HANNOUN Azzedine Enseignant chercheur, faculté des sciences

           Juridiques et politiques, université IBN TOFAÏL.

Nécessité d’une gradation du statut  géopolitique à partir du levier sahélien

Le monde est constamment en évolution. Loin des élucubrations philosophiques, la science des relations internationales a pour objet primaire et global d’observer d’étudier et d’analyser les mutations du monde des humains. Plus particulièrement, les relations entre les structures de base des relations internationales à savoir les Etats.

A l’heure actuelle, tout le monde évoque et avance des mutations mondiales inédites, un changement d’époque. On se pose la question néanmoins, s’agit-il de changements d’une ampleur inédites ou seulement des phénomènes de distorsion des perceptions ?

Dans ce cadre, deux hypothèses peuvent être avancées

✓Il s’agirait non pas de mutations inédites mais d’accélération d’une dynamique perpétuelle d’évolution ; c’est la cadence elle-même qui est en question et non pas la nature ou la portée des événements considérés. On peut faire référence dans ce cadre à l’idée selon laquelle, l’effet de cumul du progrès fait que les changements vont en s’accélérant.

✓Il s’agirait également non pas de changement substantiel de l’objet de l’observation, mais d’un changement de l’outil et de l’œil observateur. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de communication font que la signification des changements ait un sens copernicien. On vit dans une époque d’inflations de l’information et son caractère instantané. L’intérêt médiatique donné à un événement produit un phénomène de stimulation qui pourrait biaiser son impact prévu. La covid19, au moment de son déclenchement a été vue comme le début d’une autre époque de l’humanité en raison du phénomène des chiffres.

Dans tous les cas, que ça soit par le biais du changement de l’angle de perception ou la nature elle-même du changement, on dispose d’indices matériels nous poussant à une prise de conscience de mutation des défis et de la nécessité de prendre son destin en main pour tout d’abord survivre, mais aussi prendre de la valeur.

Comment pourrait-on mesurer ces mutations ? globalement, c’est par l’observation et l’analyse. Observation des différents événements marquants et l’accentuation de tendances qui durent dans le temps, tout en analysant les aspects de rupture relevés.

On a ainsi assisté ces cinq dernières années à l’éclatement de deux événements ponctuels et l’accentuation de deux tendances durables. Ces quatre éléments constituent les véritables moteurs du changement :

Ainsi, en ce qui concerne l’accentuation de deux tendances

: il s’agit de :

1.La rivalité sino américaine

2.Le réchauffement climatique

En ce qui concerne les événements ponctuels, il s’agit de :

1. La crise sanitaire

2. La guerre en Ukraine

En fait, les deux tendances, on peut faire appel aux deux hypothèses précédentes nuançant la portée et la réalité des mutations. En effet, la conscience de l’ampleur du réchauffement climatique est stimulée par les images des lacs et fleuves arrivés à un stade de sécheresse durant des siècles, dans des pays épargnés des sécheresses comme l’Allemagne ou l’Angleterre. L’image ici joue un rôle prépondérant. En ce qui concerne la Chine, la présidence de Donald Trump a également stimulé cette conscience, en plus de certains incidents en mer de Chine.

Les événements ponctuels, leur ampleur, leur impact à caractère universel justifie cette prise de conscience. Plusieurs observateurs évoquent la naissance d’un nouvel ordre mondial, même si ce concept de NOM demeure un concept assorti de plusieurs ambiguïtés. Ce qui est sûr c’est que le monde tel que nous l’avons connu jusqu’en 2019 perd plusieurs de ses assises petit à petit nous menant dans une phase transitoire plein de rebondissements. Les caractéristiques de la nouvelle phase demeurent en équation.

Maroc et mutations stratégiques

La question centrale qui se pose est comment pourrait-on négocier ce virage ?

Dans l’histoire, certains Etats ont pu exploiter des moments de changement majeur en le transformant en un point d’inflexion géostratégique. C’est le cas des Etats du Sud est asiatique ou certains Etats de l’Europe de l’Est au lendemain de la chute de l’URSS C’est le cas des Etats unis ou du Japon dans la période de l’entre-deux guerres.

Il est clair que chacun de ces éléments de rupture touche particulièrement le Maroc, particulièrement le réchauffement climatique et la guerre en Ukraine. Le Maroc souffre depuis quelques années d’une sécheresse chronique et que la guerre en Ukraine a perturbé les chaînes mondiales de distribution en ce qui concerne l’énergie et le blé. Le Maroc a un statut de bon élève. C’est à dire que le Maroc est un petit acteur au niveau mondial, un acteur moyen au niveau régional. Son ambition est d’accéder au statut d’acteur décisif au niveau régional et un acteur moyen au niveau mondial. En effet, le Maroc ambitionne à une gradation de son statut.

Espace sahélo saharien

L’espace sahélo saharien constitue malheureusement le paroxysme des maux du continent africain. Il n’est pas nécessaire de restituer ici tous les facteurs d’insécurité qui guettent les pays de cette région ; Néanmoins, il est utile de rappeler que cette région du monde a souffert du réchauffement climatique depuis bien plus longtemps y compris à l’échelle de l’histoire de l’humanité. A l’heure actuelle, la sécheresse et la raréfaction des ressources en eau transforment cet espace en l’une des zones les plus inhospitalières du globe.

Cette situation stimule d’autres phénomènes comme la pauvreté, la migration illégale, le terrorisme et différents genres de trafics qui fragilisent les Etats. Cette situation de déficiences aigues est d’autant plus importante que la région regorge de potentialités importantes. Bien entendu, la situation géographique de cet espace revêt une certaine importance qui renforcent sensiblement sa valeur géostratégique.

La zone du Sahel proprement dit Joue le rôle d’isthme entre l’Afrique subsaharienne et l’espace méditerranéen. Cet espace dispose de multiples interférences géopolitiques : en effet d’une part, ces Etats forment l’ossature de la zone de l’Atlantique du sud. D’autre part, l’autre bout de cette bande est ouvert sur l’océan indien et la mer Rouge ce qui signifie une proximité avec la région du Moyen Orient et de l’Asie du sud.

La région possède également des gisements de minéraux divers, notamment des ressources pétrolières, gazières, minières (comme l’uranium, l’or, le fer) et des ressources fossiles. Le  Sahara est un réservoir potentiel d’énergie solaire et éolienne considérable. Son ensoleillement abondant et ses vents forts offrent des opportunités pour le développement de l’énergie renouvelable. De ce fait la région a le potentiel de se transformer en un véritable hub énergétique mondial. Ces pays ont une structure démographique très jeune, ce qui constitue un véritable levier de croissance économique à exploiter.

Croisements géostratégiques

L’espace sahélo saharien offre une opportunité pour le Maroc pour améliorer son statut géopolitique. En effet, cet espace constitue un prolongement géostratégique qui correspond parfaitement aux ambitions du Royaume.

Ainsi, le territoire du Sahara marocain constitue le lien géographique entre le Maroc et cet espace. La viabilisation du territoire et même la résolution du conflit sous-jacent passent forcément par le Sahel. Dans ce cadre, le Maroc avait abrité la conférence ministérielle. Commençons par interroger les piliers géostratégiques du Royaume face aux enjeux et déficiences de l’espace sahélo saharien :

Tout d’abord, on a vu que cet espace est ravagé par les phénomènes de réchauffement climatique mettant notamment en péril la viabilité des systèmes économiques et la survie même des Etats. Le Maroc de son côté a développé une stratégie volontariste en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Cette stratégie par sa nature se veut régionale voir internationale. 

Ainsi, le Maroc dispose d’investissement dans ce cadre dans certains pays de la région dont notamment la Côte d’Ivoire (baie de Cocody…). La Fondation Mohammed VI de protection de l’environnement est à ce titre très active dans la région à travers notamment l’aménagement de ports pour la pêche artisanale.

Dans ce cadre, il est nécessaire de se tourner plus vers des investissements ciblés visant à aider es Etats à durabiliser leurs économies. Des projets structurants portés par le Maroc tels que le gazoduc atlantique à partir du Nigéria, ou le Port de Dakhla Atlantique sont susceptibles de contribuer à la viabilisation économique des pays de la région ; l’effet de désenclavement est susceptible de sortir ces pays de la situation de léthargie économique et commerciale.

Les Etats de la région sont de véritables pourvoyeurs de migrants illégaux. Cette question est porteuse de tensions et de risques au niveau mondial ; Or, le Maroc a érigé la question migratoire au centre de sa stratégie africaine. Ainsi, SM a été choisi leader africain sur cette question. Le Maroc a ainsi beaucoup de marges d’action à ce niveau. En effet, il est vrai que la gestion des flux migratoires demeure une affaire de souveraineté nationale, néanmoins, le Maroc en œuvrant à l’édification d’une doctrine africaine en la matière se hisse en acteur de premier ordre. En œuvrant à émanciper le cadre multilatéral du Cen Sad, le Maroc voudrait donner du sens géopolitique à cette région. La réunion ministérielle organisée à Rabat dernièrement en vue de la mise en œuvre de l’Appel Royal est un pas important dans ce cadre.

La question des fragilités politiques et institutionnelles est liée notamment à la faiblesse des acteurs de cohésion sociale et culturelle. Dans ce cadre, on pourrait rappeler le développement du soft power marocain notamment dans le domaine religieux et culturel. Cette fragilisation ouvre en effet la porte à la multiplication des tentatives d’influence et d’acculturation venant de certaines puissances régionales amies ou non. Or, l’Islam sunnite modéré demeure un véritable bouclier contre toutes les formes d’extrémisme.

 En Conclusion, l’espace sahélo saharien constitue pour le Maroc un véritable espace d’épanouissement géostratégique. C’est pour cela que le Maroc se doit de montrer le chemin d’accentuer un leadership moral et politique afin de faire face à tous ces défis et enjeux de manière responsable. La recherche de la gradation du statut géopolitique n’est une fin en soi, elle est le résultat d’une bonne exploitation des acquis et du potentiel ;

Par ce fait, j’appelle à la mise en place d’une vision concertée sur l’avenir de la région. Une vision commune qui devrait guider les actions individuelles et collectives pour le bien commun de tous. Cette vision devrait permettre de redoubler d’efforts pour se concentrer sur des investissements colossaux afin de doter la région d’infrastructures à la hauteur des ambitions de ses enfants . Une vision qui renforce l’empreinte géostratégique de la région l’arrimant de plus en plus vers l’espace atlantique en tant qu’espace plutôt affranchi des tensions.