des crises.
Ainsi, contrairement à la Turquie qui a appuyé ouvertement l’Azerbaïdjan, la France qui a longtemps défendu l’Arménie a été absente au début de la guerre et lors des négociations puis n’a fait que critiquer ou dénoncer le soutien turc aux azéris. Ce n’est qu’après la fin du conflit que la France a demandé à être informée sur les détails du traité de paix et le sénat français a demandé la reconnaissance d’un Etat indépendant au Haut Karabakh, pour dénoncer les actions diplomatiques turques.
Même les iraniens qui ont marqué leur présence activement lors des cessez- le-feu désespérés du début des années 1990, ont de nouveau, usé de leur diplomatie pour trouver issu au conflit. A vrai dire, face à la Turquie, la France n’a réuni que le maillon faible de l’Europe, qui est en crise financière, pour rallier sa cause déjà perdue. Les enjeux face à la Turquie sont très grands et minés. L’offensive diplomatique turque en Afrique est aussi menaçante.
Ankara continue d’élargir ses marchés dans le monde, y compris l’Afrique francophone. En Libye la diplomatie française n’a pas été claire et n’a pas bien choisi son camp. Elle soutient les séparatistes de l’Est contre le gouvernement reconnu par la communauté internationale. Néanmoins, elle s’est ressaisie, à la fin du mois de mars 2021, par la réouverture à Tripoli de l’ambassade de France, qui était fermée depuis 2014. Mais , nul n’ignore, que dans les coulisses, en voulant sauvegarder les intérêts de Total énergie, la diplomatie française cherche à s’aligner avec le gagnant parmi les fratricides libyens.
II-Fini le monopole outre-mer
Abordant dans le même sens d’idées, la France a profité du vide laissé par les anciens antagonistes (les blocs Est et Ouest), occupés par la défense de leur idéologie, afin de garder son monopole et sa mainmise sur certains pays africains. L’ancien discours de patron à l’ouvrier n’est plus accepté par la force vive africaine. Certains responsables français s’adressent avec grandeur et gâchent tout au cours de leur passage[5].
Certains Etats africains doivent obligatoirement acheter que les marchandises et les équipements français sinon ils sont soumis à des malversations. Même certains militaires de haut rang parlent avec un ton menaçant, en s’adressant à leurs collègues africains. C’est une façon de leur passer le message qu’ils ne peuvent rien décider sans la France. Au sein de l’entourage présidentiel, de certains Etats africains, on trouve encore des officiers de l’armée française qui participent à la décision et rendent compte au gouvernement français de tout ce qui se passe !
En Côte d’Ivoire, au début des années 2000(entre 2002 et 2004), avant que la mission devienne onusienne, c’est la France qui a équipé les contingents nationaux des Forces Amis de l’Union Africaine (Togo, Niger, Bénin…). Même la force française Licorne n’avait pas des équipements vraiment sophistiqués du rang d’une puissance qui se considère parmi les premières.
Par faute d’appréciation, pour ne pas dire sous-estimation des acteurs présents sur le théâtre, les français ont équipé les forces africaines avec des camionnettes stockés en Afrique depuis longtemps.
Alors que les contingents pakistanais, indiens, ghanéens et marocains assuraient la sécurité avec des moyens de nouvelle génération, les armées appartenant à l’ancienne puissance coloniale française circulaient avec des camionnettes Simca essence, modèle des années soixante et disparus de la circulation !
Pourtant c’était l’occasion de montrer la projection de force et montrer au public africain et en particulier les militaires africains, le nouveau matériel fabriqué par l’industrie militaire française. Les anglais et les américains ne commettraient pas ce type d’appréciation en matière de coopération militaire internationale. Et même maintenant , la France n’a pas assez de réserves en matériels militaires majeurs pour équiper un grand effectif en cas de conflit grave en Europe.
Désormais la république française est depuis quelques années, de plus en plus en recul, exposée à des discours patriotiques et nationalistes, manipulés par les rivaux extérieurs, probablement russes, chinois turcs et autres, qui ont besoin de leur part sur les différents marchés économiques dans les anciennes colonies françaises. Le monopole est en cours de disparition, question de temps seulement.
Au nom de la stabilité et la coopération, la France veut garder sa mainmise sur ses anciennes colonies. Mais se heurte à une campagne de dénigrement bien planifiée, dans les réseaux sociaux[6], puis à une montée en puissance de la violence jihadiste, devenue difficile à éradiquer ni par l’opération Serval applaudie au départ, ni par la force Barkhane sortante, dont la force ne dépasse pas les 5000 militaires et qui est souvent considérée, lors des manifestations (soit à Bamako, soit à Niamey ou à Ouagadougou), non légitime, envahissante et sans résultat.
Même si la France a été citée fautive et non complice dans le génocide des Tutsis rwandais[7], il en demeure que le doute est là pour salir le gouvernement français de l’époque et le Rwanda a choisi de devenir anglophone et continue de rendre la France responsable du génocide. Aussi les forces françaises ont été rendues responsables par une enquête de l’ONU, rendue publique le mois de mars 2021, de la mort de plusieurs civils qui n’ont rien à avoir avec le terrorisme.
Certains, attendent l’occasion pour lancer à tort et à travers des propagandes, qui nuiraient à la politique étrangère française. Car, il faut prendre en considération, les alliances de circonstances, les Etats émergents et l’intérêt de chaque Etat membre des différentes organisations auxquelles elle adhère.
A titre de comparaison entre anciennes puissances coloniales, dans sa politique extérieure, le Royaume Uni agit avec discrétion et n’est pas aussi cité par les campagnes nuisant à sa renommée extérieure. De même pour ce qui est des Pays Bas. Donc, il faut chercher à exercer une géopolitique modulable et adaptable avec l’ère de la mondialisation et avec le moindre risque.
En tant que fait reconnu, le président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), a par l’intermédiaire de l’institut d’études, demandé l’évaluation en 2021, pour la troisième fois depuis 2018, les opinions des populations africaines sur la France. Il a constaté « un décrochage de la France » et une « amertume » signalée par plus de de 2400 « leaders d’opinion » de 12 pays africains[8].
Dans cette nouvelle guerre d’information, ce n’est pas que la société civile qui critique la relation franco-africaine, mais aussi certains responsables de haut rang des administrations et des représentants des nations africaines. La France est appelée même à réviser ses communiqués officiels et ses débats, qui touchent les symboles d’autres nations ou communautés résidentes au nom de la liberté d’expression. L’ONU a invité la France à renoncer à ses libertés d’expressions qui touchent les autres populations. Mais la France se croit plus démocrate que tous les Etats du monde!
Il est temps de négocier et de cesser la guerre des meetings sans rendement, avant que d’autres puissances émergentes ou traditionnelles entrent aussi en jeu pour prendre sa place dans ses anciennes colonies.
En plus des intérêts économiques menacés en Syrie, au Liban, ou dans certaines colonies dans le monde, on constate que l’installation du groupe Total[9], au Mozambique pour l’exploitation d’un gisement gazier, n’a pas été bien accueillie par les terroristes, qui ont attaqué en janvier 2021 le nord du pays et poussé les habitants à vider les localités. La firme française arrêta les travaux et libéra temporairement les employés.
Plus tard, en évitant d’ ouvrir un autre front, comme celui du Mali, la France veilla à l’envoi d’un contingent composé d’un millier des forces de défense rwandaises afin de faire face aux terroristes. Officiellement, c’est un traité de défense commune signé entre les gouvernements du Rwanda et du Mozambique. Par contre, sur le terrain, la priorité est donnée à la protection du projet de Total Energie.
En République démocratique du Congo, la majorité écrasante des analystes pensent qu’il y a une entente pour que la France laisse la main libre au Rwanda à l’est du Congo. D’ailleurs, la France a déposé son véto au Conseil de Sécurité de l’ONU contre la RDC en gardant l’embargo sur l’importation des armes.
En plus des forces rwandaises faisant partie des forces onusiennes, destinées au maintien de la paix, un détachement rwandais a participé à la sécurisation des élections. Cette stratégie de sécurisation par délégation, montre bien que les forces françaises sont soit incapables d’ouvrir partout en Afrique des fronts pour sauvegarder leurs intérêts, soit elles sont devenues plus vulnérables et leur marge de manœuvre s’est rétrécie.
Encore une fois, le 27 mars 2021, les Jihadistes ont choisi la journée de la reprise des travaux et ont attaqué Palma, ville située au nord du Mozambique[10], afin d’empêcher l’exploitation du gisement gazier. S’agissant surement d’une guerre d’intérêt économique, nul ne sait qui est le manipulateur de ces terroristes Shebab, qui ont fait allégeance à DAECH depuis 2019. Sont aussi associés à l’exploitation de ce site gazier, le groupe italien ENI et l’américain Exxon Mobil.
Les Shebab sont loin de leurs zones d’influence et c’est à la diplomatie et aux services de renseignements extérieurs de déceler, le ou les Etats terroristes, qui financent ces violences. Ces jihadistes ont beaucoup appris, leur façon d’attaquer et d’occuper le territoire est identique à celle de DAECH et différente des modes d’actions utilisées par ceux du Sahel, qui attaquent sans occuper longtemps le terrain.
Le problème d’insécurité au Mozambique et au Sahel pourrait se poser encore une fois en Côte d’Ivoire ou là où il y a des multinationales françaises. Car, ce pays qui vient de sortir d’une guerre fratricide est devenu une cible d’attaques terroristes en 2016, en 2020 et 2021.
Comme on dit un malheur ne vient pas seul, les sanctions internationales qui pourraient toucher la Birmanie suite au nouveau coup d’Etat militaire, menacerait dans l’immédiat et dans la future, les contrats d’exploitation de pétrole et de gaz existant depuis plusieurs années[11] entre le groupe Total et l’Etat birman qui s’approche de plus en plus de la Russie et de la Chine.
Aussi en Irak, qui est un pays non sécurisé en entier, le groupe Total énergie a signé un accord avec le gouvernement irakien, touchant quatre projets énergétiques liés au gaz naturel, à l’énergie solaire et au retraitement de l’eau de mer. Le sabotage de cet accord n’est pas à écarter, à l’instar des autres intérêts français, devenus plus exposés aux risques qu’auparavant.
Dans le cadre de la conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, visant la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, le président français a été présent le 28 août 2021, avec le Roi de Jordanie Abdallah II, le président égyptien Abdel Fattah AL-SISSI et les émirs et représentants officiels , particulièrement les ministres des affaires étrangères, de la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Koweït, les Emirats Arabes Unis, le Qatar et les secrétaires généraux de l’Organisation de la Coopération islamique, de la Ligue Arabe et du Conseil de Coopération du Golfe.
La France a su garder un certain équilibre de relation dans la région depuis le refus du défunt président français Jacques Chirac, à la participation à la campagne de la coalition en 2003 contre le régime de Saddam Hussein. Mais depuis, la donne a changé. Malgré la présence américaine, les milices pros iraniennes continuent de déstabiliser le pays à leur guise et arrivent même à attaquer ou harceler les forces américaines. C’est un défi sans précédent.
Dans ce terrain, là où ont échoué les américains, la France essaie de trouver un compromis d’entente entre les antagonistes particulièrement iranien et saoudiens. Pourtant, il n’y a pas que ces deux États qui sont en litige. La France n’a pas encore fini de fermer son dossier avec la Turquie.
Le conflit qatari avec ses frères du Conseil de Coopération du Golfe n’est pas entièrement résolu. La relation turco saoudienne n’est pas aussi toujours au beau fixe. La Jordanie continue de souffrir des risques de ses voisins irakiens et syriens. Donc, la réconciliation devient lointaine et l’apaisement des tensions entre participants n’est pas aussi facile.
Par l’appel du président français à respecter les communautés constituant l’Irak[12] et à l’éradication du terrorisme, la lecture est simple. Mais, la France oublie qu’elle aussi, a des problèmes entre communautés et elle est exposée en permanence au terrorisme. En gardant ses 2500 militaires en Irak, la France veut défendre ses intérêts vitaux dont le grand contrat en cours avec Total énergie et la vente de l’armement dans toute la région. Le message est clair et cette tentative de réunir les acteurs étatiques et les organisations régionales est une action diplomatique qui vise à protéger les intérêts français beaucoup plus qu’apaiser la situation, en Irak et dans la région.
III-La stratégie française est à moduler
Le départ définitif des forces françaises du Mali est un signal fort de déclin stratégique. Comment un Etat accueilli en sauveur avec les « You You » des populations devient par la suite leur ennemi juré. C’est une humiliation grave. La France a omis qu’avant que le Mali soit considéré Soudan français, il était l’un des plus anciens empires de l’Afrique. Ses écoles, le nombre de livres hérités des grands parents, ses spécifiques infrastructures, ses brassages avec le nord et le sud de l’Afrique constituent une richesse civilisationnelle unique dans le monde. Le Mali pays puissant et fort de la région, pendant plusieurs siècles régnait sur la boucle du Niger[13] . L’histoire de l’Empire de Songhaï n’est pas aussi loin. Est-ce vraiment la désinformation dans les sites sociaux qui a propagé le sentiment antifrançais ? Qu’en est-il des pays voisins du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ? Dans les rues les populations déclarent qu’ils veulent être libres de leur sort. Comment et pourquoi la nouvelle équipe au pouvoir au Mali suspecte la France de soutenir le séparatisme et ouvertement le terrorisme ? Pourquoi arriver jusqu’à porter plainte devant l’ONU ? Ce sont des questions auxquelles la France doit trouver des réponses.
En somme pour se convaincre de la réalité d’une stratégie française de plus en plus contrariée, qui a besoin d’être revue à nouveau, adaptée aux changements qu’a connu la géopolitique internationale et particulièrement africaine, on pourrait nous référer à la récente étude de l’IFRI[14].Celle-ci, présente un constat alarmant de la politique extérieure française qui n’a pas suivi les nouveaux indicateurs et les règles du jeu imposés par les forces en présence en Afrique[15]. L’action militaire[16] sur le terrain manquait d’accompagnement politique adéquat après le succès de 2013 face au terrorisme. Car, à partir de 2020, le fil directeur politique avec le Mali a été perdu et la Russie est apparue comme sauveur, en remplacement de la France, qui devait quitter les territoires[17] . Ondit en arabe dans ce genre de situation : « quelqu’un a témoigné de sa famille ». Donc, l’étude de l’IFRI n’est pas loin de la réalité. Dans quelques années avec le Royaume Uni en moins au sein de l’Union européenne, la France doit prendre en considération, qu’elle va partager ses tâches militaires avec l’Allemagne. Cette dernière planifie en termes des prochains budgets militaires, des sommes colossales, qui pourraient faire d’elle la deuxième puissance militaire en Europe.
Il est encore temps de moduler la pensée stratégique française, pour une meilleure compréhension des spécificités des populations africaines, avant que d’autres États, cherchant leur entière souveraineté, soient secoués de nouveau, afin de changer de camp. Car, actuellement, les africains connaissent plus que bien les français. Mais, les français doivent faire l’effort nécessaire pour mieux se rapprocher des africains . Les puissances nouvelles et traditionnelles, qui se sont bien établis en Afrique, n’attendent que l’occasion pour vendre mieux le nouvel adage introduit dans les relations internationales : « gagnant-gagnant » et s’il le faut par le troc.
[1] Point de clivage : « Sujet de désaccord de nature à diviser un groupe jusqu’alors homogène. S’il n’existe qu’un seul sujet de désaccord, on peut aussi parler de « pomme de discorde ». Se référer au site Franceterme : www.franceterme.culture.fr Source : Journal officiel du 4 mars 2012.
[2] Locution latine considérée « cas de guerre ». Ce qui signifie qu’on prépare un acte de nature ayant pour but final de motiver une déclaration de guerre.
[3] Les français disent que les turcs ont commis un génocide contre le peuple arménien et les turcs à leur tour répliquent que les français ont commis des crimes de guerre contre l’Algérie et responsables du génocide au Rwanda.
[4]Guerre par procuration : Il s’agit de financement de groupements ad hoc de militaires, de milices ou tout simplement de mercenaires pour remplacer les forces d’un autre Etat qui a un intérêt géopolitique dans le conflit en question. Lors des affrontements entre les blocs Est et Ouest les vietnamiens et les coréens ont été soutenus par des chinois, l’Angola par les forces cubaines, les moudjahidines afghans par les EUA. De nos jours, la guerre par délégation s’est confirmée en Irak, en Syrie et en Libye. Dans ces trois pays, plusieurs milices composées de citoyens locaux ou de combattants étrangers participent à la défense des intérêts d’un certain nombre d’États de voisinage ou des puissances occidentales.
[5] L’arrogance et l’impolitesse caractérisée du chef de la mission permanente française à l’ONU, lorsqu’ il a lancé des mots plus que mal placés contre le Royaume, montre bien l’existence d’une classe de commis d’Etat français qui doit suivre des cours de savoir-vivre avant de se projeter à l’étranger. Les exemples ne manquent pas et sont derrière des incidents diplomatiques graves.
[6] Pour plus de précisions, voir le site de la chaîne de télévision française France 24 sur https : //f24 .my/7 TUy.W consulté le 17 mars 2021 à 17hr 30
[7] Voir le rapport de la commission Duclerc, remis au président MACRON, en mars 2021, sur le génocide Tutsi. Néanmoins, certains observateurs, y compris rwandais, voient que ce rapport n’est pas satisfaisant et ne contient pas toute la vérité.
[8]Lire le site de Jeune Afrique consulté le 17 mars 2021 à 17hr 45 sur : https://www.jeuneafrique.com/1139105/politique/hamed-bakayoko-a-jamais-dans-nos-coeurs-lhommage-de-la-cote-divoire-a-son-premier-ministre/
[9] Devenu Total énergie pour ne pas se limiter aux énergies traditionnelles et s’adonner aux énergies vertes.
[10] Après les attaques du 24 mars 2021, Total a confirmé la suspension de son projet gazier au Mozambique pour cause de « force majeure ». L’attaque sur le site avait été revendiquée par le groupe Etat islamique. Mais, en 2022, la firme est revenue sur le site, suite à la sécurité assurée par le Mozambique soutenu par les forces rwandaises.
[11] Il y a presque 30 ans que Total exploite le pétrole et environ 10 ans qu’il fait de même avec le gaz. Le régime des putschistes n’est pas reconnu par la communauté internationale et encore une fois en cas de sanctions imposées par l’ONU, les intérêts français risqueront d’être mal menés, au minimum à l’instar de la firme de cimenterie Lafarge, qui a été citée en relation avec Daech, pourtant elle se trouvait en territoire occupé par les terroristes et devait sauver son industrie.
[12] L’Irak est constitué d’Arabes et de Kurdes et aussi de croyances Chiites (constitués en milices), sunnites (défendus entre autres par Al Quaida et DAECH) chrétiennes (soutenus par l’Occident) et d’une communauté yazidite qui a sa propre croyance et victime de génocide par DAECH.
[13] Constitué de l’Ansongo à Djenne. L’un des pays les plus riches au monde et l’une des puissances régionales. Au dixième siècle, un prince de la dynastie marocaine des Almouravide cousin de Youssef Ibnou Tachfine a été tué aux combats face aux valeureux guerriers maliens .Plus tard , la dynastie marocaine Saâdienne a conquis l’empire du Mali, dissous l’empire de Songhaï et chassé les portugais des côtes ivoiriennes. Car les portugais avaient condamné la route des caravanes en leur faveur pour prendre l’or et l’exporter par l’océan atlantique. Cette campagne chapeautée parle Roi Ahmed Mansour en 1591, vient après la bataille Oued el Makhazine ou des trois rois le 04 aout 1578.
[14] L’IFRI est considéré en France, comme un important centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Classée en tant qu’association d’utilité publique, le centre a été créé en 1979 par Thierry de MONTBRIAL.
[15] Pour plus de détails sur cette vérité stratégique, lire l’Étude de l’IFRI Focus stratégique, n° 109, IFRI, mai 2022.Laurent BANSEPT et Élie TENENBAUM, « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest »,
[16] Page 04 dudit document « Alors que la constitution d’un solide partenariat de combat avec les armées locales constituait le cœur de la stratégie française, le drapeau tricolore quitte le Mali dans un contexte de rupture diplomatique et de progrès sans équivoque de l’influence russe dans le pays…. Ce constat impose l’urgence d’une réaction et d’une adaptation de la posture stratégique française dans toute la région… La réduction continue des moyens de la coopération et le renouvellement de la compétition de puissance en Afrique ont encore accru le risque de déclassement stratégique. »
[17] Idem page 05 « Pour finir, la dégradation continue des relations franco-maliennes depuis 2020 et l’ingérence grandissante de la Russie dans le pays illustrent l’impasse d’une offre stratégique marquée par une forte conditionnalité politique dans un contexte de compétition internationale accrue…. Enfin, le paysage africain s’avère lourd de menaces susceptibles de peser négativement sur les intérêts français. Celles-ci tiennent tout d’abord à la progression continue de la mouvance djihadiste via ses différentes organisations rattachées à Al-Qaïda ou à l’État islamique (EI) …Finalement, le retour d’une compétition stratégique accrue à l’échelle internationale se traduit en Afrique de l’Ouest par un réel risque d’éviction de l’influence française au profit d’autres puissances dont certaines, comme la Russie, sont ouvertement hostiles à ses intérêts. »
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.