Plusieurs fois, les chefs d’Etat africains ont participé à des réunions ou des sommets de haut niveau au sein de l’ONU ou dans d’autres institutions internationales. De même, ils ont été conviés à des sommets avec des puissances économiques pour trouver des solutions à leurs difficultés. Pourtant, contrairement à l’Asie, la majorité des pays du continent africain gardent l’étiquette de pays pauvres, sous-développés, certains se considérant non alignés et les plus chanceux sont ceux jugés en voie de développement ou émergeant.
Leur indépendance ne leur a servi à rien. Tous ont profité de leur déplacement en Russie pour se soulager, exprimer leur nouveau revirement et défendre leurs intérêts à Saint-Pétersbourg. Une occasion d’or pour la Russie qui a tout misé pour la réussite de l’évènement qui a débuté par un sommet ouvert , des moments réservés aux discussions bilatérales et une invitation au défilé de la marine russe. Cette intervention se base sur les facteurs du désespoir africain, du virage inattendu exécuté par les Etats du continent et la réussite du sommet Russie Afrique organisé pendant les 27 et 28 juillet 2023, en vue de créer un nouvel ordre africain et influencer sur la géopolitique internationale.
Constat d’un continent qui n’a rien gagné
N’ayant pas été satisfaits de l’architecture sécuritaire et financière internationale, héritée de la période de l’ après deuxième guerre mondiale, les Etats africains continuent de chercher leur identité pour se libérer de ce que les puissances occidentales leur ont imposées. Par absence de cohérence dans les régimes de sécurité , les africains essaient de créer leurs propres stratégies et moduler un cadre politique, conforme à l’architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine (APSA) et à l’architecture de gouvernance africaine (AGA)[1]. Néanmoins, malgré les changements de régimes, la constitution d’organisations régionales, le poids des organisations internationales, à caractère politique, principalement l’ONU et financières comme le FMI et la Banque mondiale, généralement, les Etats de l’Afrique se sentent toujours pris au piège. Comment un continent dont le sol et le sous-sol constituent des richesses importantes continue de demander les aides, dépendre des puissances coloniales, de se soumettre aux décisions des autres puissances et de plonger dans des guerres intestines ?
En effet, dans le cadre de la reconstruction de la paix en Afrique et le choix d’une architecture financière adéquate, la majorité des pays, bien qu’ils aient transposé les textes destinés à chaque activité, ils ne disposent pas souvent du financement et de l’expertise technique nécessaires. En ouvrant leur porte aux puissances non coloniales, ils découvrirent qu’ils sont dépassés et certains voient que c’est voulu de garder l’Afrique sous-développée et instable pour profiter de ses richesses.
Avec le développement des moyens de communication et leur prolifération au sein des ménages et des individus, le panafricanisme [2]est de retour et les africains sont de plus en plus conscients de leur devenir et leur raison d’être. C’est ce qu’ appellent certaines puissances coloniales la désinformation. Pourtant, ce sont ces puissances qui n’ont pas su partager leur savoir et développer les pays, au lieu de se limiter à exploiter leurs ressources naturelles. L’ère de l’évangile pris par une main et le vol des biens à main armée au nom de Dieu n’est plus de rigueur. Les populations africaines ne veulent plus répondre aux obligations, sans avoir leurs droits et certains gouvernants désignés pour défendre les intérêts des puissances étrangères ne sont plus en mesure de garantir cette continuité.
Afin d’assurer la sécurité et maintenir l’ordre public les responsables politiques doivent être plus autonomes par rapport aux ingérences étrangères et avoir la liberté économique telle que le stipule la législation internationale. D’ailleurs pendant les sommets Afrique avec les puissances économiques les Etats africains doivent être capables de signer des contrats ou des accords sans attendre la tutelle d’autres puissances.
L’Afrique veut se libérer et choisir ses partenaires
Au départ, c’était la France qui réunissait les Etats africains autour d’un sommet pour discuter leurs problèmes et les défendre au sein des institutions internationales. Depuis 1973, vingt-huit sommets ont été organisés par la France. Beaucoup de fois, des initiatives importantes ont été prises. Mais, depuis ces dernières décennies les africains ont ouvert leurs yeux dans d’autres sommets avec la Chine, la Russie, le Japon la Turquie, l’Allemagne et d’autres. Les responsables et la société vive africaine ont découvert par leurs participations, d’autres horizons prometteurs, leur permettant de sortir de leurs coquilles, d’avoir plus de libertés d’actions et mettre fin à leurs crises multiformes, qui ont longtemps duré.
La montée des cas de coups d’Etat très critiqués par l’Occident pour non-respect du principe démocratique n’est pas un sujet d’actualité chez la majorité des puissances montantes. La Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et d’autres Etats émergeants ne donnent guère importance à la manière par laquelle sont gouvernés les Etats. Ils s’intéressent particulièrement à la stabilité politique, quel que soit la forme du régime et aux intérêts économiques. A part la France[3], les Etats Unis d’Amérique et quelques puissances occidentales ou organisations africaines[4] aucun acteur politique ne s’intéresse à ce qui advient des régimes africains. D’ailleurs de retour après le sommet Russie-Afrique le président Burkinabé a été accueilli comme héros national, par une grande foule. Même le président malien, qui est à son tour militaire de carrière est considéré par son peuple comme un grand libérateur.
Ainsi, parmi les énigmes à relever, il existe une diplomatie de double facette[5] dans les relations avec les pays du Sud. La France a souvent critiqué certains régimes africains[6] et épargné d’autres avec qui, elle a des intérêts économiques. Par cette stratégie contradictoire plusieurs Etats africains cherchent à privilégier leur relation avec d’autres puissances.
Une stratégie de la Russie en Afrique bien cartonnée
Organisé dans des moments difficiles, marqués par le souhait de changer l’ordre international, en faveur d’un monde multipolaire basé sur le multilatéralisme, le sommet Russie Afrique se trace aussi comme objectif stratégique de moduler les architectures de paix et de sécurité, puis changer l’équilibre financier.
La Russie a su profiter des erreurs stratégiques et diplomatiques des anciennes puissances coloniales pour revenir sur le terrain africain en tant qu’héritier de l’URSS et en défendant les causes des Etats qui veulent changer de partenaire stratégique.
Par cette stratégie diplomatique, le Chef du Kremlin défend un monde multipolaire où il n’y a pas de néocolonialisme et veut montrer au monde entier qu’il est contre l’impérialisme. C’est un discours qui arrange les populations africaines et en particulier ceux qui défendent le panafricanisme. En Afrique, c’est devenu un slogan de référence pour ceux qui veulent se présenter aux élections présidentielles en Afrique. Généralement, les facteurs de la réussite de cette rencontre russo-africaine sont justifiés dans les points ci-après :
– Le sommet de Saint-Pétersbourg a montré que les chefs d’Etats africains ont répondu en nombre important à cet événement. Ils étaient environ une vingtaine et 49 pays ont été présents au sommet. La Russie a su gagner son pari en optant pour une stratégie de proximité et d’accompagnement des pays pauvres à l’instar de l’URSS.
-Les Chefs d’Etat ont été très bien reçus et traités d’égal à égal et sans orgueil. Parmi les présidents, ceux du Mali et du Burkina Faso ont été honorés par la Russie, alors qu’ils sont considérés putschistes par l’Occident et par leurs frères africains. Ils ont eu chacun un moment avec le président russe afin d’étaler leurs problèmes et chercher les moyens de développer leur partenariat. Certains ont bénéficié des bourses d’études et d’autres aides au cours des tables rondes.
– Certains Chefs d’Etat, comme l’a souligné le président du Congo Brazzaville ont eu des difficultés pour se déplacer et ont mis beaucoup de temps pour arriver à temps. Malgré le désarroi affiché par quelques intervenants, la majorité des Etats africains ont démontré leur non alignement avec l’Occident et leur intention de se libérer de la tutelle d’autres acteurs politiques. Les engueulades entre chefs d’Etat africains lors du premier jour du sommet ne change rien en ce qui concerne la relation russo-africaine. Ces malentendus et mots mal déplacés demeurent un linge salle à laver en interne et c’est aussi un conflit de génération entre anciens et nouveaux présidents.
-La Russie a prévu de résoudre le problème de céréales en l’exportant directement aux pays africains et les assister en matière de coopération dans les volets du commerce, la sécurité, la santé et l’énergie nucléaire. Les aides sont estimées à quelques vingt milliards de dollars. Les différentes sanctions à l’encontre du Mali, du Burkina Faso et du Niger, n’auront pas de grands effets si certains Etats du BRICS prennent en charge les difficultés financières de ces pays. Cette réaction constituera un bras de fer entre les puissances traditionnelles et les forces émergeantes ;
-Plusieurs chefs d’Etats africains ont assisté au défilé de la marine à Saint-Pétersbourg. Certains pourraient bénéficier du soutien militaire. Ceci pourrait dire que les responsables africains , ont été bien pris en charge, ont fait confiance aux propositions de la Russie et les discussions individuelles, lors des tables rondes ont réussi ;
-Le boycotte de la photo de famille par certains hauts responsables africains n’a rien à avoir avec la réussite ou non du sommet. Les absents n’ont fait qu’appliquer les dispositions de l’UA et de la CEDEAO concernant la non reconnaissance des régimes militaires ;
-La Russie a su à l’instar du sommet Chine-Afrique, se conduire sagement et ne pas s’immiscer dans les problèmes internes et régionaux des pays africains. Ce sont des règles d’engagement que la majorité des nations adoptent avec les Etats du monde. Malgré qu’elle ne reconnaisse pas ouvertement la marocanité du Sahara, la Russie n’a invité que les 54 Etats reconnus par les Nations Unies. Le Maroc demeure le premier partenaire commerciale en Afrique vue le flux d’échanges. Le Chef du gouvernement a été le premier à prononcer le discours et les accords de pêche entre les deux pays incluent le Sahara marocain. Ces indices montrent bien qu’il s’agit d’un succès diplomatique marocain et un désastre non attendu par l’Algérie et la république d’Afrique du Sud qui ont réussi à convaincre la Tunisie, à tort en recevant illégalement dans son territoire la pseudo RASD, sans approbation du Japon.
Par contre tout en considérant le Maroc comme pays ami de la France, certains acteurs français, veulent porter atteinte à la cause nationale du royaume en voulant organiser une exposition du front POLISARIO dans l’un des musées de Paris. D’autres acteurs français, invitent les séparatistes au parlement français. Et ce juste pour menacer le Maroc. Pourtant la France connait bien les cartes géographiques et l’histoire du Maroc avant le protectorat. C’est elle qui doit être la première à défendre la marocanité de ses territoires récupérées.
Finalement, le sommet Afrique-Russie a connu un succès stratégique. Malgré que le temps ne soit pas favorable à son organisation à cause du conflit russo-ukrainien et les sanctions infligées par l’Occident à la Russie. Ceci pourrait aussi aider la Russie à sortir de l’isolement qu’essaye de lui créer l’Occident, à éviter les sanctions occidentales et à utiliser sa monnaie locale dans les échanges commerciales prévues avec l’Afrique.
Cette réunion Russie Afrique à Saint-Pétersbourg, constitue un espoir pour les Etats africains aspirant ouvrir une autre page d’histoire et demeure une suite logique de la stratégie des tables rondes et des panels du premier sommet russo-africain organisé en 2019 à Sotchi.
Cet évènement pourrait être à l’origine du changement des enjeux économiques et d’un virage sans précèdent en faveur de la Russie, la Chine et l’Inde. Aussi, dans le cadre de la coopération Sud-Sud, certains pays comme le Brésil, la république d’Afrique du Sud, l’Egypte et le Royaume du Maroc pourraient renforcer leur position encore plus en matière d’échanges commerciaux au sein du continent africain.
[1] Dans ce sillage, nous avons comme outil de référence le « Cadre politique de l’UA sur la reconstruction et le développement post-conflit (PCRD) » dont le projet a débuté en 2006 et l’Initiative de solidarité africaine (ISA). Soumise à la charte des nations unies qui accorde le monopole de la paix et de la sécurité internationale au Conseil de sécurité, l’approche sécuritaire de l’UA, recentre la sécurité continentale, conformément au droit de la paix et de la sécurité internationales, avec son propre référentiel qui est l’architecture de paix et de sécurité africaine (APSA).
[2] Dans les réseaux sociaux, Kémi Séba , Nathalie Yamb et d’autres youtubeurs ne cessent de sensibiliser les jeunes sur l’intérêt du panafricanisme et les séquelles du néocolonialisme. Les discours rappellent les étapes difficiles de l’Afrique : esclavage, colonialisme et néocolonialisme. C’est ce qualifie la France de guerre de désinformation.
[3] Je n’ai rien contre la France. Mais en tant que chercheur académique, je rapporte les difficultés internes du pays liées à la faiblesse du pouvoir à assurer son autorité régalienne et conduire une bonne renommée diplomatique comme ses pré successeurs. Pour mieux comprendre le déclin stratégique et diplomatique français en Afrique, lors de cette dernière décennie, lire mes articles sur geopolitique.ma sur les liens ci-après :
- https://geopolitique.ma/2022/08/31/la-republique-francaise-en-perte-de-ses-acquis/
- https://geopolitique.ma/2022/08/31/le-declin-vertigineux-de-la-metropole/
- https://geopolitique.ma/2022/08/31/strategie-diplomatique-depassee/
[4] L’Union Africaine ne cesse de menacer les régimes militaires. Aussi, sein de la CEDEAO, il existe le protocole additionnel de 2001 et la réforme des forces armées qui n’autorise pas l’armée et les autres forces de sécurité à prendre le pouvoir. Pourtant, malgré les dénonciations et les sanctions économiques prononcées par les puissances ou par certains Etats africains les nouveaux régimes qui se déclarent se libérer du new colonialisme français trouvent leur soutien en signant des accords avec les puissances émergeants.
[5] En plus de la commission la CEDEAO chapeautée par l’ancien président du Nigéria dépêchée vers le Niger, la France a choisi en tant que médiateur le président du Tchad qui est aussi militaire !
[6]. A titre de rappel, la diplomatie française à double facette est comme suit : avant que l’Egypte commande des avions de chasse RAFAL et d’autres équipements militaires, la France critiquait le régime égyptien. De même, la relation est contradictoire avec l’Algérie. C’est la raison pour laquelle, le président algérien a choisi, au lieu d’honorer son engagement de voyage en France, d’aller en Russie, en Chine et en Turquie. Les responsables au Sahel se demandent souvent, pourquoi la France reconnait le régime militaire tchadien et non pas leur pouvoir. Les Iles Comores ne vont pas arrêter de réclamer l’ile Mayotte et d’autres territoires outre-mer (Polynésie) pourraient se révolter à cause de la diplomatie de cette dernière décennie.
Zakaria HANAFI
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HANAFI ZAKARIA Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense.