En récapitulant les évènements du passé, on constate que toutes les guerres de l’Etat hébreu contre les arabes, ont été courtes et majoritairement gagnées à l’exception de celle d’octobre 1973. Cette fois-ci, nous sommes au début de juin 2024 et le conflit continue de ravager la population, menant à des pertes humaines colossales. Pourtant les combats se poursuivent, non pas, contre un pays ou un groupe d’Etats, comme auparavant, mais contre un mouvement résiliant. A ce jour, les massacres des populations civiles, sont considérés comme des dommages collatéraux et sont devenues des faits normaux. Le plus grand allié de l’Israël s’avérant impuissant face à cette diffusion du sang sans précédent.

Guerre qualifiée de surprise stratégique et conduite par des combattants non réguliers[1], mais bien entrainés, contre le Tsahal qui n’a pas su anticiper à sa faveur et à temps le conflit, afin de le rendre plus court et sans conséquences politiques. Jamais, il était attendu qu’un mouvement puisse longtemps paralyser une grande armée reconnue pour son professionnalisme. Il est devenu probable que ce n’est plus dans l’intérêt de l’Etat hébreu de continuer cette guerre qui ruine son économie et porte préjudice à son image diplomatique.  

Le manque de renseignement, l’excès de confiance et la montée en puissance des acteurs engagés, ont provoqué un séisme au sein de tout un système sécuritaire de l’Etat hébreu, qui a mis en doute ses capacités et ses potentiels, longtemps reconnus. Les volets stratégiques n’ont pas été adaptés aux circonstances et la politique extérieure n’a pas pu le remporter sur le nombre des Etats, qui ont été contre ou ceux qui se sont abstenus aux résolutions, suite aux grandes violences perpétrées contre les populations civiles.

Une stratégie non modulable à l’espace-temps

Depuis le début, après l’attaque du 07 octobre 2023, le Tsahal n’a pas répliqué dans l’immédiat. Il a choisi au début une approche indirecte et non frontale. Il a mis beaucoup de temps pour rassembler ses forces et à réagir ! Les forces de défenses israéliennes ont privilégié la guerre psychologique contre un ennemi qui se fond soi-disant dans la masse.  Par conséquent, il a développé sa pensée qui se base sur la théorie de l’approche indirecte.  

Cette dernière consiste à déstabiliser matériellement et moralement l’ennemi avant de livrer la bataille décisive, celle qui permettra la sortie de la guerre et la réalisation d’une paix acceptable par les deux parties. Il a aussi eu recours aux frappes aériennes et aux harcèlements intenses de l’artillerie pour détruire les tunnels, les voies   de communication et les infrastructures dédiées aux services et à la logistique.  

Par la suite, il s’est avéré que les forces de défense israélienne avaient besoin du soutien même moral des forces occidentales, qui ont stationné leurs navires non loin de la zone de tension et ont fourni la logistique nécessaire. Car, avec la  durée des  combats, les acteurs se sont multipliés. Les milices soutenues par l’Iran particulièrement les combattants Houthi et du Hezbollah ont rejoint la cause du Hamas.

Cette multiplication d’acteurs a changé les donnes en faveur du Hamas et du combat purement asymétrique. Israël habituée au maintien ou au rétablissement de l’ordre dans les territoires et aux guerres totales contre les armées arabes, dont la dernière remonte à octobre 1973, ne s’est pas adapté du jour au lendemain aux actions de la guérilla. 

Pendant la deuxième phase de l’engagement lors de l’attaque frontale le Tsahal a engagé des unités blindés, mécanisés et les différents moyens aériens (drones et avions de chasses ou bombardier) afin d’influencer par la force sur le cours de la guerre et pousser les combattants du Hamas et la population à admettre une paix choisie par l’Etat hébreu. 

Des opérations chirurgicales ont été opéré par l’aviation israélienne à   gaza, au sud Liban et en Syrie pour éliminer certaines personnalités des groupes armés, jugées terroristes. Mais depuis le début l’information essentielle pour anticiper et conduire les opérations manquait à l’Etat hébreu.  L’Iran a su par le soutien des combattants subversives, frapper fort dans les différentes frontières d’Israël et hybrider les menaces en portant aussi un coup dure à la liberté de navigation en mer Rouge.

 Le coup décisif habituel des forces blindées n’a pas apporté ses fruits à l’instar des guerres précédentes contre les armées arabes. Au contraire, avec des moyens antichars de première génération, les combattants du Hamas, ont pu faire du combat rapproché, contre les engins israéliens, une surprise tactique leur permettant, de les percer ou carrément les détruire.

L’aviation de 4 ou 5ème génération, a beaucoup servi à la destruction des infrastructures pour faire fuir les populations et les convaincre à ne pas approuver les actions militaires des combattants du Hamas. Mais n’a pas été efficace contre des combattants qui ont su bénéficier des tunnels et des constructions en ruine pour imposer leur théâtre, frapper fort et par surprise. Même face aux frappes Houthi c’est l’aviation anglaise et américaine qui ont intervenu pour défendre la liberté de navigation en mer Rouge. Par contre grâce aux drones et aux missiles longue portée les combattants yéménites Houthi ont pu élargir leur espace stratégique et devenir les garde-fous de la Porte El Mandab.

Depuis le début, si on ne compte pas la destruction des infrastructures civiles de Gaza, l’économie des forces a été du côté des combattants isolés qui n’ont pas beaucoup investi par rapport au Tsahal. Ce dernier a utilisé les matériels majeurs des composantes terre, air et mer, sans toutefois éradiquer définitivement leur ennemi sur le terrain. Chaque fois les communiqués de l’Etat-major israélien signalaient la destruction très proche et définitive des combattants du Hamas. Mais, jusqu’à maintenant les embuscades et les harcèlements n’ont pas cessé.

Parallèlement, les combattants du Hamas ont utilisé la carte de pression des prisonniers, pour donner espoir aux populations gazaouies qui ont leurs familles emprisonnées en Israël et en même temps imposer leurs conditions au gouvernement israélien. Donc ni les actions militaires, ni les harcèlements psychologiques n’ont pu influencer sur le potentiel opérationnel du mouvement Hamas et ce malgré le grand nombre de morts et de destructions des infrastructures civiles. 

Sur le théâtre des opérations, on relève que malgré que la liberté d’action de Hamas soit réduite et sa dislocation a été bien orchestrée par rapport au début, les harcèlements et les embuscades continuent de paralyser, même à titre temporaire, les combattants du Tsahal qui ont été démoralisés au début. D’ailleurs même la population surprise par l’attaque d’octobre, commence à sentir le poids de la guerre.  

Le gouvernement qui minimisait le potentiel du mouvement de Hamas commence à son tour de se rendre à l’évidence. La résilience et la résistance des gazaouis civils et militaire n’étaient pas attendues. On a constaté quelques fissures au sein du cabinet de guerre israélien, des divisions au sein de l’armée et des populations. La faiblesse de ces trois facteurs ne va pas passer inaperçue et sans conséquences sur les élections prochaines ou anticipatives.

 La limite stratégique du système de défense du Tsahal a bien démontré qu’elle est non adaptée au terrain, à la spécificité du combat engagé par l’ennemi et s’est répercuté immédiatement sur la politique interne et externe, que mène l’Etat hébreu que ça soit en interne ou en externe.

 Le choc en retour de la politique d’Israël    

Au point de vue historique, la guerre du 29 octobre 1956 a été une grande perte pour l’armée égyptienne, mais un succès politique. Car, l’URSS et les Etats Unis d’Amérique ont demandé aux militaires français et anglais de quitter les territoires égyptiens. Dans le dernier conflit de Gaza, la majorité des Etats du monde ont demandé à Israël de cesser-le feu humanitaire. C’est ainsi un succès pour la cause palestinienne au sein de la communauté internationale. Car les populations du monde entier, particulièrement les jeunes, y compris des pays amis d’Israël, sont sorties pour condamner la guerre menée par l’Etat hébreu.

Au niveau bilatéral, Israël commence à perdre des alliés comme la Russie, certains pays scandinaves et de l’Europe occidentale. Les gouvernements ne peuvent agir contre le courant de leurs citoyens. Aux Etats Unis d’Amérique cette continuité de la guerre pourrait influencer sur le prochain vote présidentiel. La majorité de la tranche des jeunes universitaires a pour le moment choisi de soutenir les palestiniens.      

Au niveau multilatéral, l’Etat hébreu est en train de perdre tout son poids au sein des organisations internationales. La majorité des pays de la communauté internationale a reconnu, au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies, l’Etat de Palestine et le chef de gouvernement israélien avec son ministre de défense sont poursuivis devant la Cour Pénale Internationale. Donc, les deux hauts responsables ne pourraient plus voyager librement comme auparavant.

Par la même occasion, la thèse soutenant que le Hamas est un groupe terroriste n’est plus d’actualité. Plusieurs sociétés du monde entier qualifient de résistance les actions du mouvement. Par contre, suite aux attaques contre les civils et leurs habitations, plusieurs opinions publiques internationales jugent que l’Etat hébreu exerce le terrorisme d’Etat contre les populations palestiniennes. L’organisation des manifestations sociales, à grande échelle, dans les rues des grandes cités et universités occidentales n’a pas besoin d’être prouvée. 

Au début de l’attaque du 7 octobre 2023 plusieurs observateurs du monde se sont focalisés sur l’événement et ont considéré que l’attaque a été un acte terroriste. Une fois le conflit a duré dans le temps et au fur et à mesure que les bombardements s’intensifiaient à Gaza, le nombre des morts parmi les enfants et les femmes a augmenté et les avis ont changé. Même les États qui soutenaient Israël ou gardaient la neutralité ont rectifié leur engagement politique vis à vis d’Israël.  

Une grande partie de la diaspora israélienne dans le monde s’est manifestée contre la violence contre les civils et même certains juifs d’Iran ont participé aux funérailles des membres du gouvernement décédés accidentellement suite au crash d’un hélicoptère. Pourtant, la république islamique est devenue l’ennemi numéro un d’Israël, à cause de son soutien au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais.    

La guerre de Gaza a été mal anticipée par les forces de défense israéliennes. Le Tsahal croyait que son ennemi allait être éradiqué rapidement et l’a sous-estimé. Pourtant, la stratégie choisie pour mettre fin définitivement au mouvement du Hamas n’est pas adapté ni au terrain, ni à la typologie de tactique engagée. L’Etat d’Israël a mis beaucoup de temps pour se faire reconnaitre et une guerre de quelques mois, risque de lui faire perdre son image au sein de la communauté internationale.  

La paix demeure le seul recours à l’arrêt des hostilités qui ont longtemps duré. Il y a toujours lieu de rappeler que l’opération du 07 octobre 2023 contre Israël, n’est qu’une conséquence de 75 ans de combats sans issue diplomatique. Jusqu’à quand, les responsables du Likoud et de l’extrême droite vont comprendre qu’ils ne vont pas vivre en sécurité tant qu’ils n’ont pas reconnu le droit du peuple palestinien à avoir son propre Etat.   

Une solution politique soutenue par l’élection d’un nouveau gouvernement israélien, capable de reconnaître deux États indépendants est le seul raisonnement à retenir. Car ce n’est plus un choix. C’est une réalité qui pourrait garantir la sécurité non seulement des populations juives dans le monde, mais de reconstruire la paix dans toute la région du Proche et Moyen-Orient.    


[1]  Les principaux acteurs soutenus par l’Iran contre Israël. : 

-A Gaza : les combattants sunnites du Hamas palestinien ;

-Au sud Liban le Hezbollah chiite ;

-A Bab El Mandab les combattants Houthi chiites yéménites.