De nos jours, le bassin de la mer Méditerranée, constitué de vingt-trois États riverains, est marqué par un déséquilibre flagrant entre les riches et les pauvres. Le sud est constitué d’une partie de l’Afrique et de l’Asie qui continue de rassembler les indicateurs du sous-développement. Un monde arabe occupé au départ par le conflit avec Israël et avec lui-même, à cause des séquelles du printemps arabe, puis un vieux continent au Nord, surpris par la pandémie qui a perdurée, la crise économique et par la guerre en Ukraine.
Cet espace commun considéré auparavant berceau de la civilisation, a toujours constitué, au niveau universel, l’un des principaux axes commerciaux permettant l’exportation du pétrole et du gaz venant de l’Orient au profit de l’Occident. Le Partenariat Euro-Méditerranéen a réuni par le passé les acteurs en déséquilibre , autour d’une table ronde pour créer un climat de paix et de coopération entre les israéliens et leurs cousins sémites les arabes, les Grecs et les Turcs, les Algériens et les Marocains, aussi pour trouver issue aux fratricides des syriens, des irakiens et des libyens. Pourtant, malgré les efforts des deux rives, la majorité des foyers de tentions continuent de menacer les frontières sud de l’Europe.
La méditerranée est constituée de la France, l’Espagne, Gibraltar, l’Italie, Malte, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’ Albanie, la Grèce, Chypre (coupée en deux : le nord de l’Ile est un Etat reconnu juste par la Turquie et non par la communauté internationale) Akrotiri et Dhekelia (bases militaires souveraines britanniques), Turquie, Syrie, Liban, Bande de Gaza[1] (Palestine), Israël, Égypte, Libye, Tunisie, Algérie et le Maroc.
Dans cette analyse, ne seront pas cités tous les Etats des deux rives Nord et Sud. Allant de l’extrême Ouest du bassin méditerranéen vers le levant, notre attention se veut en particulier, de faire un tour d’horizon, bien que rapide, sur la région méditerranéenne pour relever les limites qui entravent la stratégie diplomatique en vue de créer un espace de développement et de de coopération exemplaire.
La rive Sud du bassin méditerranéen laboratoire des conflits
Certes, en se focalisant sur la rive sud, on se retrouve face à des conflits, qui ont une cause idéologique héritée des antagonismes entre les anciens blocs du monde bipolaire ou suite aux convoitises des puissances qui veulent s’accaparer des matières stratégiques. Les Etats de cette partie de l’ hémisphère sud sont les plus grands importateurs d’armement et ce, au dépend de leur développement.
Tout d’abord, l’Algérie qui a toujours rêvé d’avoir une fenêtre sur l’océan atlantique , utilise le mouvement considéré séparatiste du POLISARIO , comme outil militaire pour nuire au Royaume du Maroc. Ce sont les principaux antagonistes concernés par le conflit du Sahara que le Maroc a récupéré pacifiquement en1975 . L’Algérie qui continue d’alimenter des tensions entre les peuples frères est le principal bailleur de fond du Front Polisario, constitué d’une mosaïque de populations du grand Sahara et du Sahel. Protégé au sein des ghettos à Tindouf, par le pouvoir algérien, ce groupe armé, dont les populations sont séquestrées, n’est qu’une marionnette, à l’instar de beaucoup de mouvements militaires en Afrique.
Désormais, la majorité de la communauté internationale sait que ce groupe mercenaire ne fait qu’exécuter un agenda algérien, en menant des guerres par délégation contre le Royaume du Maroc, qui ne cesse de lancer des appels de paix à ceux qui ont violé le cessez-le feu. L’Algérie constituée d’une population plus proche anthropologiquement du Maroc, se voit coupée le chemin de développement par une oligarchie militaire, qui n’a pas quitté le pouvoir depuis 1962.
Contrairement au Maroc, qui a connu plusieurs dynasties fortes au niveau régional, on reproche à l’Algérie, d’avoir été toujours dépendante d’une puissance et qu’elle n’a jamais eu de leader ou de personne charismatique pour rassembler son peuple. Après sa longue dépendance de l’Empire islamique du levant, elle a été colonisée à partir de 1830, par l’empire colonial français. Pourtant plusieurs pays nés du partage colonial ou après le deuxième conflit mondial sont devenus plus développés, sans faire référence à leur histoire qui n’est que récente.
Comparée à d’autres nouveaux Etats du monde, l’Algérie veut à tout prix raconter son histoire à sa façon et s’il le faut ajouter des évènements du passé jugés dignes de mémoire et qui ne lui appartiennent pas . Pourtant, le pouvoir en place n’est pas conscient, que suite aux convoitises étrangères, il est exposé à l’implosion. Le syndrome du Soudan ou de l’ex-Yougoslavie n’est pas loin. En défendant le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes le pouvoir algérien oublie de trouver un terrain d’entente, avec les populations de la Kabylie au nord et d’autres séparatistes comme les Mzab et les Azaouad qui n’attendent que le soutien logistique étranger pour défendre militairement leur cause. Le pouvoir algérien a la chance d’avoir des voisins qui ne choisissent pas comme solution la diplomatie de « two-faced ».
Au sud du Maroc et de l’Algérie, non loin des rives de la méditerranée et de l’océan atlantique, le fléau du terrorisme se prolifère à une vitesse vertigineuse. L’instabilité, l’insécurité et l’obscurissime gagnent du terrain. Le convoitise des puissances traditionnelles et nouvelles se fait ouvertement. Plusieurs régimes ont été déchus suite aux coups d’Etats perpétrés par des militaires, qui ne veulent plus maintenir l’alliance traditionnelle avec la France et veulent prendre en main eux même, la gestion de leurs pays. Néanmoins, il y a toujours un risque de débordement ou de mauvais choix de partenaire.
La Tunisie qui a réussi son printemps arabe en chassant le pouvoir autocratique militaire, se trouve de nouveau entre les mains d’une nouvelle poignet civile soutenue par des puissances étrangères qui veulent à tout prix éviter l’islamisation du pouvoir. De nouveau, la crise économique touche en plein fouet le pays, le peuple souffre et le pouvoir d’achat connait des limites à cause de l’inflation, devenue galopante et la montée de l’endettement.
Le pays présente plusieurs indicateurs négatifs, qui ne sont pas loin de la faillite. Le nouveau virus sri-lankais qui a mis en faillite les institutions de ce pays n’est pas loin de frapper à la porte de la Tunisie. Pourtant, malgré la sagesse politique cumulée pendant plusieurs décennies, le nouveau pouvoir n’a pas su choisir les alliés adéquats pour lui prêter main forte. Désormais, en économie politique on ne patauge pas !
Dans la même rive, la Lybie continue de vivre les retombés du printemps arabes et le pouvoir longtemps assuré par Feu le Colonel Kadafi est partagé par plusieurs fractions antagonistes, qui ont tardé de s’entendre pour organiser les élections, en vue de choisir un seul pouvoir capable de représenter le pays et d’instaurer l’ordre public. Chacun est soutenu en plus des forces tribales, politiquement et militairement par des puissances étrangères, qui veulent avoir leur part sur les marchés et les richesses du sol libyen .
Selon le même constat, l’Egypte qui a vécu le même sort engendré par le printemps arabe, subit une crise économique sans précédent et une instabilité due à la cherté de la vie et aux actes terroristes perpétrés particulièrement au Sinaï. Malgré, le soutien des pays du Golfe, l’Egypte revient à la case de départ et ne peut plus honorer ses créances. Encore une fois, on compte beaucoup sur la baguette magique des pays du Golfe, qui pourraient stimuler son économie.
En Syrie, même si le régime de Bachar el-Assad semble avoir gagné du terrain et récupéré quelques régions, les forces étrangères russes, iraniennes, turques et les groupes armés, même terroristes, ne semblent pas quitter, pour demain le pays. Il ne faut pas oublier que non loin de la Syrie, la guerre civile déstabilise l’Irak et toute la région. Le Yémen demeure une poudrière qui continue de déstabiliser la région suite aux soutiens du régime iranien aux populations chiites de toute la région. Ce sont des combattants étrangers partis de l’Irak qui ont participé à la création de groupes terroristes en Syrie, en Lybie, au Yémen et en Somalie. Ce sont soit des combattants chiites, soit sunnites.
Le Liban constitué de mosaïque ethnique comme celle de la Syrie est affaiblie par les crises financières et les ingérences étrangères. Le partage du pouvoir institué par la constitution n’est plus adaptable .Le pays est déjà en faillite. Le partage des frontières maritimes avec Israël pourrait lui procurer une part importante en gisement de gaz. Mais jusqu’à quand le Liban va dépendre des aides alimentaires ? Pourtant sa diaspora, au Golfe, en Amérique latine et en Afrique est l’une des plus riches au monde.
Israël, bien qu’elle soit considérée démocratique par l’Occident et possédant un potentiel important pour la rendre la première puissance régionale, elle continue de faire face à la résilience de la résistance palestinienne. C’est un conflit qui a longtemps perduré au niveau régional et international. Même si l’Etat hébreu n’est plus encerclé par des régimes panarabes menaçant, il est toujours exposé aux attaques des groupes armés et à un éventuel conflit avec l’Iran.
La Turquie devenue nouvelle puissance régionale veut à tout prix renouer avec son histoire de l’Empire Ottoman. Elle a son mot à dire dans son voisinage de l’Asie Centrale et exerce une diplomatie offensive. Ankara est en conflit avec ses voisins de la méditerranée, particulièrement avec la Grèce et Chypre sur les frontières terrestres et maritimes. Malgré le tracé qu’elle a ratifié avec la Lybie, les pays du voisinage ne sont pas tous d’accord. Elle est en combat permanent avec les Kurdes qu’elle qualifie de terroristes. Pour se protéger, contre eux et contre d’autres groupes armés, ses forces ont occupé une partie des territoires syriens et suivent de près les Kurdes en Irak et en Iran.
En matière de géopolitique de l’or bleu, elle a profité des guerres en Irak et en Syrie pour construire plusieurs barrages. Ce qui a influencé sur le débit des eaux des fleuves de l’Euphrate et du Tigre. Donc, le stress hydrique est déjà installé et c’est un problème qui peut devenir plus grave, une fois la stabilité revenue en Irak et en Syrie.
La Turquie est aussi souvent en conflit d’intérêt avec certains alliés de l’OTAN, en particulier la France. Car les héritiers de l’Empire Ottoman, n’ont pas cessé de s’introduire dans les zones d’influence françaises en Afrique et au Moyen-Orient (Syrie, Liban, Libye …).
La rive Nord de la Méditerranée touchée par le séisme
En passant par l’Europe sans citer une autre fois la Grèce, membre de l’OTAN et de l’Union européenne, ennemi juré de la Turquie, on trouve un conflit identitaire non résolu et ce malgré la constitution d’une coalition qui gouverne la Bosnie- Herzégovine . Cet Etat est divisé en trois entités autonomes : la fédération de Bosnie-et-Herzégovine, la République serbe de Bosnie (Republika Srpska) et le District de Brčko. Le président Milorad DODIK, de la République serbe de Bosnie, défend une sécession des Serbes et une création d’un État serbe de Bosnie et pourquoi pas l’annexer à la Serbie, patrie mère, pour constituer un grand Etat. Les populations slaves défendent à tout prix leur identité.
Néanmoins actuellement, les citoyens de cet Etat sont obligés de cohabiter . La montée d’un mouvement nationaliste ou populiste, à l’instar des pays voisins, comme la Hongrie, n’est pas à écarter. La Russie et d’autres Etats n’ont pas reconnu la Bosnie-Herzégovine, née suite à l’implosion de l’ex-Yougoslavie.
Non loin, l’Italie n’est pas satisfaite de la politique migratoire de l’Union européenne et de certains agissements français en méditerranée. L’arrivée au pouvoir pour la première fois dans l’histoire politique italienne d’une femme à la présidence du gouvernement est un évènement sans précédent. Il ne s’agit pas seulement d’égalité de sexe ou de choix démocratique des italiens. Mais c’est une femme qui ne veut pas qu’un pays comme la France menace ses intérêts vitaux.
L’instabilité en Lybie et l’entrée en course de la France dans ce pays continue d’aggraver la relation entre ces deux Etats, au niveau régional et européen. Pour les italiens la Lybie a toujours fait partie de leur zone d’influence et constituait un marché important pour leurs manufactures et leur groupe pétrolier.
La France est depuis quelques années ciblée par les anglosaxons, les turcs, les russes et son monde de francophonie. N’ayant pas changé sa stratégie diplomatique, elle pourrait se trouver sans alliés. Son économie est de plus en plus en déclin et à la Mercie, en partie des anciennes colonies africaines, qu’elle perd progressivement. Après avoir perdu le marché des sous-marins avec l’Australie , la France vient encore de rater un marché de construction d’une centrale nucléaire en Pologne , encore une fois au profit des américains. Le vent de la désinformation n’est qu’une partie de la guerre hybride qu’elle subit.
L’Espagne n’est pas encore relevée de la crise économique de 2008, des séquelles de la pandémie et des mouvements d’indépendance. Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM)[2], l’Espagne continue d’être en tête des pays d’arrivée par mer des migrants et réfugiés en Europe En plus des bénéfices réalisés par le tourisme, elle a beaucoup besoin de la coopération avec les pays de la Méditerranée qui constituent un marché de proximité. D’ailleurs, elle est le premier investisseur au Royaume du Maroc. Bien qu’elle soutienne le plan d’autonomie avancé par le Royaume dans son Sahara récupérée, le dossier des iles et des présides du nord n’est pas fermé.
Le Royaume Uni qui est sorti récemment de l’UE est présent dans cette région via Gibraltar[3] au sud de la péninsule ibérique et les bases souveraines d’Akrotiri et Dhekelia sur l’ile de Chypre[4].Le Royaume a été touché plus qu’auparavant par les démissions de ces gouvernements. Suite au Brexit le 31 janvier 2020, le Royaume n’a pas pu s’adapter facilement. A l’instar des autres pays occidentaux du vieux continent, il n’a pas été épargné des séquelles de la pandémie et de la crise créée par la guerre en Ukraine. A travers ce petit tour d’horizon sur les deux rives de la méditerranée, on pourrait déduire que les stratégies adoptées connaissent certaines limites dans les rives ci-après :
Les pays du nord sont eux aussi désunis et fragiles à cause de leurs guerres d’intérêts et leurs convoitises des pays du Sud. Leur crise financière se répercute sur leur stratégie de coopération Nord- Sud, qui connait souvent des blocages au niveau de l’administration de l’UE. Les aspirations et les objectifs tracés , depuis le milieu des années quatre-vingt -dix à nos jours, par les ministres des affaires étrangères des deux rives ne constituent pas souvent des priorités de l’UE. En plus de la pandémie qui les a endettés, s’ajoute la guerre en Ukraine et les manifestations sociétales dans la majorité des Etats européens.
La crise énergétique qui menace la majorité des Etats du continent européen pourrait coûter beaucoup à la stabilité sociale et économique. Des violations de droits de l’homme ont été enregistrées suite aux sorties des populations dans les rues de certaines capitales qui défendent les valeurs démocratiques.
Dans les pays du Sud du bassin, la Syrie et la Lybie constituent des foyers non éteints qui pourraient continuer dans le temps et menacer tous les espaces voisins. De même l’Algérie et la Tunisie sont exposés par leurs gouvernants, à devenir à leur tour des zones à haute turbulence. Les populations de la rive sud continuent de fuir les zones de conflit. Selon l’OIM plus de 5.000 décès enregistrés sur les routes migratoires européennes depuis 2021[5].
En somme cette région qui a donné naissance aux religions monothéistes et dont les habitants sont les descendants du prophète Abraham, continue depuis l’antiquité à nos jours de constituer un théâtre de conflits et de convoitise des puissances. Suite aux découvertes récentes des gisements de gaz le partage des frontières maritimes n’est plus aisé .
Certains régimes du Sud de la rive méditerranéenne, n’ont pas su s’adapter avec la nouvelle géopolitique régionale et internationale. Leurs discours politiques sont plus que dépassés. Ils pourraient disparaitre et laisser derrière eux l’anarchie ou les guerres fratricides dont le seul but est le partage du butin constitué des exportations de gaz. Les scénarios d’insécurité libyen, yéménite, irakien ou syrien, pourraient toucher les autocraties, particulièrement ceux dirigées par des oligarchies militaires.
[1] Territoire palestinien qui est parmi les plus surpeuplé dans la région. Considéré comme l’une des plus anciennes zones de tensions dans la région, cette bande donnant sur la rive sud, est souvent utilisée comme bases d’attaques des groupes armés palestiniens contre Israël. Dépourvues de moyens de base, les populations de ce territoire souffrent de pénuries d’eau, des coupures d’électricité et d’infrastructures de base.
[2]« Entre le 1er janvier 2018 et le 15 juillet 2018, 18.016 migrants et réfugiés ont atteint les côtes espagnoles…L’Italie, qui était jusqu’alors le premier pays européen de débarquement de migrants et réfugiés en provenance d’Afrique, talonne l’Espagne avec 17.827 arrivées enregistrées depuis le début de l’année. La Grèce arrive en troisième position avec 14.678 arrivées pour la même période. » lire ONU info l’actualité mondiale un regard humain sur : https://news.un.org/fr/story/2022/10/1129132?utm_source=UN+News+-+French&utm_
[3] Rocher constituant un passage stratégique pour l’accès ou la sortie de la mer méditerranéenne, réclamé par l’Espagne.
[4] Située au sud de Chypre entre les villes de Larnaca et Famagouste, la base britannique d’Akrotiri, un des sites militaires dont l’importance est géostratégique dans le monde, prise lors de l’indépendance de Chypre en 1960. La base d’Akrotiri, est utilisée par la Royal Air Force, et celle de Dhekalia, par la Royal Navy. Etant proches des foyers de tentions du Proche et Moyen-Orient, elles ont souvent servi aux projections des forces anglaises et américaines dans la région.
[5] Idem, Selon l’OIM, plus de 29.000 décès sont répertoriés sur les routes migratoires vers l’Europe depuis 2014, ce sont au moins 5.684 décès qui sont recensés sur les routes migratoires à destination et au sein de l’Europe depuis le début de 2021.
Zakaria HANAFI
Related posts
Catégories
- Economie (39)
- Editorial (22)
- Géopolitique (44)
- Histoire (23)
- interview (14)
- Non classé (4)
- Relations internationales (37)
- Strategie (39)
Rencontrer l'éditeur
HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.