
Figure 1 : Le cercle Arctique
Sont rares les occasions où l’on entend parler du cercle arctique, et plus rares encore celles où l’on consulte une carte du monde vue depuis le pôle Nord. Autrefois négligé, il remonte de plus en plus à la surface des rivalités mondiales. À mesure que le réchauffement climatique fait fondre la glace de l’Arctique, s’élèvent les marées des tensions géopolitiques dans la région.

Figure 2 : La fonte du cap de glace
La mer arctique est bordée par 8 pays, constituant les membres du conseil de l’Arctique : le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède. Pour eux, les enjeux sont clairs : le contrôle des voies maritimes émergentes et des ressources naturelles abondantes. Le potentiel conflictuel est bien existant entre une Russie qui, forte de son immense façade arctique, se trouve seule face à des voisins de l’OTAN, et des États-Unis qui, en dépit de leur statut d’hyperpuissance maritime, manquent d’expérience pour conquérir les eaux gelées, une faiblesse accentuée par leur micro-ouverture arctique en Alaska.
- Enjeux géopolitiques et perspectives stratégiques
Géographiquement, la Russie bénéficie de la plus longue façade maritime sur l’Arctique. S’étendant sur environ 14 000 km entre le détroit de Béring et la mer de Barents, elle met en théorie à la disposition de la Matouchka Rossiya (Mère Russie) à peu près 5 000 000 km² de ZEE riche en hydrocarbures et en minéraux.

Figure 3 : Les ZEE en Arctique
Ainsi, la Russie se positionne comme le maître de l’Arctique, avec des revendications territoriales fortes. En 2001, le Kremlin a déposé devant l’ONU une demande pour étendre la ZEE de la Russie, suscitant ainsi des revendications similaires de la part du Canada et du Danemark. L’oncle Sam et l’aigle aux deux têtes sont des voisins proches : le détroit de Béring, qui sépare la Tchoukotka russe de l’Alaska, n’est large que de 85 km. De plus, les îles Diomède au centre du détroit symbolisent la zone de faille entre ces deux plaques politico-tectoniques.

Figure 4 : Le Detroit de Béring
Les États-Unis, de leur part, affichent une position relativement marginale en raison de leur ouverture limitée via l’Alaska. En effet, la géopolitique de l’Arctique aurait dû être totalement différente si le tsar Alexandre II n’avait pas vendu l’Alaska aux Américains en 1867. Cette contrainte géographique est compensée par leur capacité à mobiliser des alliances et par leur supériorité technologique et militaire relative. Elle explique aussi en partie les ambitions affichées par l’administration Trump dès 2019, lorsqu’elle a proposé d’acheter le Groenland. L’objectif était clair : désenclaver la puissance américaine et renforcer sa capacité de projection stratégique au-delà du cercle arctique.
Bien qu’elles aient autrefois été perçues comme des dérisions, ces revendications, réaffirmées et élargies vers le Canada et le Panama, sont aujourd’hui prises au sérieux. Le souverainisme affirmé de Trump et le contrôle qu’il exerce sur les institutions américaines dans le cadre de son second mandat pourraient bien entraîner des initiatives significatives de la part de l’appareil étatique américain.
Les intérêts sont conflictuels et les moyens disponibles pour que les deux géants se confrontent dans une logique de contrôle des voies maritimes, notamment avec la fonte progressive des glaces qui promet de raccourcir les distances entre les pays du Pacifique et l’Europe.


Figure 5 :Les routes nord est et nord ouest
En Arctique, le réchauffement climatique est quatre fois plus accentué qu’ailleurs. Le résultat : 40 % de la banquise perdue en 40 ans. Bien que ce phénomène ait des répercussions dévastatrices sur l’environnement, il offre ironiquement de nouvelles opportunités économiques. Au premier plan, l’émergence des nouvelles routes maritimes. En cas de fonte totale du pôle Nord, une troisième voie plus courte pourrait se manifester à côté des routes Nord-Est et Nord-Ouest : la route transpolaire.

Figure 6 : La route transatlantique
Actuellement, environ 80 navires empruntent le détroit de Béring chaque année. Ce nombre est toutefois voué à augmenter significativement à mesure que les glaces continuent de fondre.
Deuxièmement, cette fonte facilite l’accès à une richesse de ressources naturelles et de minéraux, notamment au niveau de la dorsale Lomonossov. Selon l’US Geological Survey, l’océan Arctique renferme près de 22 % des réserves mondiales d’hydrocarbures non exploités. La Russie en dépend fortement : 83 % de son gaz et 17 % de son pétrole proviennent de l’Arctique.
Troisièmement, comme le précisait Trump dans son discours, l’option militaire n’est pas hors de question :
« On a besoin du Groenland pour des raisons de sécurité nationale. Il y a des navires chinois partout là-bas. Il y a des navires russes partout là-bas. On ne va pas laisser ça arriver ».
Cela nous renvoie à un point clé : la forte militarisation de l’Arctique, où les deux parties déploient des moyens stratégiques considérables.

Figure 7 : La militarisation de l’Arctique Le littoral nord de la Russie abrite une centaine de bases et d’infrastructures militaires. La plus importante est la base principale de la flotte du Nord, située à Severomorsk, qui accueille les deux tiers des sous-marins nucléaires russes. En parallèle, malgré leur faible présence militaire dans l’Arctique, les États-Unis semblent encercler la Russie par un masterclass de « containment », notamment à travers les alliances militaires qu’ils nouent avec les pays occidentaux de l’Arctique.
- Les scénarios futurs :
Trump, contrairement à Biden, adopte un souverainisme affirmé. Loin d’un isolationnisme, sa version de « containment » se révèle plus robuste que celle de ses prédécesseurs. Il démontre un certain rationalisme politique, privilégiant une approche de Realpolitik : il exploite les rapports de force pour négocier fermement avec des partenaires plus faibles tout en recherchant des compromis pragmatiques face à des adversaires puissants.
Le souverainisme de Trump est aussi économique que politique. Ses slogans de campagne, « Make America Great Again » lors de son premier mandat et « America First » pour le second, mettent en avant la priorité accordée aux intérêts des États-Unis. Sa volonté de réindustrialiser l’économie du pays exige le contrôle des routes d’approvisionnement et de commerce. Une route maritime hors de leur influence — en particulier une route reliant les quatre coins du monde en un temps record — est perçue par Trump comme une menace stratégique majeure.
Trump s’inscrit également dans une nouvelle course contre la Chine, cherchant à empêcher cette dernière de s’approprier les gisements de minéraux essentiels à l’industrie 4.0 en Arctique. Notamment sous la dorsale Lomonossov. La Chine, alliée de facto de la Russie, pourrait devenir la grande bénéficiaire de la fonte des glaces arctiques, surtout avec l’essor de la route Nord-Est. Cette route permettrait de contourner le détroit de Malacca et le canal de Suez, tous deux influencés par le bloc occidental. Si les États-Unis n’interviennent pas au bon moment, ce qui nécessite un sens du timing que Trump semble maîtriser, ils risquent de perdre un avantage stratégique majeur.
La guerre en Ukraine et les sanctions occidentales ont propulsé la Russie dans les bras du géant chinois, son principal client en matière d’énergie et partenaire clé au sein des BRICS+. Bien que la position de la Russie au sein du bloc soit menacée d’être éclipsée par la Chine, elle pourrait se consolider en développant une route maritime alternative. Cette voie, passant par les eaux territoriales et la ZEE russes, offrirait à Moscou un levier stratégique et économique, renforçant ainsi son rôle au sein des BRICS+.
La Russie accorde une importance existentielle à son ouverture sur les mers chaudes, afin de rompre avec son enclavement continental. En 2024, avec la chute du régime d’Al-Assad, elle perd son point d’appui historique en Méditerranée. Cela ouvre une fenêtre d’opportunité stratégique : soit en délocalisant ses bases de Syrie vers des zones plus sûres, notamment en Algérie et en Libye, soit en comptant sur le réchauffement climatique en Arctique pour ouvrir de nouvelles perspectives de projection économique. Ainsi, la confrontation semble imminente dans un monde polarisé où la confiance dans le dialogue s’effrite dangereusement. Ce que l’on peut espérer, c’est que cette confrontation demeure limitée à une concurrence loyale, sans recours aux armes — une perspective, malheureusement, de plus en plus éloignée.
Liste des références :
- Le Dessous des Cartes – ARTE. « Du détroit de Béring à l’Arctique : les ambitions russes. » YouTube, publié par Le Dessous des Cartes – ARTE, 17 janvier 2025, www.youtube.com/watch?v=4FTIVJEBkNY&t=450s.
- BBC News. « Climate Change: The ‘Insane’ Plan to Save the Arctic’s Sea-Ice. » BBC, 4 janvier 2025.
- RAS-NSA. « L’Arctique : Une zone géographique en proie à des tensions géopolitiques avec la Russie. » RAS-NSA, www.ras-nsa.ca/fr/larctique-une-zone-geographique-en-proie-a-des-tensions-geopolitiques-avec-la-russie/.
- Mason, C. « Trump’s Greenland Bid Is Really About Control of the Arctic and the Coming Battle with China. » The Conversation, 19 août 2019.
- Bernier, Marc-André. « Des armes russes à nos portes. » Le Journal de Montréal, 1 mars 2022, https://www.journaldemontreal.com/2022/03/01/des-armes-russes-a-nos-portes
L’Arctique : Entre Froid Climatique Et Chaleur Géopolitique
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.