Par Mahfoud Bahbouhi, ancien diplomate
Le monde entier et les peuples africains ont suivi les travaux la 46ème Session Ordinaire du Conseil Exécutif de l’Union l’Africaine, qui se sont déroulés en Février 2025, à Addis-Abéba. Le Royaume du Maroc prend part à de telles réunions et sommets depuis son entrée à l’organisation panafricaine et donc son retour au sein de la famille panafricaine en 2017, qu’il avait quitté en 1984.
Actuellement, le Maroc préside une nouvelle fois, à partir du 1er mars 2025, la présidence tournante du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA) dont il est membre pour une période de trois ans (2022-2025). Cet organe décisionnel crucial est chargé de renforcer la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent africain. Cette présidence représente un des moments significatifs dans la diplomatie marocaine et de son engagement effectif pour le continent, depuis la création de l’organisation de l’Unité Africaine et actuellement au sein de l’actuel Union Africaine.
Soutien du Maroc à l’unité africaine
Le Royaume du Maroc a été un fervent défenseur de l’unité africaine depuis les premières étapes de la formation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Le pays partageait la vision d’une Afrique unie qui devait contribuer politiquement, économiquement et socialement pour le progrès du continent. Cela correspondait aux idéaux panafricains plus larges promus par les leaders et les mouvements de libération africains de l’époque.
Le Maroc était en effet l’un des membres fondateurs de l’organisation, créée en 1963 à Addis-Abeba. Sa création a été motivée par le désir des nations africaines de travailler ensemble pour promouvoir l’indépendance, l’unité et la résolution des problèmes liés au colonialisme et à l’apartheid. Dans cet élan, la participation du Maroc à sa fondation a démontré son engagement envers l’idée de solidarité continentale et de panafricanisme.
Lors de la Conférence de Casablanca en 1961 : le Roi Mohammed V en compagnie de Kwame Nkrumah, Président du Ghana, Sékou Touré, Président de la Guinée, Prince Moulay Abdallah on the far right, as well as Modibo Keïta, Président du Mali. (Photo d’un article de Yabiladi.com, 05.01.2017)
La défunte OUA
Nous nous rappelons tous que l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a été officiellement fondée le : 25 mai 1963. Elle a été créée pour promouvoir l’unité, la solidarité et la coopération entre les pays africains, suite au mouvement d’indépendance d’un grand nombre de pays du continent durant les années 50 et 60. Elle visait à soutenir la décolonisation des autres pays restant du continent, à résoudre et prévenir les conflits entre ses États membres qui ont apparu dès lors et à protéger la souveraineté de ces même États. Accessoirement, elle visait à favoriser la coopération et le développement économique.
Elle a sans doute joué un rôle dans le soutien à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et dans la promotion d’idéaux panafricains unificateurs pour les peuples du continent africain
Cependant, à cette époque-là des années 60 et même plus tard, caractérisée par la guerre froide entre l’occident capitaliste libéral et le bloc soviétique communiste, la situation économique était catastrophique pour la grande majorité des pays du continent, en raison des choix idéologiques des dirigeants et de l’imposante présence des intérêts des anciennes puissances coloniales. Les défis étaient donc insurmontables pour l’organisation. Elle devait faire face au manque d’outils efficaces, de moyens financiers, et de politiques économiques audacieuses. Elle manquait surtout de mécanismes efficaces de résolution des conflits et d’application de ses propres décisions. Et les tensions entre les États membres sur des questions politiques et économiques étaient étalées au grand jour.
Le conflit du Sahara
Cependant, les relations du Maroc avec l’OUA sont devenues compliquées en raison de la question du Sahara, une région d’Afrique du Nord que le Maroc a récupérée comme faisant partie de son territoire, en 1975, après le retrait de l’Espagne, puissance occupante, conformément à l’accord de Madrid. Cela a conduit à un conflit larvé avec des pays d’obédience et d’idéologie socialiste et de partis uniques, en cette période-là de la guerre froide, qui se sont opposés aux intérêts du Maroc en créant et soutenant financièrement, diplomatiquement et surtout militairement, le mouvement séparatiste du polisario.
En 1984, l’OUA avait admis la chimérique entité appelée « république arabe sahraouie démocratique (RASD) », un pseudo état créé et installé dans le désert de la région de Tindouf, au sud-ouest de l’Algérie. La position du Maroc a conduit à un tournant important dans ses relations avec l’OUA ; et en guise de protestation contre la décision de l’OUA, le Maroc s’est retiré de l’organisation. Le Maroc a fait valoir, et le fait toujours, que cette inclusion violait le principe de respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale.
Retour du Maroc à la famille africaine
SM le Roi Mohammed VI prononçant un discours historique lors du Sommet de l’UA,
Addis Abeba, 30-31 January 2017. (photo par MAP)
Après le remplacement de l’OUA par l’Union africaine (UA) en 2001, le Maroc a initialement choisi de ne pas rejoindre la nouvelle organisation en raison de l’adhésion continue de la pseudo rasd. Cependant, le Royaume a fait son retour triomphal à l’Union africaine en 2017, après une absence de 35 ans, sachant que la question du Sahara n’ait pas été résolue mais que la dynamique de la politique africaine ait commencé à changer. L’organisation a été exclue de traiter le dossier de cette épineuse question. Dans ce temps, le Maroc a réussi à nouer de solides partenariats de coopération et de solidarité avec la majorité des pays du continent sur diverses questions, notamment le développement économique, la sécurité et le commerce. Il s’est imposé comme une puissance régionale et continentale en adoptant des politiques courageuses et proactives pour la contribution à la résolution des conflits, au maintien de la paix, au co-développement, et à la défense des intérêts de l’Afrique sur la scène internationale.
Ce retour à l’Union africaine en 2017 a reflété le désir du Royaume de retrouver sa place de choix, rétablir son influence et collaborer avec les nations africaines, tout en continuant à défendre sa position sur le Sahara marocain et son intégrité territoriale.
L’avènement de l’Union africaine
L’Union Africaine (UA) a été créée le 26 mai 2001, pour remplacer l’OUA et construire une union plus efficace, intégrée et durable qui aborde les problèmes modernes tels que le développement économique, l’intégration politique et les défis de sécurité et de résolution des conflits.
La poussée en faveur de la nouvelle organisation a été menée par des dirigeants tels que Mouammar Kadhafi de Libye, Thabo Mbeki d’Afrique du Sud et Olusegun Obasanjo du Nigéria. Ils ont défendu la nécessité d’une Afrique plus forte et plus intégrée et ont reconnu la nécessité de réformer l’OUA pour relever les défis du 21e siècle. Non sans intérêts personnels ou nationaux, ni sans la volonté d’hégémonie et de mainmise sur les instances continentales, ces dirigeants ont joué un rôle déterminant dans la création de l’UA par le biais d’efforts diplomatiques et financiers considérables.
Sa création été motivée par une combinaison de facteurs, notamment la nécessité d’une réponse plus efficace aux échecs de l’OUA, à l’évolution du paysage géopolitique sur la scène internationale après la guerre froide, aux défis économiques et au besoin d’une plus grande unité pour le développement du continent. Elle a été sensée marquer un nouveau chapitre dans la quête de l’autonomie et de l’unité continentale de l’Afrique.
L’organisation visait et vise des objectifs nobles mais encore difficiles dans plusieurs domaines. Elle s’est donnée comme objectif premier une intégration politique courageuse pour renforcer les liens entre les nations africaines en priorisant l’unité régionale.
Elle se doit toujours de créer un cadre économique continental pour améliorer la croissance et la durabilité pour un développement économique affirmé. Dans cadre, elle a réussi malgré les obstacles à créer la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).
Défis africains
Sur le plan de la paix et sécurité, il lui reste beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre ses objectifs et développer des mécanismes plus robustes pour la résolution des conflits et le maintien de la paix. Les défis posés, par exemple, par les pays dirigés actuellement des régimes militaires ont resurgis ces dernières années. En ce début d’année 2025, on compte six pays exclus de l’organisation : la Libye, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Gabon et la République de Guinée-Conakry. Il faut également ajouter à cette liste le régime militaire en Algérie où l’armée orchestre le jeu politique et règne depuis l’indépendance du pays. Dans ce domaine, l’organisation est simplement désarmée et se contente d’ignorer de tels régimes.
De la même façon, elle feint d’ignorer ses obligations concernant la défense et la promotion des droits de l’homme et ne brille pas par la défense de la démocratie, la bonne gouvernance sur le continent.
Cependant, il faut reconnaître que les ressources limitées pour le maintien de la paix, l’impossibilité d’intervention efficace et l’instabilité politique dans certaines régions du continent, ne font qu’accentuer la complexité du rôle de l’UA dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts nationaux et l’unité continentale et pour faire face aux défis insurmontables. Et ce sont ces mêmes obstacles qui avaient montré les limites de l’OUA.
Les Africains se rappellent bien que la communauté internationale toute entière et des dirigeants africains en particulier restent toujours face à leur échec à prévenir le génocide au Rwanda en 1994, ou à intervenir pour prévenir et arrêter les violations massives des droits de l’homme et les violences ethniques. Et c’est en partie l’incapacité de l’OUA dans le temps à répondre efficacement à la crise qui avait contribué à accroître les appels en faveur d’une nouvelle organisation continentale plus forte, dotée de plus de pouvoirs et de responsabilités en matière de maintien de la paix et de résolution des conflits.
En même temps, l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide au début des années 1990 ont bouleversé la géopolitique mondiale. L’Afrique n’était plus un champ de bataille majeur pour l’influence idéologique entre l’Est et l’Ouest, mais plutôt une région périphérique où des questions telles que la gouvernance, le développement et la sécurité régionale sont devenues plus centrales, en plus des intérêts économiques des puissances étrangères. Ce changement a encouragé les dirigeants et les peuples africains à se concentrer davantage sur l’exigence de l‘intégration régionale et l’autonomie de l’organisation, plutôt que de compter sur des puissances extérieures pour résoudre les problèmes de l’Afrique.
Cependant, force est de constater que l’actuel UA est toujours incapable d’influencer le cours des évènements pour résoudre le conflit entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, où s’effectuent des massacres encore et encore.
Le continent africain reste confronté à d’importants défis économiques, notamment le sous-développement, la pauvreté et le manque d’infrastructures. Les dirigeants africains ont lancé, en 2001, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), une initiative visant à accélérer la croissance économique et le développement sur le continent. Le NEPAD cherchait à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté, à promouvoir la bonne gouvernance et à garantir la paix et la sécurité. A ce stade, on se demande quelles sont les réalisations ?
L’UA était considérée comme un véhicule essentiel pour la mise en œuvre des objectifs du NEPAD et a donc été conçue comme une institution plus moderne, dynamique et efficace pour le développement et la gouvernance de l’Afrique. Toutefois, les progrès dans ce domaine ont jusqu’ici été lents. Et en réalité, les peuples africains sont en attente de voir sur le terrain des réalisations qui touchent leur vie quotidienne, loin des réunions entre diplomates et experts.
Sur le plan géopolitique, les pressions de la mondialisation devenaient plus évidentes depuis la fin des années 1990 et au début des années 2000, de nombreux pays africains étant confrontés à des défis tels que les déséquilibres commerciaux mondiaux, la dette extérieure et la dépendance à l’aide internationale. Pour cela, la création de l’UA était envisagée comme un moyen pour les pays africains d’affirmer une plus grande autonomie dans les affaires mondiales, en renforçant la capacité du continent à négocier avec les puissances et institutions internationales, et à poursuivre des politiques de développement plus adaptés.
L’avenir de l’Union Africaine pourrait prendre différentes formes et voies, au cours des prochaines décennies, en fonction de facteurs endogènes et exogènes, tels que la dynamique politique sur le continent, la croissance économique, la sécurité régionale et la capacité à résoudre des conflits, les réformes démocratiques internes, la gouvernance, les partenariats mondiaux et le contexte géopolitique actuel.
Perspective marocaine
Dans tous les cas de figure, l’Union Africaine reste confrontée à de multiples défis réels et potentiels, façonnés à la fois par des dynamiques internes (manque de moyens, impossibilité d’imposer ses décisions, réformes, gouvernance) et des forces externes (partenariats mondiaux, concurrence géopolitique). Cependant, pour atteindre l’objectif lointain d’une Afrique plus unifiée et plus prospère, l’UA doit relever les défis de l’unité politique, de l’intégration économique et de la coopération en matière de sécurité.
Et c’est dans contexte que le rôle du Royaume du Maroc est incontournable et peut être déterminant à plusieurs égards. Il suffit de scruter la multitude des initiatives marocaines lancées et mises en œuvre sur le continent, à titre bilatéral ou régional, pour se rendre à l’évidence que la consolidation de l’identité africaine du Royaume est un axe majeur de politique étrangère, d’où son retour au sein de la famille africaine et son engagement déterminé dans le cadre des instances de l’UA.
La vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui effectué une vingtaine de visites sur le continent depuis l’an 2000, souligne le fait que le Royaume cherche à conférer le leadership à l’Afrique par les actes et l’engagement réel en faveur du continent et de ses peuples.
Par la voix de son Ministre des Affaires Étrangères, de la Coopération Africaine et des Marocains Résidant à l’Étranger, Mr Nasser Bourita, le Maroc a indiqué que “nous avons besoin, plus que jamais, de leaders capables d’alléger le poids de la bureaucratie qui pèse sur notre Organisation, de rendre son mode de gestion plus transparent, plus connecté aux réalités africaines et ses actions sur le terrain plus efficientes et capables de mettre fin au cloisonnement qui empêche la bonne coordination entre ses différents organes (lors de la 46ème Session Ordinaire du Conseil Exécutif de l’Union l’Africaine, Février 2025 à Addis-Abéba).
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA
Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.