La stratégie adoptée par le Hamas, est devenue payante pour Israël et ses alliés. Personne n’attendait que les combattants du Hamas aient acquis un certain degré de combativité et de résilience face à une armée redoutable comme celle d’Israël, qui a choisi d’exécuter depuis le départ de la contre-offensive des opérations de grandes envergures.
Après plusieurs mois, le mode de soumission souhaité par la classe politique de l’Etat hébreu n’est devenu qu’un simple mirage. Sont touchés par cette guerre non seulement les pays voisins, mais aussi plusieurs Etats du monde, qui font le commerce avec le Moyen-Orient. Du jour au lendemain, en plus des USA, du Royaume Uni plusieurs Etats n’ont pas intérêt à voir le conflit durer.
Au niveau de la Bande de Gaza
Tôt ou tard, l’expédition israélienne va se terminer par un retrait involu et payant en hommes et en matériels majeurs. Ce n’est nullement pas dans l’intérêt économique israélien de continuer cette guerre. La première réaction à cette opération a été plus impulsive et l’élite politique aurait dû laisser à l’Etat-major la liberté de choisir la stratégie appropriée au lieu de chercher le responsable. Le conflit arabo-israélien a trop duré et la solution au conflit est entre les mains des responsables. Le soutien de certains Etats occidentaux ne pourrait durer. Car, il y a toujours moyen de revenir aux accords d’Oslo de 1993 liés au processus de paix entre Israël et la Palestine[1].
L’évolution des combats à Gaza montre bien que la stratégie du Hamas l’emporte encore sur le terrain. A ce niveau notre analyse se base sur les facteurs ci-après :
-La valeur de la riposte du Tsahal n’est pas efficace. Car, elle n’a pas pu détruire définitivement la capacité des combattants adverses. L’armement et la logistique du Hamas demeurent rudimentaires, on fait avec ce qu’on peut, mais avec efficacité. Les matériels majeurs israéliens sont détruits et déclassés, dans la mesure où ils perdent leur renommée technologique. Le problème du ravitaillement des assiégés, ne pourrait avoir de conséquences sur leurs actions. Car, ils prennent surement leur part de ce qui rentre par le passage de Rafah. Le soutien égyptien au Hamas n’est pas prouvé par Israël. Comme on dit : « la preuve incombe au demandeur ». Tant que l’opération dure les combattants se modulent avec les circonstances et recrutent au nom du Jihad, d’autres volontaires.
-La tactique du siège de Gaza choisie par les combattants du Tsahal n’a pas jusqu’à présent donné de résultats. Au contraire, c’est devenu un piège pour les moyens auto chars pris chaque fois de surprise par les combattants du Hamas. Donc les engagements par surprise et les embuscades ont paralysé les combattants du Tsahal. Les combattants du Hamas ont toujours l’initiative de choisir le terrain et les cibles faciles ou les plus exposées. En tant qu’assaillants même avec les unités blindés et l’aviation, les unités du Tsahal n’ont pas pu contrôler en entier, la bande de Gaza ;
– L’hétérogénéité de l’armée israélienne va continuer à être soulevée. Car les différentes ethnies qui la composent rendent difficile la cohésion et l’entente[2]. Depuis sa constitution l’armée a toujours été politisée et a été une sorte de pépinière ou fabrique de présidents, qui se sont succédés au pouvoir de l’Etat hébreu ;
-Dans ce type de combat de localités il est toujours confirmé que sans fantassin il n’y a pas de souveraineté sur les lieux conquis et c’est les combattants isolés en équipes ou en groupes qui l’emportent sur les unités classiques. On a l’impression que les forces de défense d’Israël jouent le chat et la sourie avec les assiégés, qui sont surveillés par les différents moyens aériens en vue de les détruire, chaque fois qu’ils sortent de leurs trous ou tunnels ;
-Les combattants gazaouis tout en utilisant la ruse, ont souvent déjoué les manœuvres de leur ennemi. Ils ont adopté leur propre art de la guerre basé sur le combat des anciens cavaliers arabes, qui s’explique par le fait d’attaquer et de se replier[3], autrement dit, disparaitre vite dans les tunnels. En revanche c’est cette rapidité qui leur donne la force de continuer et de combattre dans la clandestinité ;
Au bout du compte, malgré qu’ils soient les assiégés les combattants du Hamas ont généralement bien choisi leur stratégie. Cela justifie par le fait, qu’ils sont très bien renseignés, qu’ils choisissent des espace-temps favorables à leur embuscades, l’usage de la ruse est privilégié, la rapidité dans les modes d’actions est de leur priorité, l’effet psychologique est apparent et la résilience face à une armée de référence internationale est justifiée.
Au niveau régional et international
La région est devenue une poudrière susceptible d’engendrer un nouveau conflit entre l’Iran soutenue par ses milices et les occidentaux en particulier les USA et le Royaume Uni. Le Hamas a pu rallier à sa cause d’autres acteurs qui n’attendaient que l’occasion pour se manifester. Donc c’est une stratégie qui menace toute la région. Les points ci-après montrent bien que la guerre de Gaza a été la cause de l’internationalisation des tensions et des menaces à la sécurité et la paix internationales :
-Les navires civiles et militaires passant par la mer Rouge pris pour cibles par les rebelles houthis du Yémen ont provoqué le détournement de la route commerciale traditionnelle[4] en faisant le tour de l’Afrique. D’ailleurs, suite à l’engagement des Houthis contre l’opération d’Israël à la Bande de Gaza, les saisis de cargos et les attaques par groupes de commandos, ou drones et missiles ont contraint les grandes firmes du transport maritime international à annuler suspendre toute traversée de leurs navires en mer Rouge et via le Canal de Suez ;
-L’Egypte n’a pas intérêt à regarder le film. Car, elle perd ses recettes habituelles sur le canal. Cette suspension de route commerciale est à l’origine du retard dans les livraisons des marchandises et des hydrocarbures. Ceci a désorganisé certains ports du monde et a rendu les transports plus coûteux ;
-Les pays du Golfe et à leur tête le Royaume d’Arabie Saoudite doit trouver une solution à la menace qui n’est pas loin de ses frontières. L’effort diplomatique est à concentrer sur le Yémen. Car les rebelles Houthis ont démontré qu’ils sont prêts à tout faire et n’ont rien à perdre.
-Etant la plus concernée par ce qui se passe, la stratégie de l’Iran et ses affiliés a pu créer un désordre et un dysfonctionnement grave dans sécurité régionale. Les déplacements ne sont plus sécurisés. Un affrontement entre les USA et l’Iran pourrait être à l’origine d’une troisième guerre mondiale. Nul ne pourrait garantir que la Russie et la Chine ne viennent au secours de l’Iran.
-Les attaques de drones, depuis la fin de janvier 2023 à nos jours visant les sites d’industrie militaire à l’intérieur du territoire iranien à Ispahan pourrait être imputée aux israéliens. Cette attaque pourrait avoir comme objectif de retarder les travaux liés à la recherche nucléaire. Sinon avoir une relation avec la diminution du potentiel en drones des russes des groupes affiliés à la Garde Révolutionnaire au Moyen-Orient ;
– En représailles aux attaques menés par des groupes parrainés par l’Iran, la riposte occidentale et particulièrement américaine au Yémen, en Syrie et en Irak, ne va que motiver la résistance islamique, qui ne veut plus de présence militaire étrangère au Moyen-Orient et soutient ouvertement le Hamas contre Israël ;
-Les viols de l’espace aérien de l’Iran et ses factions en Irak, Syrie, Liban et au Yémen montrent très clairement que malgré le développement de l’industrie perse, en matière d’armes de destruction massive et de drones, il reste beaucoup à faire en défense aérienne. L’Iran et les groupes armés qu’elle parrainent sont des cibles faciles des drones israéliennes, américaines et même des forces de l’air pakistanaise. On n’a pas entendu parler de la couverture aérienne, ou des missiles achetés en Chine et en Russie sinon des armes anti-aériennes fabriquées localement ;
– Les attaques des bases américaines au Proche-Orient ont augmenté à cause de la guerre entre Israël et le Hamas. La dernière attaque de drone d’une base américaine dans les frontières syro jordaniennes a tué trois soldats américains et a fait une trentaine de blessés. Alors que l’Iran a nié toute implication dans cette attaque, la « Résistance islamique en Irak », groupe armé affilié à l’Iran, a revendiqué, en son nom, toutes les attaques de drone contre trois bases en territoire syrien proche de la Jordanie [5]. Pourtant, un groupe armé ne pourrait acquérir une telle technologie sans soutien d’un Etat, qui possède une telle industrie militaire. Aussi, il ne faut pas oublier que toutes ces factions chiites ont été préparés aux combats par le général iranien Qassem Soleimani ; [6]
-Les sorties de populations dans les capitales occidentales pour soutenir la Palestine est un succès diplomatique pour la cause. La riposte non proportionnée, le nombre de civils tués et la destruction des infrastructures par le Tsahal ont sali l’image d’Israël qui a fait un long parcours depuis 1948 pour se faire reconnaitre par les Etats membres de l’ONU ;
-La carte des prisonniers considérés comme butin du Hamas et humiliation pour Israël, pourrait jouer en défaveur du gouvernement israélien. Les familles commencent à dénigrer le pouvoir en place et tôt ou tard, d’autres vont les joindre dans leur cause afin de présenter en justice les responsables ;
Jusqu’à présent il ne manque qu’une guerre déclarée entre les principaux antagonistes : Iran et Israël. En attendant la stratégie adoptée par le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais et les Houthis du Yémen est devenue un cauchemar pour Israël et ses alliés. La mer Rouge n’est plus une région sécurisée pour la traversée des navires appartenant au reste de la communauté internationale. Les américains venus juste pour soutenir Israël en cas d’intervention directe iranienne sont devenues des cibles des groupes armés. Un autre front autre que celui de Gaza est en train de s’ouvrir.
Somme toute, la substitution de la pensée socialiste, qui voulait faire la paix, par des idées extrémistes et ultranationalistes aspirant à imposer la solution de la force pourrait déstabiliser non seulement les territoires palestiniens et israéliens, mais toute la région. Cette guerre ne pourrait connaitre de fin sans la volonté politique de l’équipe au pouvoir en Israël. Elle pourrait coûter encore cher non seulement au contribuable israélien, mais aussi à tous les peuples voisins qui n’ont pas connu la paix depuis plusieurs décennies. Les affrontements pourraient s’élargir et toucher d’autres acteurs régionaux et internationaux. Le mal de tête causé par le Hamas est stratégiquement gagnant. Il pourrait être à l’origine de la création de l’Etat palestinien. Israël a sous-estimé son ennemi !
[1] Ces accords prévoient, la mise en place d’un régime d’autonomie à Gaza et en Cisjordanie, puis l’ouverture de négociations sur le statut définitif de ces territoires. Malheureusement, ces accords n’ont pas été respecté suite à l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995 par un étudiant d’extrême droite et plus tard, suite à la deuxième Intifada en septembre 2000 qui va arrêter les négociations. Actuellement le gouvernement composé d’éléments d’extrême droite et ultranationaliste ne reconnait plus aucune négociation sur la création de deux Etats distincts.
[2] Pour plus de détails, lire l’article précédent dans le volet stratégie sur geopolitique.ma de janvier
[3] S’agissant d’un combat de freinage. Chez les arabes lorsque le cavalier attaque et se replie sur le champ on appelle cette action (Al-Karr- Wa- L- Farr).
[4] La Chambre internationale de la marine marchande (ICS) a signalé que 12% du commerce mondial passe par la mer Rouge. Lire le Monde consulté le 30 janvier après-midi sur emonde.fr/international/article/2023/12/17/attaques-en-mer-rouge-des-geants-du-transport-maritime-suspendent-la-traversee-apres-des-attaques-des-rebelles-houthis_6206196_3211.html
[5]. Plusieurs factions militaires chiites qui ont combattu avec l’armée américaine contre l’Etat Islamique, sont affiliés aux anciens paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi. Il s’agit probablement d’une centaine de groupes répartis entre la Syrie et l’Irak, dont l’effectif pourrait dépasser les 100 milles tous convaincu par la notion du Jihad. Ils sont concernés dans leur lutte contre Israël et les USA à l’instar du Hezbollah libanais, des Houthis du Yémen et du Hamas palestinien.
[6] Ancien haut commandant des Gardiens de la révolution iraniens, tué par drone à côté de l’aéroport de Bagdad en janvier 2020.
Zakaria HANAFI
Related posts
1 Comment
Laisser un commentaire Annuler la réponse
Catégories
- Economie (39)
- Editorial (22)
- Géopolitique (44)
- Histoire (23)
- interview (14)
- Non classé (4)
- Relations internationales (37)
- Strategie (39)
Rencontrer l'éditeur
HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.
Comme toujours l’analyse est pertinente et les faits sont là pour les démontrer. Bravo