F.L.S.H. Mohammedia.

(Suite) La Méditerranéeest-elle notre mère 

 ou notre mer (MARE NOSTRUN) ?

Une esquisse de la Méditerranée à l’ère monothéiste :

Nous retenons de l’époque antique en particulier à l’époque hellénistique, à travers les guerres médiques[1] (entre 490 et 479 av. J.-C.) entre grecques et perses une première confrontation entre l’Orient / l’Occident ressuscitées deux siècles plus tard par Alexandre Legrand vers la Mésopotamie.  Rappelons que le second conflit militaire fut entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, en l’occurrence entre Rome et Carthage pour s’accaparer les routes maritimes et faire de ce grand lac d’eau la « mer des grecs » en dominant la mer adriatique.

Au Moyen Age, l’expansion des nations et des empires au sein de l’espace méditerranéen fut « parrainée » cette fois-ci par deux religions : chrétienne et musulmane. En parallèle, des échanges commerciaux et culturels ont bien eu lieu, marqués sporadiquement dans un premier temps par des expéditions militaires entre l’empire byzantin et les Omeyades puis dans un second temps entre les royaumes chrétiens d’Occident et les Abbassides[2].  Nous avons ainsi assisté tout au long de cette période au transfert de centre de commande de Rome (entre 146 av. jusqu’à 476 ap. J.-C.) vers le sud-est, c’est – à- dire vers « Damas » et plus tard « Bagdad » en inaugurant ainsi le déplacement du centre de commande du nord de la Méditerranée vers le sud-est et par la même occasion donnant naissance à l’ère de l’« Occident » face à « l’Orient »[3]. Un héritage que maintiendront les Ottomans tout long de l’époque moderne.

Figure N°: 4 (www.schoolmouv.fr)[1]

Une dualité que Henri Pirenne a porté pendant les années trente du siècle dernier à son paroxysme en inculpant l’instauration de la civilisation musulmane au sud de la méditerranée comme cause de blocage des échanges au niveau du bassin méditerranéen[2] . L’énigme des nations entourant la Méditerranée est qu’aucune civilisation, païenne ou monothéiste, n’a pu anéantir les autres ou du moins leurs résidus. C’est tout simplement une succession de model civilisationnel tant païen que monothéiste.

 Notons, à juste titre, l’exception du de la religion judaïsme, n’ayant pas pour vocation une expansion territoriale, car dans son dogme, elle part du principe du « peuple élu », ce qui limite quantitativement une explosion démographique. Par conséquent, leur espace géographique reste assez restreint par rapport aux deux autres religions monothéistes.  A partir de ce constat, l’espace méditerranéen se devait d’être disputer directement entre le christianisme et l’islam qui sont deux religions à prêcher pour  l’ensemble de l’humanité = (للعالمين).

Effets secondaires de l’Antiquité et du Moyen Age sur le présent de la Méditerranée[3]

Comprendre de nos jours les rapports politico-économiques de l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen sollicite incontestablement le recours à l’Histoire afin de définir une quelconque recette pouvant régir des relations harmonieuses entre ces nations. Finalement, ce que les Empires païennes et monothéiques ont essayé vainement d’imposer militairement leurs propres modèles civilisationnels, la loi du marché essayer de le réussir à travers la CCE et plus tard la CE bien évidement dans le cadre de la mondialisation.

Le rendez-vous déformé du partenariat « euro-med », où l’Europe décidait pour les pays de l’Afrique du Nord et du Proche Orient démontre pourquoi la création d’un espace méditerranéen économique et politique a -toute au long de l’Histoire- souvent connu une convergence du centre d’intérêt vitaux de chaque nation du pourtour méditerranéen, mais cette nature de rapports a été souvent travesti par la question de la religion ou du devoir du civilisateur envers les autres.

Rappelons que le XIXème siècle fut en grande partie marqué par la colonisation franco-anglaise de l’ensemble des pays du sud de la Méditerranée ce qui rappel à bien des égards. Le conflit militaire entre Carthage et Rome[4] . Résultat du compte, le bassin est éternellement -depuis l’époque antique- le noyau et un laboratoire d’une dualité sporadique entre des empires soit laïques ou religieux. De ce fait, aujourd’hui, la rive nord du vieux continent appelée « Occident » en face de la rive désignée comme « Orient » sont dans une phase de quête du sens et de repère[5]. Nous avons ainsi un « Occident » accidenté et un « Orient » désorienté. Par coïncidence, au niveau des vocables, la langue arabe est assez révélatrice au niveau de la langue arabe « un point noir » sépare les deux civilisations bien ancrées toute au long du pourtour méditerranéen :

« العرب و الغرب » pour désigner l’« Occident » et les « Arabes ».

A ce propos, nous avons déjà mis l’accent[6] sur la nature du corps humain qui symbolise cette réalité historique : Si nous calquons le corps humain sur une carte du de la Méditerranée, nous parviendrons à une autre terrible concorde entre la biologie et la géographie : Prenons au niveau du corps, l’abdomen comme étant à la fois une frontière entre le nord et le sud du corps humain et des nations du bassin méditerranée. Tant sur le plan biologique que géographique, nous trouvons dans la partie supérieure :

  •  Le cerveau pour penser,
  • le cœur pour aimer,
  • les mains pour bâtir et
  • la voie buccale afin de consommer.

Par contre, dans la partie inférieure, se situent les parties honteuses, d’où se situe la sortie des déchets et, enfin les jambes qui exécutent les ordres du cerveau. S’agit-il encore d’un pur hasard ou d’une complémentarité entre l’anatomie de l’homme et de son espace géographique de la Méditerranée ? 

En guise de conclusion

Décidément, si l’on s’amuse à décomposer le vocal « Méditerranée », peut s’avérer constructif est révélateur de l’histoire du bassin méditerranéen. Ainsi, nous parviendrons à ceci « Médi-terre-année » qui signifier : avec les années et au milieu des terres, une mer rassemble plusieurs peuples qui se devaient d’avoir un destin particulier voué à un équilibre. A chaque fois, durant les quatre périodes historiques[7], que les Empires ont tenté de s’accaparer cette région, ce dessein se devait de se dissoudre avec le temps pour revenir à l’état initiale : la multitude de nations.

C’est pour cette raison que le titre notre essai pose l’éternelle question à savoir si selon Jacques Berque : « La Méditerranée plurielle est une cause jamais perdue ». Entre la rive nord et sud de la Méditerranée, nous avons un enjeu de taille, déterminant pour les relations bilatérales entre d’une part le Proche Orient et l’Afrique du Nord et d’une part l’Europe du Sud et de l’ouest. Pour être plus précis, si l’on ne prend pas en considération ces enjeux civilisationnels. Dans un groupe verbal, l’Occident fut durant l’antiquité et l’époque contemporaine le « sujet » et l’Orient un complément d’objet direct »[8].

Sans doute, les universitaires et les académiciens militent eux pour une complémentarité et une cohabitation intelligente entre les peuples du Nord et du Sud de cette région, ce qui n’est pas souvent le point de vue des institutions militaires et financières mondiales.

C’est à nous académiciens de prendre ce constat en considération et d’en tirer les conséquences, en militant pour le respect des autres qui doit bien évidement être mutuel. Il en suivra, plus tard, un échange économique et culturel équilibré. Le rêve d’une cohabitation paisible n’est réalisable que si nous tirons les leçons de notre mémoire collective afin de concevoir ce fatalisme concernant le destin nord-africain assujetti par Rome et en voie de développement aujourd’hui. Avec d’autres disciplines académiques, le recours à l’Histoire peut contribuer à l’élaboration d’une entité méditerranéenne capable de permettre aux uns et aux autres du ce bassin de cohabiter en harmonie.

La sagesse d’Edgar Morin[9] nous incite dans ce sens à : « nous mobiliser contre la grande fracture sismique qui a envahi la Méditerranée. Il nous faut cesser de regarder l’Islam et l’arabisme comme des monolithes ou comme des agressions. Il nous faut penser à tant de brimades, de dénis de justice, aux deux poids et deux mesures, à tant de déception. Il nous faut associer, lier, redonner de la primauté à ce qui nous est commun, restituer l’identité collective sous et dans la diversité, afin de faire émerger l’identité du citoyen de la Méditerranée au sein de nos poly-identités ».

D’où notre démarche salutaire ici qui a pour but de contribuer -peut-être- au moins à la compréhension à partir de l’Histoire des particularités, des constances et des variables de ce bassin méditerranéen. Ils ne se conjugueront qu’au pluriel et jamais au singulier ce qui définit sa singularité par rapport à d’autres régions du monde habité. Somme toute, lorsque Dion Cassius (155 av.- 235 ap. J.-C.)[10] a considéré les historiens comme étant les « ministres de la providence divine ». L’une des providences à enregistres au sujet du bassin méditerranéen, c’est qu’il n’a jamais été pour l’éternité la « mer » d’une quelconque puissance de la région, ceci depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XIXème siècle. Mais par contre, il est aujourd’hui la « mère » de toutes les nations et les cultures limitrophes.  Ainsi, nous espérons avoir répondu partiellement à la question que nous avons indiqué comme titre de notre papier.

Bibliographie annexe

  • Arnaud, Pascal, Les routes de la navigation antique : Itinéraires en Méditerranée, Paris, Errance, 2005.
  • Audisio G., « Vers une synthèse méditerranéenne », dans : Cahiers du Sud, n° 181, mars 1936. Dans son ouvrage Jeunesse de la Méditerranée, il défend le rêve d’une interpénétration culturelle entre les deux rives de la Méditerranée, Gallimard, 1935.
  • Braudel F., La Méditerranée et le monde méditerranéen, 1&2, 1979.
  • Balta P., Méditerranée. Défis et enjeux, L’Harmattan, 2000.
  • Bethemont J., Géographie de la Méditerranée : du mythe unitaire à l’espace fragmenté, A. Colin – 2001.
  • Borne D. et Scheibling J. (dir.)La Méditerranée, Hachette Université, 2002.
  • Bourget M.-N. (dir.), L’invention de la Méditerranée, EHESS, 1998.
  • Carrive M., M-Ad. Le Guennec, L. Rossi, Aux sources de la Méditerranée antique – introduction : Des fragments et des traces : un passé en lambeaux, (dans) : HAL Archives Ouvertes, HAL Id: halshs-01426412 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01426412 Submitted on 10 Jan 2017.
  • Desanges J., Recherches sur l’activité des méditerranéens aux confins de l’Afrique ‘IV siècle avant J.-C. – IV après J.-C), Presse Universitaire de Lille, Lille, 1982.
  • Foontenay M. et Tenent A., « Course et piraterie en Méditerranée de la fin du Moyen Âge au début du xixe siècle », Course et piraterie, 2 vol, Paris, 1975, t. I, p. 78-136.
  • Grrousset R.,, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, 3 vol., Paris, 1934-41.
  • Gervais-Lambony M.A. (dir.), La Méditerranée, Atlande, 2002.
  • Kayser B.,  Méditerranée, géographie d’une fracture, Édisud, 1996.
  • Lieutaud J. (dir.)Une mer entre trois continents : la Méditerranée, Ellipses, 2001.
  • Nicolet Cl., Rome et la conquête du monde Méditerranéen, 2 / Genèse  d’un Empire, P.U.F., Paris, 1978.
  • Sanguin A.-L. (dir.), Mare nostrum, L’Harmattan, 2000.
  • Wackermann G. (dir.), Un carrefour mondial : la Méditerranée , Ellipses, 2001.

[1] – Si nous prêtons bien attention à cette carte du monde chrétien (toute en incluant l’empire byzantin) par rapport au monde musulman, on dirait qu’elle répond exactement à la nature géologique du bassin méditerranéen (Voir ci-dessus, la figure N° 1 : carte géologique de la Méditerranéen) qui a tracé les frontières entre ces deux entités : l’Occident et l’Orient ayant comme frontière aujourd’hui : le Maroc et la Turquie.  

[2] – Henri Pirenne, « Mahomet et Charlemagne », (dans) : Tempus Perrin Tempus, N° : 6197, Janvier, 2016 : « La thèse qui a bouleversé la perception du Haut Moyen Age occidental et compte désormais parmi les classiques. Selon Henri Pirenne, l’avancée de l’islam serait à l’origine de la rupture avec l’Antiquité. Séparant définitivement l’Orient et l’Occident, elle aurait mis fin à l’unité méditerranéenne et repoussé l’axe de la civilisation du Sud vers le Nord ».

[3] – Jean-Louis Guigou, Le nouveau monde méditerranéen, «Collectios-Interfaces économie », Descartes Cie, Casa Express, Rabat,  2013, p. 15 : « Charles Péguy : La Méditerranée est une machine à produire de la civilisation ».

[4] – lors des trois phases des guerres puniques entre 264 et 146 av. J.-C.

[5] – Michel Sabbah, (patriarche latin de Terre sainte, cité par Maurice Buttin dans L’Instrumentation des religions dans le conflit israélo-palestinien, Paris, Les éditions du CVPR-PO, 2011, p. 4.), affirmait le 13 octobre 2001 à Assise, en Italie : « Les pouvoirs laïques doivent prendre garde de ne pas utiliser les religions dans leurs calculs de domination, car le détournement de la religion peut leur échapper, soit en se dirigeant vers l’extrémisme et le fanatisme donnant lieu au terrorisme, soit vers une exploitation de la démocratie, qui permettrait à l’extrémisme religieux d’accéder au pouvoir par les moyens démocratiques et de la transformer ensuite en dictature ».

[6] – Rahmoune Houcine, « L’Afrique du Nord dans ses rapports avec les provinces occidentales de Rome » ; publiée au XIIIème Congrès   International de l’AFRICA ROMANA à  Djerba, Carroci editore, Roma, novembre 2000, vol.2, pp. 1147-1152.

[7] – Antiquité, Moyen Age, l’époque Moderne et Contemporaine.

[8] – Il en va de même en langue arabe :  الفاعل و المفعرل به

[9] – Edgar Morin, « Mère Méditerranée », dans : Le Monde Diplomatique, Août, 1995, p. 12. Du même auteur, « Penser la Méditerranée et méditerranéiser la pensée », dans : Confluences, n°28, 1999, p. 12 :   « De fait, pour concevoir la Méditerranée, il faut concevoir à la fois l’unité, la diversité et les oppositions ; il faut une pensée qui ne soit pas linéaire, qui saisisse à la fois complémentarités et antagonismes. Oui, la Méditerranée est la mer de la communication et du conflit, la mer des polythéismes et des monothéismes, la mer du fanatisme et de la tolérance, et, ô merveille, la mer où le conflit, enfin policé, dans la petite Athènes du Ve siècle, est devenu débat démocratique et débat philosophique ».

[10] – Dion Cassius, Bibliothèque historique, livre I, 1, traduction française F. Hoefer.


[1] – Carmine Catenacci, « L’Oriente degli antichi e dei moderni. Guerre persiane in Erodoto e Guerra del Golfo nei media occidentali »,dans :  Quaderni Urbinati di Cultura Classica, New Series, vol. 58, no 1,‎ 1998, p. 173-195 ; Édouard WillLe Monde grec et l’Orient, tome I : le ve siècle, collection « Peuples et Civilisations », PUF, 1992 ; Pierre Briant, Darius : Les Perses et l’Empire, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 159), 2001 ; Peter Green, Les Guerres médiques, Tallandier, 2008.

[2] – Jérôme Debune, « Le Système de la Méditerranée de Michel Chevalie », dans : CAIRN. INFO, L’Harmatan, N° 36, 2001, pp. 187 – 194 :« La guerre séculaire de l’Orient et de l’Occident Dans le premier article qui concerne l’Orient et l’Occident, Michel Chevalier remarque que les deux civilisations sont constamment en conflit depuis des siècles. Par conséquent, la Méditerranée a été le théâtre d’une guerre permanente : « [La Lutte la plus colossale, la plus générale et la plus enracinée qui ait fait jamais retentir la terre du fracas des batailles, est celle de l’Orient et de l’Occident] ».

[3] – Pour plus de détail, voir : Bresc, Henri et alii, La Méditerranée entre pays d’Islam et monde latin, SEDES, 2001.