Le projet de Gazoduc transatlantique qui devrait relier le Nigéria à l’Europe via
l’Afrique de l’Ouest et le Maroc constitue l’un des leviers structurant de l’avenir
du continent africain. Il s’agit d’un projet qui devrait contribuer à façonner
l’Afrique de demain. Plus particulièrement, ce projet constitue l’un des prismes
à travers lequel, on pourrait mesurer l’implication du Maroc dans le
développement de l’Afrique.
En effet, si l’idée du projet a été lancée lors de la visite du Souverain marocain
au Nigéria en 2017, l’évolution du monde à l’heure actuelle montre très bien la
pertinence de ce projet ; on pourrait même risquer d’avancer l’hypothèse selon
laquelle l’idée même du projet se basait sur une lecture proactive de l‘évolution
des relations internationales dans un climat caractérisé par l’incertitude.
Un anachronisme géopolitique ?
Dans la littérature ambiante aujourd’hui, l’avenir appartient aux énergies
renouvelables et propres. Les énergies fossiles seraient ainsi, si l’en croit
certains, en voie de disparition. Certains sont allés vite en besogne allant jusqu’à
déclasser ces énergies en tant que vecteurs géopolitiques. Or, les événements
qui marquent ces derniers mois et années montrent au contraire que les
énergies classiques maintiennent leurs rôles dans le grand jeu des relations
internationales. Les péripéties de la guerre en Ukraine ont constitué un effet de
rappel qui a réveillé les esprits trop romantiques. Un nouveau monde est en train
de naître certes, mais avec les mêmes armes de l’ancien monde.
Enjeux
Le projet de gazoduc transatlantique constitue une réponse que le Maroc
voudrait préparer face effectivement à ces mutations. Le Royaume cherche en
effet une voie alternative pour pouvoir concurrencer l’Algérie dont la valeur
géostratégique est tributaire du degré de dépendance de l’Europe de son gaz
naturel.
En effet, l’Algérie a bien compris cet enjeu en refusant de renouveler l’accord du
Gazoduc Maghreb Europe. L’Algérie a voulu ainsi brader la valeur géopolitique
du Maroc qui le tient notamment de son positionnement géostratégique en tant
que tête de pont entre le Maghreb et l’Europe.
L’Algérie essaie de tirer profit de la situation actuelle liée notamment à la guerre
en Ukraine et qui se caractérise par une certaine pression sur le marché mondial
de l’énergie afin de renforcer ses capacités de négociations face à l’Europe.
Le Maroc a porté son dévolu sur ce projet afin de faire face à ces calculs algériens,
en vue de maintenir, voire approfondir sa valeur géostratégique.
Engagement renouvelé
Le projet de gazoduc continue de présenter des avantages à la position
marocaine malgré les mutations internationales et régionales. Il s’agit d’une
valeur sure qui résiste à tous les aléas. C’est pour cette raison, qu’on a assisté
dernièrement à des avancées dans le processus de finalisation de la conception
à travers plusieurs actions. Ainsi, en février dernier, lors d’un symposium
organisé à Tokyo par l’ambassade du Maroc sur les « opportunités d’affaires en
Afrique, le projet du gazoduc a été présenté en tant que projet structurant pour
le développement du continent.
Plusieurs mémorandums d’entente ont également été signés par plusieurs Etats
concernés. Au total, sept États en plus de la CEDEAO ont signé avec le Maroc et
le Nigéria des mémorandums d’entente qui traduisent une adhésion des
signataires à la réalisation du projet.
Tous ces éléments montrent bel et bien la croyance des autorités marocaines
dans la pertinence du projet et le renouvellement de ses enjeux.
Risques
Le Maroc se doit néanmoins de rester très vigilant face aux risques de différentes
formes qui pourraient mettre en péril dans le future la viabilité de ce projet.
On peut diviser ces risques en deux grandes catégories :
Il existe ainsi tout d’abord des risques nouveaux qui viennent d’émerger ces
dernières semaines :
• Ainsi, l’Algérie annonce le lancement d’une nouvelle dynamique
diplomatique en Afrique visant à rattraper le retard face à la dynamique
marocaine. En effet, l’Algérie entend dépenser beaucoup d’argents afin de
nuire aux avancées du Maroc. Cette initiative ne devrait pas être prise à la
légère pour plusieurs raisons liées notamment à la nouvelle conjoncture
mondiale qui pousse vers une fragmentation de la communauté
internationale autour de la rivalité montante entre la Chine et les EtatsUnis. La détermination de l’Afrique du Sud à prendre des distances avec le
monde occidental entre également dans ce cadre.
• L’évolution de la nouvelle configuration politique au Nigéria suite aux
dernières élections présidentielles devrait être suivie avec beaucoup de
vigilance. On sait que le projet de gazoduc est d’abord le produit d’une
vision commune entre le Souverain marocain et le président Buhari. On
ne s’attend pas certes à une grande rupture dans les orientations
diplomatiques de cette puissance continentale, néanmoins la tentation
d’un retour en force de l’axe Alger, Pretoria, Abuja pourrait nuire à l’avenir
de ce projet.
Il existe d’autres facteurs de risques connus de tous et qui ont un caractère plus
ou moins structurels tels que les vulnérabilités sécuritaires qui frappent
certaines zoneset qui pourraient transformer le gazoduc en une cible privilégiée
des attaques terroristes. L’instabilité politique de certains États fait partie
également de ces risques à prendre en compte.
Néanmoins, deux facteurs de risques devraient plus que les autres attirer
l’attention dans la mesure où ils ont un caractère pratique et de ce fait peuvent
bloquer la réalisation du projet :
• La crise économique qui frappe plusieurs régions du monde dont le Maroc
et le Nigéria. Cette crise a un impact négatif sur les efforts
d’investissement et pourrait reléguer le degré de priorité de ce projet aux
yeux des principaux bailleurs de fonds.
• La vétusté de plus en plus décriée des infrastructures énergétiques au
Nigéria et qui plombe d’ailleurs la production de ce pays. La mise en niveau
de ces infrastructures nécessitera un effort financier colossal qui pourrait
rejaillir sur le projet de gazoduc.
Le Maroc se doit ainsi de demeurer vigilant par rapport à ces mutations
amplificatrices des risques. En effet, la diplomatie marocaine qui a montré des
signes de dynamique et de sens stratégique durant ces dernières années devrait
renouveler ses instruments afin de faire face à ces mutations. Le projet de
gazoduc est en fait un véritable métronome qui pourrait déterminer l’avenir de
la valeur géopolitique du Royaume.
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.