La République du Soudan du Sud, est située au carrefour de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique. Elle est d’une superficie de 644.329 km2 et d’une population estimée à 11,3 millions d’habitants. La naissance de cet Etat est le résultat d’un long processus d’indépendance signé et négocié le 9 janvier 2005 au Kenya par le chef du « Sudan’s People Liberation Movement » (SPLM), et le Vice-Président soudanais de l’époque Ali Osman Taha tel que le prévoyait l’accord de paix global « Comprehensive Peace Agreement » (CPA).

Cet accord reste gravé dans les mémoires car il a permis de mettre fin à la guerre civile amorcée en mai 1983 (phase II) et qui s’est concentrée principalement sur les frontières entre le Nord et le Sud. Mais le CPA a permis aussi de fixer le calendrier politique d’un référendum d’autodétermination qui sera soldé par un divorce entre le Nord et le Sud à hauteur de 98,83% des voix au grand dam de ceux qui espéraient le maintien du Sud dans un Soudan uni et fédéral.

Chercher à comprendre le malaise soudanais doit nous ramener à étudier l’histoire de ce pays dont les chapitres sont une concaténation d’évènements sanglants. L’exercice auquel on se livre alors, programmé en deux épisodes, doit permettre d’éclairer le lecteur par un retour rétrospectif sur les événements et intrigues qui ont favorisé la naissance de ce pays. Si la plupart des gens qui s’intéressent peu ou prou à l’Afrique, spécialement à sa région de l’Est, se réfèrent à la guerre du Darfour pour la lier au Soudan du Sud, elle n’est en réalité qu’un épisode noir, parmi plusieurs, que nous lions avec le condominium anglo-égyptien pour décrypter le présent.

Ce condominium représente un changement important dans l’administration de ce pays. En effet, si la gestion du pays était partagée théoriquement entre l’Empire britannique et l’Égypte, dans la réalité les anglais étaient les véritables maîtres. La totalité des pouvoirs revenait de fait à l’administration britannique, dont l’objectif stratégique était de « déségyptianiser » le Soudan. En ce sens, Churchill voyait en le condominium l’instrument efficace anglais pour affaiblir l’Égypte.

L’Islam au Soudan est arrivé tardivement et était principalement confrérique. Politiquement, ces confréries étaient les forces vives du Soudan, proches des pouvoirs en place mais surtout mobilisaient la population, d’où leur force. Déjà, au XVIII siècle, même avec la décadence du Royaume des Funj[1] et la conquête turco-égyptienne, leur rôle politique ne faiblit pas.

Tenant compte de cet élément stratégique, la pacification du territoire par les britanniques va commencer par la régulation du champ religieux. Cette politique avait un double objectif. En permettant une pratique de l’islam « avec une liberté surveillée » dans les mosquées à l’intérieur des agglomérations, l’administration britannique cherchait à gagner les cœurs des soudanais. Ensuite, pour éviter toute émergence de « mouvement fanatique orthodoxe » semblable au « Mahdisme », qui fut écrasé auparavant pour servir d’exemple, toute activité religieuse pratiquée dans les « zawaya »[2] (soufisme)[3] a été rigoureusement réglementée et assujettie à des autorisations du pouvoir central. Parallèlement, on encouragera la « Khatmiyah »[4], rival du Mahdisme, pour devenir solennellement la « tariqa » du Gouvernement. Dans cette lignée, un « Conseil des Oulemas[5] » (Conseil consultatif de conseillers sur les affaires de l’islam) voit le jour, un droit musulman appliqué au statut personnel destiné aux soudanais musulmans est institué, et enfin des tribunaux islamiques sont créés.

L’avènement de la 1°Guerre Mondiale incita les britanniques à manipuler les confréries pour mener des campagnes de sensibilisation afin d’éviter que la population ne sympathise avec l’axe Empire Ottoman-Allemagne mais surtout avorter les révoltes anomiques jusqu’ici maitrisées, dont l’esprit du mahdisme qui prône principalement le retour à l’islam ancestral et le rejet des étrangers, ne s’est pas éteint. Résultat, la Senoussiyya, présente fortement en Libye et au Tchad, en s’attaquant à l’Egypte, fût écrasée par l’alliance franco-britannique. Cette victoire en 1916 mit fin définitivement à l’existence du Royaume du Darfour.

Au sud, les poches de résistance restantes, dont les protagonistes étaient essentiellement des prisonniers mahdistes, furent écrasées par des bombardements aériens en 1904 mais sans aboutir véritablement à une sécurisation totale de la zone. Cette campagne continuera au-delà de 1918. Parallèlement, une politique de « christianisation » du sud a commencé. La langue arabe et l’éducation religieuse islamique sont intentionnellement bannis, préparant ainsi le terrain à la « Southern Policy » qui sera initiée en 1924.

Sur le terrain, dès 1902, une architecture administrative va être habilement mise en place aux fins de décrédibiliser l’élite traditionnelle locale. Il s’agit d’un système éducatif qui allait faire émerger une élite de jeunes cadres, destinée à aider les britanniques dans leur gestion de la partie Nord. En accordant aux nouveaux cadres un droit de regard sur les décisions des anciens, et les casser si nécessaire, l’objectif réel était d’affaiblir l’autorité des notables traditionnels en subissant de pareilles avanies. On se situe dans la phase « administration directe » (direct rule).

Sur le plan militaire, soucieux de ne pas mélanger les conscrits soudanais et égyptiens pour ne pas être en butte à des rébellions, les britanniques ont créés des régiments non amalgamés et même une académie militaire destinée à la formation des officiers soudanais.

Néanmoins, en 1919, le vent de la révolution égyptienne, entamée depuis 1918 pour réclamer son indépendance, atteint le Soudan, probablement par la voix de Sayyid Darwich dans sa célèbre chanson (Quoum ya Masri) « la voix du peuple ». Soixante officiers égyptiens se rebellent à khartoum et rédigent un mémorandum d’indépendance de l’Égypte. Dans cet imbroglio, les notables soudanais réclament la désunion avec les indépendantistes égyptiens car ces derniers souhaitent annexer le Soudan à la future Égypte indépendante.

Les britanniques vont alors se précipiter pour mettre en place une politique pernicieuse dont la feuille de route tourne principalement autour des points suivants :

  • Création d’une armée purement soudanaise qui sera dénommée plus tard la « Soudan Defense Force » ;
  • Une large implication des Soudanais dans la vie politique ;
  • Empêcher « l’islamisation » du sud en le faisant rapprocher davantage du Kenya et de l’Ouganda ;
  • Réguler la libre circulation des personnes et des biens entre le Nord et le Sud en donnant aux gouverneurs le droit de la bloquer (loi sur les passeports).

Le plan mis en place depuis 1920 va se concrétiser en 1924 après l’assassinat du Sir Lee Stack au Caire et qui a permis le refoulement des troupes égyptiennes hors du Soudan. L’Égypte, pour se prévaloir une position dominante sur le Soudan, réellement factice, a accepté de continuer de financer l’armée soudanaise.

A partir de 1924, l’administration britannique va adopter la politique du « direct rule » qui consiste à charger l’élite traditionnelle de la gestion de quelques affaires, réellement « sans importance ». Au Nord, l’enseignement religieux, par le biais des écoles coraniques va prendre le dessus sur l’enseignement moderne dont les écoles vont stagner, voire fermer. Au sud, la campagne de pacification va continuer et les non soudanais du nord, grecs et syriens sont sollicités pour développer le commerce. Juba est créée en 1922. Les missions chrétiennes se chargeront de l’enseignement, l’anglais est encouragé. Le droit musulman, appliqué dans les tribunaux régresse en faveur du droit coutumier indigène.

En 1935, avec la guerre d’Éthiopie, une poussée de nationalisme critiquant la politique de ségrégation a été menée par les jeunes cadres soudanais, commence à gagner le terrain et inquiéter les britanniques. Ce sentiment va être exacerbé en 1936 avec l’indépendance de l’Égypte.

De 1937 à 1954 une série d’événements va se succéder pour aboutir à la naissance du Soudan. L’Égypte, après le coup d’État des militaires va accepter la proposition Mahdiste approuvant une période transitoire d’autonomie sous contrôle international suivie d’une auto-détermination. Les britanniques se joignent à la proposition égypto-soudanaise et en 1953, le NUP (National Unionist Party) sort vainqueur des élections.

Alors que les britanniques s’apprêtaient à quitter le pays vers la fin 1954, une liste de remplacement de 800 fonctionnaires a été dressée ne comportant que six sudistes. Le sentiment de l’exclusion au sud, alimenté par l’arrestation du député de Yambio va enclencher des émeutes et une mutinerie d’un bataillon de l’armée, commandé par des officiers arabes. C’est le début de la détérioration des relations entre Khartoum et le Sud du pays.

Préférant la formule d’État fédéral, et après des promesses qui leur sont faites non tenues au final, les députés sudistes votent la motion d’indépendance, sans obtenir ce statut fédéral. Le Soudan devient indépendant le 1er janvier 1956.

Ainsi, d’une manière résumée, nous avons relaté les événements de l’histoire du Soudan sous la double domination britannique et égyptienne. Ce récit, à consulter sur plusieurs ouvrages et sur internet avec plus de détails, est important pour comprendre l’essence du problème Nord- Sud du Soudan. Il a servi de prélude à la partie naissance du Soudan du Sud que nous réservons pour prochainement.


[1] C’est le Royaume du Darfour. Il émerge dans l’histoire au début du XVIe siècle, deux siècles après la chute des royaumes chrétiens de Nubie, une région s’étendant de part et d’autre de la frontière égypto-soudanaise.

[2] Pluriel de Zaouia ou Zawiya, lieu de culte construit sur le tombeau d’un saint homme.

[3] Le sufi est le musulman qui pratique le tasawwuf, la mystique.

[4] Du mot arabe « Khatim al-Ṭuruq » « Sceau des Ṭāriqas », secte la plus importante du Soudan lors de l’insurrection des mahdistes.

[5] Ou Ulema, pluriel de « Âlim », érudit et théologien.