(Suite partie 2)
La Libye n’a pas profité de ses richesses
Partant du principe que le pays est désertique et son climat n’est pas clément à part dans les zones côtières, la construction de la rivière artificielle[1], par l’ancien régime, n’a pas entièrement satisfait les ménages et les secteurs économiques, particulièrement l’agriculture, qui dépend de l’eau. Car, le manque de précipitations et la mauvaise qualité du sol, rendent la Libye toujours dépendante des importations des produits alimentaires. Faisant partie des pays touchés par le stress hydrique, la Libye doit penser en urgence au traitement des eaux usés et augmenter sa capacité en usines de dessalement d’eau.
Au niveau social, avec une population de moins de 7 millions, y compris la main d’œuvre étrangère[2], l’accès aux services de base laisse beaucoup à désirer. Les infrastructures sanitaires et les moyens qui en dépendent demeurent très faible. L’enseignement connu par sa gratuité à tous les niveaux, est touché par des problèmes créés par la guerre civile. En septembre 2023, officiellement sont attendus dans les écoles, environ deux millions et quelques d’élèves.
En plus, de la richesse énergétique[3], la Libye dispose d’une importante réserve minière, concernant principalement le fer[4] et l’uranium[5]. Mais, comme son voisin algérien et la majorité des pays arabes, producteurs du pétrole, l’industrie du pays est très dépendante des exportations des hydrocarbures. Par contre, le gagnant du conflit actuel est la partie qui a la mainmise sur les sites pétroliers, les infrastructures portuaires, les terminaux et les pipelines utilisés pour la commercialisation.
Le choix politique du pays a influencé directement sur les industries légères et de transformation[6] , qui sont dépendantes de l’étranger et aussi une industrie lourde très embryonnaire. Le secteur tertiaire qui n’est pas développé, n’a pas échappé à ce choix politique. Ainsi, malgré les sites historiques et naturels dont dispose la Libye, le tourisme ne participe que peu dans l’économie nationale.
En fin, il est important de rappeler que les importantes réserves en devises et en or libyen ont disparu de façon bizarre, après la chute du régime de Mouammar KADHAFI[7]. Grâce à la manne pétrolière, le défunt président a longtemps contrarié les puissances occidentales, financé les révolutions et encouragé le séparatisme dans le monde. A une certaine époque le pays a été sévèrement sanctionné par l’Occident et qualifié d’Etat terroriste. Actuellement, ce sont les terres libyennes, qui sont devenues le théâtre de toutes les sortes de violences.
Les facteurs d’instabilité et de rivalité
Touchée en plein fouet par la guerre civile, la Libye fait face à certaines limites sécuritaires qui entravent la bonne marche du pays. Cette crise politique actuelle continue de peser sur la stabilité et pourrait déclencher, à n’importe quel moment, une guerre civile.
En plus à cause la guerre civile, la faiblesse d’institutions compétentes et la non surveillance des frontières, la Libye constitue la meilleure opportunité en méditerranée pour la migration clandestine du Sud vers le Nord. La Ligue Arabe, l’Union Africaine, l’Union Européenne et même l’Organisation des Nations Unies n’ont pas réussi à stabiliser la situation libyenne.
Devenu un terrain de guerre par procuration, les deux parties antagonistes en conflit sont soutenus de l’extérieur selon leur intérêt idéologique et comme suit :
Jusqu’à présent, la communauté internationale soutient par le biais de l’ONU, le Gouvernement d’union nationale (GUN) installé à Tripoli. En parallèle cette entité politique est soutenue principalement par la Turquie, le Qatar et accessoirement par l’Italie, ancien colonisateur du pays et la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, l’Armée nationale libyenne (l’ANL), qui occupe une grande partie du territoire est aidée dans son combat par les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte qui est pays limitrophe, la France, la Russie et les Etats-Unis.
Les ambitions des puissances classiques ou émergentes, sinon régionales avec les antagonistes internes, constituent les plus importants défis de la géopolitique libyenne. Désormais, la Libye devenue objet de rivalité, fait partie des plans de la reconstruction du nouvel ordre international.
Auparavant on a trouvé le moyen de s’ingérer en interne, au nom du droit international, pour chasser Feu Colonel KHADAFI, cette fois-ci, c’est au nom de lutte contre le terrorisme et les crimes organisés qu’on est en train de partager les richesses libyennes et de se positionner stratégiquement non loin de la Méditerranée orientale, qui dispose d’un grand potentiel gazier de proximité par rapport aux marchés.
Une montée en puissance des groupes armés
Les groupes armés sont devenus une carte importante pour le Gouvernement d’Union Nationale (GUN) et pour l’Armée Nationale Libyenne (ANL). Ce qui est mal apprécié, c’est qu’ils ont été introduits dans les institutions politiques, économiques et sécuritaires du pays. Suite au vide sécuritaire enregistré dans le pays, certains citoyens croient en eux, comme garants de sûreté et de stabilité dans les villes. Même le volet religieux qui a le Malikisme ancré dans son histoire a été infiltré par la pensée salafiste des différents groupes armés qui ont une idéologie religieuse.
Le groupe armé le plus répandu dans la majorité des cités importantes du pays, est le Madkhaliste[8] d’origine salafiste. Il est constitué de plusieurs milliers de combattants, partagés entre les deux camps antagonistes. Cette armée considérée privée regroupe des combattants de plusieurs tribus, qui croient au même courant salafiste et qui peut avoir son mot à dire dans la décision finale de la réunification du pays. Présente partout, les observateurs de la situation en Libye, se demandent souvent, sur le camp que le mouvement Madkhaliste va choisir ?
En attendant, ce mouvement salafiste, a infiltré les composantes de l’armée, la police, les services de renseignements et d’autres postes clés de l’Etat libyen. Devenu financièrement puissant à l’instar du Hizboullah au Liban et le mouvement Hamas en Palestine, le mouvement Madkhaliste pourrait décider en grande partie de l’avenir politico-économique de la Libye.
Groupes armés étrangers
Constitués au départ et financés par l’étranger pour combattre le régime du défunt colonel KADHAFI. L’origine de ces groupes extrémistes vient de l’État islamique d’Iraq et du Levant (DAECH)[9] , Ansar al-Charia et tout le reste des groupes affiliés à Al-Qaida.
Sur le terrain, suite à l’absence d’une autorité unifiée, sans compter les réseaux mafieux ou les différentes milices ad-hoc, en plus des deux camps rivaux, on trouve plusieurs groupes armés[10] avec différents courants islamiques. Ils constituent une menace à la sécurité nationale et régionale. Il s’agit principalement des groupes de l’Etat Islamique (IS)[11], et du Conseil Derna Moujahidine Shoura (CDMS)[12]. Ansar Al-Sharia ont été dissous le 27 mai 2017. Tous ces combattants étrangers venus des théâtres du Moyen -Orient, généralement de la Syrie et de l’Irak, ont la particularité d’épouser l’idéologie religieuse extrémiste.
Ensuite, certains combattants sont venus combattre avec l’une des deux forces antagonistes, aspirant au pouvoir en Libye. Ce sont des combattants des pays voisins du Sahel : Tchad, Soudan[13] , Mali, Niger et d’autres minorités des pays voisins qui sont dans le besoin et n’épousant aucune idéologie.
Enfin tel qu’il est cité par les médias internationaux le Groupe Wagner est aussi présent sur le terrain pour soutenir la partie sous contrôle de l’ANL. Malgré la disparition de son chef dans un accident tragique d’avion il y a quelques jours, ses éléments vont continuer à maintenir leur présence et défendre les intérêts stratégiques de la Russie.
En somme, malgré la présence de l’ONU et le caractère contraignant de la résolution 2178[14] sur les « combattants terroristes étrangers », adoptée par le Conseil de sécurité à l’unanimité, pour tous les Etats membres de l’ONU, certains Etats du monde continuent de financer et utiliser les combattants étrangers à des fins géopolitiques et géoéconomiques. La Libye est devenue le théâtre par excellence de l’antagonisme multipolaire. La reconstruction de la paix ne se fera pas sans le mécanisme de désarmement démobilisation et réinsertion (DDR). Les combattants des milices locales, ne doivent en aucun cas faire partie des institutions sécuritaires. Celles-ci doivent avoir la formation et la neutralité nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. L’organisation des élections dépend du décrochage des combattants étrangers de l’entente des parties nationales et internationales concernées par ladite crise.
Néanmoins pourquoi les réunions de Bouznika pourraient reconstruire la paix en Libye ?
A suivre…
[1] Le barrage de Wadi KAAM a été asséché à partir de 1921.
[2] Des milliers d’ouvriers étaient importés des pays arabes. C’est une carte de pression qu’utilisait le Guide de la révolution libyenne contre les pays arabes. Il a des fois chassé des communautés ouvrières, pour punir leur régime.
[3] La commercialisation du pétrole et ses dérives dépasse les 90% en matière de revenu. Car certains organismes parlent de 92% et d’autres avoisinent les mêmes chiffres. Car pour être objectif, avec la guerre, les chiffres ne sont plus exacts.
[4] Des mines de fer ont été découvertes dans le sud-ouest de la Libye.
[5] Les mines d’uranium dans le sud-ouest de la Libye, non loin de la frontière algérienne.
[6] Contrairement à d’autres pays objets de sanctions, la Libye n’a pas bien profité de développer sa souveraineté ou augmenter le potentiel de son industrie légère et de transformation suite à l’embargo aérien et militaire décidé par la résolution 748 du 31 mars 1992. La Libye a été accusée d’avoir organisé l’attentat de Lockerbie en 1988 et l’attentat du DC-10 d’UTA au Niger en 1989.
[7] Comme on dit « celui qui tue par les armes périt par les armes », le printemps arabe de 2011 a été à l’origine de l’assassinat de KADHAFI le jeudi 20 octobre 2011, de l’intervention multinationale militaire en Libye, baptisée opération ‘Unified Protector’, qui a eu lieu entre le 19 mars et le 31 octobre 2011 et en application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, en vertu du principe de ‘’la responsabilité de protéger’’ les populations civiles‘’.
[8]Mouvement né en Arabie Saoudite pour légitimer la présence des occidentaux sur le territoire musulman. C’est un mouvement qui encourage à l’instar du Wahabisme le respect total de la décision du Calife .C ‘est à dire, excepter l’infidélité, le chef a toujours raison, même si ses engagements pourraient être violentes. En Libye, le courant madkhaliste a été longtemps allié au régime Kadhafi entre les années 1990 et 2000 pour faire face au courant des Frères musulmans en Egypte, dominant dans le monde arabe, par rapport au Wahabisme saoudien et pour neutraliser le Groupe Islamique des Combattants en Libye (GICL) qui a disparu par la suite.
Défendant le rêve de créer un Etat islamique avec un seul Calife, même par l’extrême violence, ce mouvement est très présent en Asie et en Afrique. Implantés dans le sud libyen et tentent d’avoir de s’imposer dans les grandes villes du sud, les combattants de ce groupe souvent traqués par les éléments de l’ANL.
[10] Ces groupes armés renforcés par les combattants étrangers venus des autres théâtres et d’autres mercenaires non musulmans sont à l’origine des violations de l’embargo sur les armes. D’ailleurs, lors des conférences internationales sur la Libye, de Berlin en 2020 et de Paris en 2021 sur la Libye, il a été décidé à ce que tous les combattants étrangers, mercenaires et mêmes forces étrangères quittent la Libye afin d’organiser les élections en décembre 2021.
[11] Groupe d’idiologie salafiste intégriste dont l’effectif ne dépasse pas les 3000 combattants et dont la majorité est établie à Syrte.
[12] Association de groupes extrémistes, qui partage les mêmes intérêts et croyances, basée principalement dans la ville de Derna. Suspecte d’avoir des relations étroites avec Al-Qaïda.
[13] Des milliers de combattants venus du Darfour organisés au sein de milices qui travaillent, sans obligatoirement d’appartenance idéologique, sous les ordres de l’un des deux belligérants. Ils pourraient changer de camps selon la paye qu’on leur offre. Car, au fond ce ne sont que des mercenaires.
[14] Ladite résolution oblige les Etats membres à : « prévenir le recrutement prévenir le recrutement, l’organisation, le transport et l’équipement d’individus qui se rendent dans d’autres Etats pour planifier, préparer ou effectuer des actes terroristes, ou pour fournir ou recevoir un entraînement terroriste et des financements pour ces activités »
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.