Article entièrement redigé par Ismail Faouzi

Au lendemain de la résolution 2797, la diplomatie algérienne établit un état des lieux accablant : aucun ambassadeur accrédité à Paris, aucune initiative russe pour utiliser son droit de veto, et le congrès américain sur le point d’envisager une désignation du Polisario comme organisation terroriste. Cette succession de revers diplomatiques a abouti à un échec cuisant, conduisant au soutien de onze membres du Conseil de sécurité à la résolution appuyant le plan d’autonomie marocain, sans qu’aucun des cinq membres permanents ne s’y oppose. Ce mois de novembre a été le théâtre du revirement d’une politique étrangère déphasée et inadaptée, délaissant les paradigmes hérités d’antan. La libération de Boualem Sansal, le soutien au plan de paix de Donald Trump — face à l’abstention russe et chinoise — et la possibilité qu’une normalisation avec Israël serait envisageable, constituent une rupture claire avec l’ancien paradigme de l’autoproclamée « Mecque des révolutionnaires ».

Le 3 novembre 2025, le ministre d’État, Ahmed Attaf accorde deux interviews à la chaîne de télévision AL24, où le chef de la diplomatie rend sa lecture des évènements. Selon lui, il n’y a dans le texte final aucune mention à la souveraineté marocaine ni à l’État marocain, refusant de reconnaître une défaite. En réalité, bien que le représentant permanent russe ait qualifié ce texte de « déséquilibré », il n’a pas fait usage du veto de son pays, abandonnant les volontés algériennes. La « relation stratégique » que le président Abdelmadjid Tebboune qualifiait ainsi, lors de sa visite à Moscou en 2023, n’a pas été assez forte pour faire usage du veto. Pourtant, lors de cette même visite, le chef d’État saluait l’appui de la Russie à l’adhésion de l’Algérie en tant que membre non permanent au Conseil de sécurité.

Bien qu’il n’y ait aucune fracture apparente entre les deux États, la diplomatie algérienne est forcée de constater un rapprochement entre la Fédération de Russie et le royaume chérifien. Le pinacle de ce rapprochement s’est illustré le 16 octobre 2025, lorsque le ministre des affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, s’est rendu à Moscou pour rencontrer son homologue Sergueï Lavrov. La diplomatie russe a compris l’intérêt de collaborer étroitement avec le Maroc, car le royaume représente un État stable en Afrique, avec des coopérations multisectorielles sur le continent, incarnées par diverses initiatives diplomatiques et économiques. C’est en cherchant un partenariat durable et pérenne que Moscou a signé un mémorandum d’entente (MoU) instaurant un comité de travail interministériel afin d’approfondir le partenariat stratégique et d’identifier de nouveaux axes de coopération entre les deux États.

Comprenant que la Russie commence à se détacher de leurs intérêts, Alger tente de se repositionner sur un ensemble de questions d’ordre géopolitique. Se prétendant fervent défenseur de la cause palestinienne, à la surprise de tous, le représentant permanent algérien Amar Bendjama s’est rangé du côté américain lors de l’adoption de la résolution S/RES/2803. Ce texte soutient le plan de paix de Trump, comportant vingt points réglementant l’avenir de Gaza, parmi eux, la démilitarisation du Hamas, la mise en place d’un comité palestinien apolitique chargé des services publics et d’un conseil de paix présidé par Donald J. Trump. Pourtant, les liens entre le gouvernement algérien et le Hamas n’ont jamais été rompus, comme en témoignent la médiation algérienne en 2022 entre Mahmoud Abbas et Ismaïl Haniyeh, ou la rencontre entre des parlementaires algériens et une délégation du Hamas le 4 octobre 2024.

En soutenant un plan qui prévoit la mise en place d’une Force internationale de stabilisation, la démilitarisation complète de Gaza et même l’éviction du Hamas de toute gestion future de Gaza, l’Algérie s’éloigne de son positionnement idéologique initial. De plus, l’adoption de ce texte s’est faite en opposition à la volonté du Hamas qui dénonçait ce mécanisme de tutelle internationale. Mais le mouvement palestinien n’était pas le seul à remettre en cause ce programme.

Le représentant de la Fédération de Russie a vivement critiqué la résolution, estimant que « le Conseil donne son accord à une initiative américaine sans connaître les modalités d’action, ce qui pourrait servir de paravent à des actions unilatérales d’Israël et de Washington et une condamnation de la solution des deux États ». Dans la même logique, il a dénoncé l’absence de garanties quant au fonctionnement du Conseil de paix et de la Force internationale de stabilisation, « qui pourraient agir de manière autonome, sans tenir compte de la position de Ramallah, risquant de séparer Gaza de la Cisjordanie ». Le représentant russe a également reproché que le mandat confié à cette Force soit « beaucoup plus coercitif » que dans le plan initial du président Trump, allant jusqu’à lui attribuer la démilitarisation de Gaza, ce qui pourrait « la transformer en partie prenante au conflit ».

Si l’Algérie ne s’est pas rangée derrière l’argumentaire russe, c’est parce qu’elle souhaite aujourd’hui privilégier son partenariat américain. Lorsque l’ambassadeur algérien à Washington — et ancien ministre des affaires étrangères — Sabri Boukadoum, déclare que « tout est possible » concernant une future normalisation de l’Algérie avec Israël, ces propos résonnent comme un révélateur brutal de son repositionnement. Cette formule, en apparence anodine, marque une rupture avec des décennies de dogmatisme diplomatique. Elle sonne d’autant plus fort alors que le diplomate Amar Bendjama avait quelques mois plus tôt dénoncé devant le Conseil de sécurité ce qu’il considérait comme des actes « génocidaires » commis contre les Palestiniens. Le contraste entre ces prises de position très dures et l’ouverture exprimée aujourd’hui souligne la volonté urgente de se repositionner auprès de Washington — même si cela implique de toucher à la question palestinienne. En prononçant cette phrase, l’ambassadeur signale à l’administration américaine que l’Algérie est prête à s’aligner sur les attentes de Washington, même lorsque ces positions heurtent le référentiel traditionnel du régime. Le vote pro-américain au Conseil de sécurité, en faveur d’une résolution rejetée par le Hamas lui-même, en est l’illustration la plus spectaculaire.

De l’autre côté de l’Atlantique, l’Algérie peine à rétablir un dialogue avec son ancien colon. Sans ambassadeur accrédité à Paris, il est dur de régler les problématiques bilatérales d’ordre migratoire et sécuritaire. De plus, la France ne cache plus son soutien devenu indéfectible et inconditionnel au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine. Ce resserrement stratégique s’est notamment matérialisé par la visite de Gérard Larcher à Laâyoune, celle de Rachida Dati dans les provinces du Sud, mais aussi par l’élargissement de la présence consulaire française dans le Sahara marocain, avec notamment l’ouverture d’un centre TLS à Laâyoune. Face à ces évènements, l’Algérie ne peut camper sur ses positions, et tend la main à la France en libérant l’écrivain Boualem Sansal le 12 novembre — pour rentrer en France le 18. Incarcéré depuis un an, l’écrivain avait été condamné à une peine de cinq ans pour atteinte à l’unité nationale, remettant en cause le tracé des frontières algériennes. Sa libération ne représente pas un changement de position sur la question, mais plutôt une volonté de tendre la main à la France afin de desserrer l’étau étouffant la diplomatie algérienne.

Acculée, la diplomatie algérienne se trouve face à une nécessité de réadaptation. Elle est aujourd’hui obligée de se réinventer, consciente qu’elle commence à perdre ses pions sur l’échiquier international. Cet isolement est également la conséquence d’une politique africaine désuète, comme en témoignent les tensions croissantes avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Par ailleurs, plusieurs pays autrefois alignés sur Alger ont rompu avec leurs anciennes postures : l’Équateur, le Panama et le Ghana ont suspendu leurs relations avec le Polisario et se rapprochent désormais directement du Maroc.

En somme, l’adoption de la résolution 2797 a sonné le glas de l’ancien modèle diplomatique d’Alger : sans ambassadeur à Paris, sans veto russe, et ralentie par un référentiel diplomatique archaïque et inadapté, l’Algérie voit ses efforts réduits à néant. Désormais, le pays tente de reconstruire un paradigme étranger nouveau pour espérer rester acteur de ces dossiers stratégiques. Pourtant, cherchant per fas et nefas de nouveaux alliés, l’Algérie a oublié de se tourner vers son voisin de l’Ouest, qui multiplie les gestes diplomatiques et les appels au rapprochement…