Faouzi El Bantli, PhD – MBA
Consultant Expert en gestion des risques & Chercheur
E-mail : faouzi1429@gmail.com  

Les institutions multilatérales, en particulier le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont toujours constitué les piliers du système économique mondial. Ces institutions, créées au lendemain de la seconde guerre mondiale, visaient la stabilité et le développement en vue de favoriser la coopération internationale. Au fil des ans, elles ont joué un rôle très important en apportant une aide financière aux pays en crise, en finançant des projets de développement et en créant des systèmes commerciaux mondiaux fondés sur différentes règles. À l’heure où le monde change, ces institutions sont également confrontées à divers défis qui soulignent la nécessité croissante de les réformer.

L’économie mondiale a radicalement changé depuis la création de ces institutions. Les économies émergentes, telles que la Chine, l’Inde et le Brésil, représentent aujourd’hui une part beaucoup plus importante du PIB mondial, mais leur représentation et leur influence au sein des institutions multilatérales restent faibles. C’est la raison pour laquelle les demandes de répartition équitable des droits de vote et des pouvoirs de décision se multiplient. En outre, les défis nouveaux et complexes auxquels le monde est confronté, tels que le changement climatique, les pandémies et la transformation numérique des économies, requièrent de nouveaux mandats et de nouveaux outils. Ils estiment en outre que ces institutions sont devenues trop bureaucratiques et lentes à agir, représentant très souvent des intérêts interdisciplinaires.

Parmi les questions les plus épineuses figurent la structure de gouvernance ancienne des institutions telles que le FMI et la Banque mondiale. Le droit de vote au sein de ces organisations repose sur un système de quotas reflétant la taille économique, qui n’a pas évolué au même rythme que le poids économique croissant des marchés émergents. De telles réformes permettraient d’augmenter les quotas de pays comme la Chine et l’Inde, tout en réduisant la surreprésentation des états européens aux postes de direction. Par exemple, la convention selon laquelle le FMI nomme un directeur général européen et la banque mondiale un président américain est de plus en plus remise en question. Il s’agit notamment de faire preuve d’une plus grande ouverture dans la prise de décision afin de garantir que les voix des pays en développement soient prises en compte dans la formulation de la politique économique mondiale.

L’autre domaine de réforme concerne la capacité financière de ces institutions. Les crises de grande ampleur, telles que le changement climatique ou les pandémies mondiales, pourraient nécessiter davantage de ressources de la part du FMI et de la Banque mondiale. Cela impliquerait d’élargir leur base de capital afin de fournir un soutien plus important aux pays qui en ont besoin. Dans le même temps, la demande d’instruments de prêt plus flexibles et adaptés à des défis spécifiques, tels que la résilience climatique ou l’infrastructure numérique, ne cesse de croître. D’autres questions importantes concernent l’allègement et la viabilité de la dette, de nombreux pays en développement étant aux prises avec des niveaux d’endettement insoutenables. Les institutions multilatérales pourraient mieux coordonner l’allègement de la dette et, de préférence, encourager les emprunts responsables.

Les mandats des institutions multilatérales doivent évoluer pour pouvoir relever les nouveaux défis mondiaux : par exemple, le changement climatique exige l’intégration de considérations environnementales dans les prêts et les conseils politiques. Il peut s’agir de la création d’un  « Fonds vert » par le FMI pour financer des activités liées à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation de ses effets, tandis que la Banque mondiale envisage d’augmenter le financement des projets d’énergie renouvelable. De la même manière, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la nécessité d’un financement et d’une coordination plus solides de la santé à l’échelle mondiale afin de prévenir les crises sanitaires futures. Les nouvelles opportunités et les nouveaux défis engendrés par la transformation numérique des économies comprennent des exigences en matière d’infrastructure numérique, de cyber sécurité et de taxation équitable de l’économie numérique. Cette réalité exige que les institutions multilatérales s’adaptent également en développant de nouveaux cadres et outils.

L’Organisation mondiale du commerce est une autre institution qui a besoin d’être modernisée. Ses règles ont grand besoin d’être mises à jour sur des questions telles que le commerce électronique, le commerce numérique et les droits de propriété intellectuelle. Le système de règlement des différends au sein de l’OMC, avec son organe d’appel indépendant, est bloqué par les États-Unis depuis 2019. Un mécanisme viable de règlement des différends doit être rétabli pour que le système commercial mondial soit pris au sérieux. Cela implique que l’OMC se dote à terme de politiques qui permettraient aux pays en développement de bénéficier équitablement du commerce international, notamment grâce à l’accès à la technologie et aux marchés.

Alors que les institutions traditionnelles sont confrontées à des défis, on assiste à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles initiatives qui viennent combler les lacunes et proposer des alternatives. La nouvelle banque de développement (NDB), créée par les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), vise à financer des projets d’infrastructure et de développement durable dans les économies émergentes. Dans le même ordre d’idées, la banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), sous la direction de la Chine, est devenue un important bailleur de fonds pour les projets d’infrastructure en Asie et au-delà. Par ailleurs, les initiatives régionales, telles que l’union africaine (UA) et l’association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), jouent un rôle de plus en plus important dans la gouvernance économique régionale. Ces nouvelles institutions et initiatives reflètent une évolution vers un monde plus multipolaire, où le pouvoir et l’influence sont répartis plus équitablement.

L’avenir du multilatéralisme passera probablement par une plus grande collaboration entre les institutions traditionnelles et les nouveaux acteurs. Les défis mondiaux mentionnés exigent en effet que le FMI et la banque mondiale travaillent en coordination plus étroite, par exemple avec d’autres institutions mondiales telles que l’AIIB et la NDB. Les pays pourraient également former des coalitions sur des problèmes spécifiques, tels que le financement de la lutte contre le changement climatique ou le commerce numérique. Le rythme des réformes s’est accéléré dans le contexte du COVID-19 et, surtout, de l’urgence de la crise climatique. Pour que de tels changements puissent avoir lieu, des forums tels que le G20 pourraient donner l’impulsion nécessaire en réunissant les principales économies et en tentant de dégager un consensus sur les réformes.

Malgré le besoin pressant de réformes, des défis persistent. Les rivalités géopolitiques, principalement entre les États-Unis et la Chine, peuvent faire obstacle à l’obtention d’un consensus sur les réformes. Par exemple, des pays comme les États-Unis et les nations européennes qui ont une influence disproportionnée dans les institutions existantes peuvent résister à des changements qui réduisent leur pouvoir. La coordination des réformes entre un grand nombre de pays aux intérêts divers est également complexe par nature. Pour relever ces défis, il faudra un leadership fort, une volonté politique et un engagement en faveur d’une gouvernance mondiale inclusive et équitable.

La réforme des institutions multilatérales est impérative si l’on veut que ces organisations soient adaptées aux défis du XXIe siècle. Le rythme est peut-être lent, mais l’influence croissante des économies émergentes et un nouveau sentiment d’urgence lui donnent de l’élan. L’avenir du multilatéralisme sera sans aucun doute composé d’anciennes institutions réformées et de nouveaux partenariats flexibles adaptés à des défis spécifiques. En adoptant ces changements, la communauté mondiale peut construire un système économique plus résilient, plus inclusif et plus durable.