Depuis la disparition de l’URSS et l’instauration d’un monde unipolaire temporaire, assuré par les Etats Unis d’Amérique, un nouvel ordre mondial a émergé. Du coup, il est défendu par l’Occident qui croyait que ses valeurs l’ont emporté sur le reste du monde. Par contre ces dernières années la vitesse du son a touché aussi la gestation d’un nouvel ordre mondial dont les indices se justifient par les alliances et les pactes entre les uns et les autres. Pourtant, quelques années avant les attentats du 11 septembre, les Etats Unis d’Amérique n’avaient pas besoin d’autant de lignes de défense et d’alliances dans le monde, pour protéger leurs intérêts vitaux. Certains des partenariats stratégiques au niveau bilatéral ou multilatéral pourraient constituer des indices forts à la constitution d’un monde multipolaire.
Une Russie offensée
Blessée et touchée dans ses intérêts stratégiques, la Russie, ancien Empire des Tsars et à la tête des républiques soviétiques, s’est résignée en vue de démarrer une nouvelle ère de son histoire. Puis elle a attendu le moment favorable pour annexer la Crimée en 2014, qu’elle a toujours réclamé depuis que ce territoire était sous la souveraineté de l’Empire Ottoman.
N’ayant pas trouvé de grandes résistances, à part les sanctions mal choisies par un Occident devenu désuni et divisé sur des affaires géoéconomiques et géopolitiques, la Russie fédérale a tenté une autre fois sa chance en annexant les territoires voisins, dont les populations demandaient l’indépendance ou au moins une autonomie du pouvoir central ukrainien.
Sentie trahie par l’Occident qui n’a pas tenu sa parole concernant l’élargissement de l’OTAN et encerclée par les Etats qui ont adhéré à cette organisation, la Russie a rallié à sa cause la Chine qui à son tour ressentait depuis des décennies l’humiliation dont elle a été sujette, depuis la fin du XVII -ème siècle jusqu’à nos jours. Le retour de la Russie sur l’actualité internationale a été à l’origine de l’union politique de la majorité des Etats européens et de l’Occident. La guerre d’usure dont elle fait l’objet seule, pourrait lui apporter beaucoup de pertes, face à une coalition forte dans tous les domaines…
La Chine prête à toute éventualité
Désormais par la diplomatie ou par la force, la Chine veut à tout prix récupérer l’île de Formosa qui va renforcer ses fenêtres sur le Pacifique et les autres les îles qu’on lui a prises avant et après la deuxième guerre mondiale. Le Japon ancien ennemi historique ne va pas échapper à ses analyses stratégiques. Tout simplement depuis 1903, à nos jours, il a continué d’être l’allié de l’Occident.
Economiquement, sa philosophie de gagnant – gagnant a pris du terrain partout dans le monde. Les pays du Sud croient à cette façon de penser et d’échanger. Contrairement à l’Occident qui insiste souvent sur la démocratisation des systèmes politiques, l’Empire du Milieu ne leur a jamais demandé d’épouser ses valeurs ou critiqué leur mode de gestion politique. La route de la soie que la Chine défend à travers l’UNESCO depuis 1964 commence à donner ses fruits. En traversant les quatre coins du monde par voies terrestres (routières et ferroviaires) et maritimes, la Chine a pu installer une sorte de comptoirs commerciaux.
En passant par l’Asie centrale vers l’Europe, pour exporter ses marchandises et en accentuant les relations avec les Etats possédant l’énergie au Moyen-Orient, les minerais en Afrique puis en accordant des prêts plus avantageux que ceux de la Banque mondiale, la Chine devient le premier acteur économique universel. En participant à la politique de dédollarisation, elle a renforcé la souveraineté de sa monnaie locale. Elle paye ses créances et ses importations énergétiques avec sa propre monnaie.
Dans le cadre des échanges économiques, la Chine a réintroduit le troc avec les pays du Sud , a implanté des usines de transformation et construit plusieurs infrastructures avec des prix abordables. Pour avoir la mainmise sur les produits alimentaires, elle continue d’ acheter des milliers d’hectares de terres agricoles . Ainsi, en matière économique, le chinois toujours souriant et diplomate, ne s’ingérant pas dans les affaires politiques des Etats du Sud, a bien gagné l’arrogance de certains acteurs économiques du Nord.
En matière de défense, la Chine a senti l’intérêt que donne les Etats Unis d’Amérique et leurs alliés à la région Indopacifique. Néanmoins, elle continue de surveiller les manœuvres militaires occidentales et particulièrement américaines, puis n’attend que le renforcement de ses capacités opérationnelles pour modifier le tracé frontalier qu’on lui a longtemps imposé. Elle construit un arsenal militaire très moderne et ses sous-marins ou ses portes avions ne cessent d’attirer l’attention des satellites américains. Car ils deviennent nombreux et apparents. La stratégie orientale qu’elle soit chinoise ou indienne est lente et ne se précipite pas. La réaction stratégique orientale agit tardivement et efficacement. Car la stratégie de Sun Tzu et de ceux qui l’ont suivi ont toujours préféré la diplomatie ou la ruse à l’engagement militaire.
Diplomatiquement la Chine a repris les modes de la diplomatie offensive pour proliférer au niveau international ses intentions concernant ses objectifs stratégiques dans le monde. La question de modification de la géopolitique frontalière chinoise n’est qu’une affaire de temps. Les discours du premier homme Chinois le confirment pendant chaque cérémonial national[1]. Par contre, grâce à sa présence économique dans le monde, son désengagement dans les affaires internes des pays, la majorité des Etats du Sud pour ne pas dire du globe ne vont pas désapprouver ses actions politico-militaires. Car ils croient en fin de compte que Taiwan fait partie du continent chinois.
La stratégie intérieure chinoise va continuer à imposer à ses populations l’idéologie du parti unique. Car, dans leur histoire, les différents empires qui se sont succédés en Chine, ont misé sur un seul pouvoir central qui se nourrissait du système féodal pour avoir la mainmise sur tout le territoire. Aujourd’hui et demain, le parti va continuer d’unir les populations au nom du patriotisme et de l’intérêt général. La surveillance des citoyens par les moyens technologiques est un signe fort de la continuité dans le temps, d’un parti fort et unique.
Les sorties récentes des chinois dans les villes de Wuhan, Pékin et Shanghai pour protester contre la politique « Zéro Covid » n’est pas un incident grave ou déstabilisateur du pouvoir et ce malgré ce que disent les médiats internationaux. C’est peut-être une vitrine chinoise pour montrer au monde qu’on peut se manifester en Chine. Car, la situation sociale des chinois s’est beaucoup améliorée et en cas de crise sociale grave, le scénario de la place « Tian’anmen » , pourrait se répéter sans que le pouvoir en place, ne se soucie de ce que va dire le reste du monde.
Les Etats Unis d’Amérique et priorité stratégique
Face à l’Empire du Milieu, les Etats Unis d’Amérique ont orienté de façon catégorique leurs activités stratégiques vers la priorité Indopacifique. Sur le terrain, les américains ont été les artisans du pacte AUKUS[2]. Si ce pacte est constitué de populations anglosaxonnes[3] celui du QUAD[4] (l’Inde, le Japon et l’Australie) constitue une réussite diplomatique. Car, l’Inde a toujours été du côté des non-alignés puis des socialistes. L’URSS ou la Russie ont été des fournisseurs d’armes de l’Inde. Mais même si l’Inde est membre du BRICS, elle a toujours des conflits de partage frontalier avec la Chine et le Pakistan. Les deux Etats constituaient les grands empires de l’Asie. Par contre en Asie, l’Empire du Soleil Levant se trouve en conflit continu avec la Chine, la Russie et la Corée du Nord. Donc, il a besoin beaucoup plus que les Américains de ce pacte.
Quittant progressivement le Moyen-Orient, pour déléguer sa surveillance à leurs alliés qui sont Israël, la Turquie et les pays du Golf, les Américains savent très bien que le futur du monde se prépare dans la région indopacifique. L’accord d’Abraham[5] entre les pays arabes et l’Etat hébreu pourrait constituer une force importante et un équilibre non seulement au Golfe persique ou en mer Rouge, mais aussi en Méditerranée. Les Américains ont intérêt à renforcer les pays de cette nouvelle coalition avec la technologie militaire de pointe, capable de faire face aux Etats qui sont contre leur politique au niveau régional ou international.
Leur désengagement gradué en Europe pourrait être révisé à cause du nouveau foyer de crise à l’Est du vieux continent. Car, la guerre en Ukraine a perduré pendant plusieurs mois et ce n’est pas le soutien logistique seul, qui va mettre hors d’usage ou de nuire la Russie fédérale. Les Américains sont appelés à prouver à leurs alliés européens, particulièrement ceux qui ne croient pas aux buts de leur soutien, qu’ils pourraient compter sur eux face à n’importe quel enjeu géopolitique.
Leur nouvelle ligne de défense en Europe est devenue un maillon faible. Car, face à un ennemi qui possède une importante force de dissuasion nucléaire, les américains ont commencé par la guerre économique et la guerre de l’information contre le régime russe, avant de fournir aux ukrainiens et à leurs voisins, les armes nécessaires à cette nouvelle guerre. D’ailleurs plusieurs Etats de l’Europe participent à l’effort de guerre et pour se préparer à une éventuelle guerre, achètent les matériels majeurs fabriqués par les industries américaines.
Dans cette course pour un nouvel ordre mondial, les pays du Sud pourraient devenir, comme dans le passé du monde bipolaire, des théâtres d’affrontements entre les anciennes valeurs qui ont longtemps régné sur le monde et les nouvelles approches stratégiques qui laissent la place à la diversité des systèmes politiques en respect des formes altérées des démocraties limitées. L’Afrique réservoir mondial des tous les produits stratégiques, fera l’objet de plus en plus de convoitises[6] une fois la situation devenue claire en Ukraine et en Indopacifique[7].
[1] Tel que je l’ai déjà signalé dans le dossier que j’ai réservé à la géopolitique chinoise dans les anciens numéros de geopolitique.ma, le Chef de l’Etat chinois a rappelé à l’Occident et au monde entier l’humiliation qu’a connu son pays. Il ne veut pas renoncer à l’annexion de Taiwan qu’il considère territoire national. Aussi, en 2019, au cours des festivités du centième anniversaire de la République populaire communiste. Le président chinois Xi Jinping défend le fait que la Chine va devenir la première puissance mondiale en 2049.
[2] Ce pacte, considéré partenariat stratégique, a été annoncé le 17 septembre 2021 afin de faire face à la montée en puissance chinoise en Indopacifique. Alliance stratégique constituée en plus des américains, de l’Australie et du Royaume-Uni.
[3]Il ne faut pas négliger en plus du QUAD, les cinq yeux « Five Eyes » constitué : États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande qui défendent les valeurs des pays anglosaxons. La France, l’Allemagne et d’autres Etats occidentaux se sentent exclus des pactes de l’Indopacifique .Et ce malgré que la France possède des territoires (iles ) dans la région.
[4] La première réunion de cette alliance a vu le jour en septembre 2021 à Washington. Selon le communiqué rendu publique, signé par le président américain Joe Biden et les chefs de gouvernement indien Narendra Modi, japonais Yoshihide Suga et australien Scott Morrison, il est cité la défense de « l’Etat de droit, la liberté de navigation et de survol, la résolution pacifique des conflits, les valeurs démocratiques et l’intégrité territoriale des Etats ».D’ailleurs, les navires de guerre continuent de sillonner la région au nom de la libre navigation. Puis une autre réunion du pacte à Tokyo en mai 2022 dans laquelle le premier ministre japonais a signalé l’opposition du QUAD à tout changement de statu quo par la force dans la région Indopacifique.
[5] Sous l’égide de l’Administration américaine les accords d’Abraham ont été signés en décembre 2020 en vue de normaliser les relations diplomatiques entre Israël ancien ennemi des arabes et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc. D’autres Etats arabes vont faire de même. Car, ils ont des relations d’intérêt avec l’Etat hébreu et ce n’est qu’une question de temps.
[6] Les Etats Unis d’Amérique, la Chine, le Royaume Uni, la France, l’Inde, le Japon, la Turquie, l’Allemagne, le Royaume du Maroc et l’Afrique du Sud resteront, probablement les premiers bailleurs de fonds en Afrique. Par contre la position de la Russie en Afrique, dépendra des résultats de sa campagne en Ukraine.
[7] La France, l’Allemagne et d’autres Etats occidentaux, faisant partie de l’OTAN, se sentent exclus des pactes de l’Indopacifique. Et ce malgré que la France possède des territoires (iles) dans la région.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.